Avec l’explosion des prix du pétrole et du gaz en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le potentiel canadien de production de gaz naturel liquéfié (GNL) suscite à nouveau de l’intérêt. Des appels se font aussi entendre pour qu’Ottawa finance les infrastructures qui permettraient d’augmenter les exportations de GNL par la côte est. L’objectif est double : saisir les opportunités du marché, tout en aidant nos alliés européens à surmonter leur crise énergétique.

Il ne sera pas facile de regarder l’Europe souffrir de pénuries d’énergie et de prix élevés, et les Canadiens voudront à juste titre faire « quelque chose ». Cependant, il est important de se rappeler que les projets de GNL exigent des efforts de plusieurs milliards de dollars, prennent des années à construire, et des décennies à rentabiliser. L’Europe, elle, va agir rapidement pour réduire sa dépendance au gaz naturel.

L’incohérence du projet québécois d’exporter du gaz naturel

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La capacité d’un nouveau projet de GNL à générer des rendements à long terme pour les investisseurs et des emplois pour les Canadiens dépend de l’évolution des choses dans trois domaines : la politique climatique mondiale, les choix technologiques et la compétitivité. Les tendances dans ces trois secteurs pointent vers un risque d’investissement croissant.

La meilleure chance de succès consiste donc à laisser les décisions d’investissement au secteur privé, plutôt que de tenter de protéger les projets de GNL contre les risques d’investissements à l’aide de subventions gouvernementales.

Vers le respect de cibles climatiques ambitieuses?

Si les pays respectent leurs engagements de parvenir à des émissions nettes zéro d’ici le milieu du siècle, il y a de bonnes chances que la hausse de la température moyenne mondiale soit limitée à environ 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Les scientifiques estiment que le véritable objectif devrait être de 1,5 degré, mais même les scénarios à deux 2 degrés impliquent d’importantes réductions de l’utilisation du pétrole et du gaz.

Le bilan international en matière d’engagements climatiques n’inspire pas confiance quant à la volonté des pays de les respecter, et le Canada est l’un des pires délinquants.

Il y a des raisons de croire que l’avenir n’est pas garant du passé. Les actions contre les changements climatiques sont de plus en plus motivées par des intérêts économiques et géopolitiques, tout autant – voire plus – que par une morale altruiste. Plus la fréquence, la durée et l’intensité des inondations, des incendies, des vagues de chaleur et des sécheresses augmentent, et plus les électeurs prennent également conscience du coût de l’inaction face aux changements climatiques. Le secteur privé crée de plus en plus sa propre dynamique, à mesure que le coût des solutions plus propres diminue et que la volatilité des prix des combustibles fossiles augmente.

En somme, il est de plus en plus risqué de parier sur un ralentissement ou une stagnation de la transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone.

Une tendance générale à la baisse pour le GNL

Tous les scénarios permettant d’atteindre les objectifs climatiques mondiaux montrent une baisse éventuelle de la demande de pétrole et de gaz, mais le moment de cette baisse varie considérablement selon les hypothèses sur les choix technologiques qui seront effectués.

La figure 1 compare des scénarios pour la demande de gaz naturel en 2050 et en 2020, à partir de données recueillies auprès de diverses organisations et colligées dans des prévisions énergétiques produites par Resources for the Future, un institut de recherche à but non lucratif basé aux États-Unis.

La demande pour gaz en 2050 varie fortement d’un scénario à l’autre, mais la tendance générale reste à la baisse. Le scénario gris de Bloomberg New Energy Finance (BNEF) présente la plus forte demande, dans l’hypothèse où l’utilisation continue de combustibles fossiles est combinée à une technologie de capture et de stockage du carbone afin de réduire les émissions. À l’autre extrémité, la demande est la plus faible dans les scénarios rouge et vert de BNEF, qui supposent un virage plus prononcé vers l’électricité et l’hydrogène verts. D’autres scénarios, dont celui de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), se situent à mi-chemin.

Ces scénarios reflètent l’incertitude constante face au rythme de diminution du coût des différentes technologies. Dans certains secteurs, on sait déjà quelle technologie l’emportera. Par exemple, les voitures s’électrifient, et il est peu probable que cela change. Cependant, dans d’autres secteurs, comme l’industrie ou le transport routier lourd, le vainqueur technologique est moins certain. L’électrification, l’hydrogène, les biocarburants, le captage et le stockage du carbone, les petits réacteurs nucléaires modulaires, le stockage sur batterie et bien d’autres solutions cherchent à faire leur place.

Parier sur les voies technologiques radicales – qui impliquent de ne s’appuyer que sur une ou deux technologies – est périlleux. L’énergie solaire, par exemple, a montré à quelle vitesse la technologie peut évoluer dès que les investissements commencent à affluer. Elle est passée d’une technologie de niche à coût élevé à une technologie compétitive à l’énergie traditionnelle, en l’espace d’une décennie seulement.

En raison de la volatilité des prix des combustibles fossiles, il est également plus intéressant pour les consommateurs d’accélérer la transition vers des solutions de rechange écologiques.

Les fournisseurs canadiens ne seront pas nécessairement compétitifs

Les scénarios présentant la plus forte demande de gaz naturel à long terme supposent une transition plus lente en Chine, en Inde et dans d’autres économies émergentes, ce qui tend à favoriser les projets de GNL de la côte ouest du pays. Plus de 40 % du gaz naturel produit au Canada est actuellement exporté vers les États-Unis, un marché en déclin dans tous les scénarios.

Pour que les producteurs canadiens soient concurrentiels sur les marchés mondiaux du GNL, ils doivent être compétitifs sur le plan des coûts – y compris ceux de transport – par rapport aux solutions de rechange internationales. L’Australie, le Qatar et les États-Unis augmentent tous leur capacité d’exportation de GNL. Le Canada est sur le point de lancer quelques projets, mais il aura des difficultés à percer le marché.

Les producteurs dont les coûts sont les plus élevés seront les premiers à tomber si la demande mondiale de GNL diminue, ce qui fait des investissements un pari risqué.

Les projets de GNL ont plus de chances d’être viables sans soutien public

Les projets de GNL comportant de nombreux aléas, les investisseurs privés se concentreront sur les projets les moins coûteux et ayant les meilleures chances de rentabilité. Si des subventions publiques sont ajoutées au mélange, les projets moins susceptibles d’être compétitifs – et donc moins résistants à l’évolution de la demande du marché – pourraient aller de l’avant. Si ces projets n’aboutissent pas, les contribuables seront non seulement privés de sommes investies, mais aussi des bénéfices qu’on aurait pu obtenir en investissant ailleurs.

C’est probablement la raison pour laquelle le premier ministre Justin Trudeau et le chancelier allemand Olaf Scholz ont concentré leurs énergies sur l’hydrogène vert (un carburant propre produit à partir d’énergie renouvelable) lors de leur récente rencontre. Les mêmes scénarios mondiaux qui font baisser la demande de gaz naturel font simultanément augmenter celle pour l’hydrogène vert.

Le Canada a l’occasion d’être à l’avant-garde de ce marché mondial naissant, tout en créant des emplois dans des régions du pays où le taux de chômage est élevé. De plus, l’augmentation de la production d’hydrogène vert aidera l’atteinte des objectifs nationaux et internationaux d’émissions nettes zéro, au lieu d’y nuire. En fait, tant le Canada que l’Allemagne ont l’opportunité d’accélérer la demande pour l’hydrogène grâce à des politiques climatiques nationales, haussant ainsi les probabilités de succès des producteurs.

Les projets relatifs à l’hydrogène demeurent confrontés à des risques de marché, mais il est préférable que l’aide gouvernementale aille où la rondelle va être, et non où elle se trouve déjà.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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