La COVID-19 sévit à l’échelle planétaire et affecte plus particulièrement les aînés. Le Québec ne fait pas exception. En date du 16 avril, 32,3 % des cas confirmés et 97,1 % des décès touchent des personnes de 60 ans et plus. On assiste à de nombreuses éclosions de la maladie dans les établissements qui accueillent les personnes âgées les plus vulnérables. Cette situation révèle un véritable drame humain et fait la une de tous les médias. Dans ce contexte, il est important de faire une mise au point sur les conditions de vie des aînés.

Les CHSLD au Québec

En 2019, le Québec comptait 1 634 712 personnes âgées de 65 ans et plus. La très grande majorité d’entre elles vivent en résidence privée individuelle ou collective. Certains aînés en perte d’autonomie ou ayant des besoins de soins de santé récurrents habitent dans des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) ou dans des milieux de vie complémentaires au milieu naturel ou institutionnel qui sont les ressources intermédiaires et de type familial (RI-RTF).

Les CHSLD sont des établissements publics qui, depuis avril 2015, sont gérés par les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Les CISSS et CIUSSS regroupent tous les établissements de santé et services sociaux publics d’un même territoire. Certains CHSLD sont des établissements privés conventionnés. Ils ont obtenu une accréditation du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et appliquent les normes du secteur public, tout en étant gérés par le privé.

C’est dans les CHSLD que l’on retrouve les personnes âgées les plus vulnérables. L’octroi des places se fait selon le système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF), qui a été instauré dans tous les CHSLD au début des années 2000. Le SMAF évalue 29 fonctions (couvrant les activités quotidiennes, la mobilité, les communications, les fonctions cognitives et les activités de la vie domestique) et permet de classer les personnes sur une échelle de 1 (faible perte d’autonomie) à 14 (grande dépendance).

Le profil SMAF des aînés admis en CHSLD est généralement de 10 à 14, c’est-à-dire que chez eux, l’atteinte à l’autonomie est la plus sévère. Les personnes ayant un profil inférieur sont orientées vers d’autres ressources. Les personnes résidant dans un CHSLD ont une espérance de vie moyenne de trois ans. Au Québec, en date du 31 mars 2018, 33 468 personnes de 65 ans et plus vivaient en CHSLD public ou privé conventionné, tandis que 12 149 personnes résidaient en RI-RTF en 2017-2018.

Des politiques favorables aux aînés, mais des problèmes qui perdurent

Depuis le début des années 2000, le Québec a mis en place de nombreuses politiques favorables aux personnes âgées vivant en CHSLD. En 2003, le MSSS a publié des orientations ministérielles intitulées « Un milieu de vie de qualité pour les personnes hébergées en CHSLD », traitant de la philosophie et des pratiques qui doivent avoir cours dans les CHSLD. Cette approche, toujours en vigueur, comporte plusieurs principes directeurs pour une meilleure prise en compte des caractéristiques, des besoins et des attentes des résidents, dans le but d’améliorer les services offerts dans les établissements. En 2012, le gouvernement a mis en place sa première politique sur le vieillissement avec son plan d’action 2012-2017 « Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté, au Québec ». Cette politique plaçait les aînés au cœur des préoccupations gouvernementales et visait l’amélioration de leur qualité de vie pour leur permettre de vivre le plus longtemps à domicile.

En mai 2018, le MSSS a organisé un forum sur les meilleures pratiques en CHSLD et le soutien à domicile. Ce forum s’est conclu sur des engagements du MSSS et des PDG des CISSS et des CIUSSS à améliorer la qualité et la sécurité des soins offerts aux aînés. En juin 2018, le gouvernement a lancé son plan d’action 2018-2023 « Un Québec pour tous les âges », qui réunit des mesures pour favoriser la participation sociale des aînés à la société, leur permettre de vieillir en santé dans leur communauté et de vivre dans des environnements sécuritaires et accueillants.

Dans son budget de 2018-2019, le gouvernement a annoncé un investissement supplémentaire par an de 31 millions de dollars dans les CHSLD et de 45 millions de dollars dans les services aux aînés en établissement, pour trois années consécutives. Et dans son budget de 2020-2021, il prévoit ajouter une somme de 190 millions pour bonifier les soins aux aînés.

Malgré toutes ces politiques et tous ces investissements, de nombreux problèmes semblent subsister dans la prise en charge des personnes âgées. Les deux grands défis dans ces établissements ont trait à la pénurie de ressources humaines et à la qualité des soins. Il est bien connu que les préposés aux bénéficiaires, une ressource essentielle des CHSLD, ont des conditions de travail difficiles et souvent précaires. Les CHSLD peinent à les attirer et à les retenir. De même, il y a depuis de nombreuses années une pénurie d’infirmières. Leur tâche est également très lourde ; elles peuvent avoir la charge d’une centaine de patients dans un CHSLD, selon les quarts de travail et les régions. Quant aux médecins, la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille en 2015 a modifié l’organisation de leur pratique et entraîné leur exode des CHSLD, car ils ne pouvaient plus inscrire ces patients dans leur patientèle. Cette situation n’a été corrigée qu’en avril 2018, mais aujourd’hui encore, l’attraction et la rétention des médecins dans les CHLSD restent un enjeu.

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Le problème de la qualité des services offerts découle directement de la pénurie de personnel. Le manque de ressources entraîne une surcharge de travail pour les préposés aux bénéficiaires et les infirmières, et il arrive que la qualité des services d’assistance et de soins soit compromise dans certains établissements.

Au Québec, la dotation en ressources humaines dans les CHLSD n’a malheureusement pas augmenté de manière proportionnelle à la croissance des besoins des résidents.

Les patients dans les centres de soins de longue durée partout au pays cumulent plusieurs maladies chroniques, en plus de souffrir de troubles neurocognitifs. Au Canada en 2015-2016, 87 % des prestataires de soins de longue durée étaient atteints d’une forme de déficience cognitive, comme la démence, et ce taux ne cesse de croître depuis 2010. Les résidents ont donc besoin de plus en plus d’heures en assistance et en soins. Au Québec, la dotation en ressources humaines dans les CHLSD n’a malheureusement pas augmenté de manière proportionnelle à la croissance des besoins des résidents. Les résultats préliminaires d’une étude que nous avons menée, qui couvre les trois dernières années, montrent qu’il subsiste un déséquilibre entre les besoins en assistance et en soins des résidents et les ressources humaines dans ces établissements pour y répondre. Plus précisément, la dotation en assistance et celle en soins infirmiers ne correspondent qu’à respectivement 65 % et 75 % des besoins des résidents. Au total, la dotation en ressources humaines ne permet de répondre qu’à 66 % de leurs besoins. Une étude similaire réalisée dans les années 1990 indiquait que la dotation des postes comblait 85 % des besoins à l’époque.

Les CHSLD en contexte de pandémie

C’est dans ce contexte que la COVID-19 s’est invitée dans les CHSLD. Pas encore conscient que quatre porteurs sur cinq pourraient être asymptomatiques, le gouvernement du Québec n’a pas mis en place des mesures restrictives pour pallier ce problème. Le 14 mars, il a interdit les visites en CHSLD, mais les résidents étaient encore autorisés à sortir pour aller voir leur famille. De plus, en raison de la pénurie de ressources humaines, les soignants pouvaient travailler dans plus d’un CHSLD au cours d’une semaine et risquaient de propager ainsi le virus d’un établissement à l’autre.

En contexte de ressources rares, il fallait faire des choix, des choix rapides et difficiles. Voyant la situation effrayante en Italie, le gouvernement du Québec, appuyé par l’opinion publique, a opté pour une redirection massive des ressources vers les hôpitaux et les soins intensifs. Il voulait prévenir une surcharge du système de santé et éviter de se trouver devant des choix douloureux, notamment celui de décider qui aura droit ou non à un respirateur mécanique. Les conséquences de cette réallocation des ressources étaient difficiles à mesurer dans un contexte sans cesse changeant, qui évoluait et évolue encore d’heure en heure. Le gouvernement a donc déployé de très grands moyens pour libérer des lits en milieu hospitalier et augmenter la capacité d’accueil en soins intensifs. Mais peu de mesures ont été mises en place dans les CHSLD, milieux d’accueil des aînés les plus vulnérables.

Les décisions politiques ne sont jamais neutres et favorisent toujours une partie de la population pour en délaisser une autre. Lors d’un de ses points de presse quotidiens, le premier ministre François Legault a reconnu ne pas avoir mis en place suffisamment de mesures de prévention et de précaution dans les CHSLD. Depuis, le gouvernement s’efforce de corriger les façons de faire et de pallier la pénurie de personnel en appelant des renforts. Le bilan des décès dans les CHSLD pèse lourd.

Dans tous les cas, pendant une crise sanitaire, des décisions difficiles doivent être prises rapidement par les gouvernements, sous l’influence de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Le gouvernement du Québec n’est pas le seul à avoir priorisé le système hospitalier. L’Ontario se trouve dans une situation semblable, et bien des pays européens doivent aussi lutter contre l’éclosion de la COVID-19 dans les résidences pour personnes âgées. Il est très difficile de penser à tout et d’anticiper l’impact des décisions au moment où on les prend. Mais malgré toutes les politiques favorables aux aînés des dernières années, la crise dans les établissements d’accueil des personnes âgées ne fait que révéler une énorme faille dans nos services de santé, qui perdure depuis de trop nombreuses années.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Shutterstock / David Pereiras

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Roxane Borgès Da Silva
Roxane Borgès Da Silva est professeure agrégée au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé à l’École de santé publique de l'Université de Montréal (ESPUM). Elle est aussi chercheuse au Centre de recherche en santé publique (CRESP) et au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

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