(Cet article a été traduit en anglais.)

Un projet d’infrastructure de transport et de liquéfaction du gaz naturel pourrait voir le jour au Québec. Ce projet, qui vise à exporter du gaz naturel de l’Ouest canadien vers l’Amérique du Sud, l’Europe et l’Asie, comporte deux volets. Le premier, qui relèvera de l’entreprise Gazoduq, consiste à construire un pipeline gazier reliant l’est de l’Ontario au Saguenay. Le deuxième, baptisé Énergie Saguenay, repose sur la construction, par l’entreprise GNL Québec, d’une usine de liquéfaction du gaz naturel à Port de Saguenay, d’où le gaz sera exporté par voie navigable.

Le projet de GNL Québec aura des répercussions énormes. Il causera des perturbations tout au long du tracé du gazoduc, traversant des rivières et des aires protégées, et affectant de nombreuses communautés des Premières Nations. Le passage de superméthaniers déstabilisera aussi l’habitat des bélugas et d’autres espèces menacées qui vivent dans le golfe du Saguenay. De plus, ce projet pourrait annuler en une seule année la quasi-totalité des réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES) auxquelles le Québec est parvenu depuis 1990.

Dans ce contexte, il est important de remettre les pendules à l’heure et d’expliquer pourquoi le gaz naturel ne peut être considéré comme une énergie de transition.

Le problème du méthane

De nombreux messages ont été véhiculés sur le potentiel du gaz naturel comme ressource « plus propre » que d’autres combustibles fossiles, notamment le charbon et le pétrole. On invoque effectivement les plus faibles émissions de CO2 produites lors de l’utilisation du gaz.

Toutefois, le CO2 n’est pas le seul gaz à potentiel de réchauffement climatique, ni même le plus puissant. Parmi les autres GES, on trouve le méthane, qui, sur un horizon de 20 ans, a un potentiel de réchauffement climatique jusqu’à 84 fois plus élevé que le CO2. Or le gaz naturel étant composé presque entièrement de méthane, les émissions dues aux fuites, qui se produisent à toutes les étapes du processus de production ― de l’exploitation à la distribution —, sont particulièrement dangereuses. Parce qu’il est extrêmement difficile de mesurer ces émissions fugitives, il n’y a pas de consensus scientifique sur leur fréquence. On estime tout de même qu’elles ne devraient pas dépasser 3 % de la quantité de gaz pour que le gaz naturel ait un impact moindre que le charbon.

Au Québec, le premier ministre François Legault perpétue le mythe du gaz naturel « propre » en défendant le projet de GNL Québec : « Il faut rappeler qu’il s’agit d’un oléoduc de gaz ; pas de pétrole, mais bien de gaz », a-t-il déclaré. Même si le projet de GNL Québec est voué aux marchés d’exportation, l’industrie gazière, à des fins d’acceptabilité sociale, se plaît à faire miroiter l’idée que le gaz naturel comporte des avantages environnementaux pour les marchés auxquels il est destiné.

Se lancer dans l’exploitation d’un combustible fossile constitue pourtant un pari extrêmement risqué sur les plans financier et environnemental, car le Canada s’est engagé à limiter la hausse des températures à 1,5 °C pour éviter les effets les plus catastrophiques des changements climatiques.

Une substitution aux énergies sales ?

L’industrie gazière avance donc que le gaz remplacera sur les marchés extérieurs des énergies fortement émettrices de GES, comme le charbon, le pétrole ou encore des sources locales de gaz naturel. Or cette hypothèse est fort optimiste et impossible à prouver.

Trois scénarios différents peuvent s’appliquer pour déterminer les effets qu’aura l’ajout d’une offre de gaz naturel provenant du Canada sur les marchés d’exportation :

  • l’addition : le gaz naturel importé s’ajoute simplement aux sources d’énergie déjà disponibles, ce qui augmentera la consommation globale d’énergie ;
  • la substitution avec effet rebond : le gaz naturel importé remplace d’autres sources d’énergie, qui sont alors déplacées vers d’autres marchés ; il a donc un impact environnemental similaire à celui de l’addition ;
  • la substitution nette : le gaz naturel importé remplace d’autres sources d’énergie à plus forte concentration en carbone, pour lesquelles la demande diminue.

Le seul scénario où une réduction globale des émissions de GES est possible est donc celui de la substitution nette. Dans les deux autres cas, les émissions résultant de l’utilisation du gaz naturel canadien à l’étranger viendraient simplement s’ajouter aux émissions existantes.

Alors, comment savoir si un scénario de substitution nette s’applique ? Cela dépend de la quantité de gaz naturel exportée et des caractéristiques du marché d’exportation. Dans le cas du projet de GNL Québec, les contrats d’exportation ne sont pas encore signés. L’étude d’impact environnemental effectuée par Énergie Saguenay indique simplement que les marchés visés sont l’Europe (les pays de l’OCDE), le Brésil et l’Asie. Cependant, même lorsque ces débouchés auront été confirmés, l’incertitude demeurera quant au scénario qui prendra place.

Il n’est donc pas garanti que le gaz naturel exporté permettra des gains marginaux en ce qui concerne la réduction des GES. Il faut également tenir compte de l’urgence climatique, qui nous oblige à rompre avec le statu quo et à mettre en place des politiques publiques ambitieuses qui réduiront notre consommation d’énergie, et surtout celle de combustibles fossiles.

Les énergies renouvelables

Pour réduire la part des énergies fossiles dans notre mix énergétique, on s’attend à ce que l’offre mondiale d’énergies renouvelables augmente. L’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA) estime que, dans plusieurs pays, les énergies renouvelables représenteront plus de 60 % de la consommation totale finale d’énergie d’ici 2050.

Dans ce contexte de transition énergétique, le gaz naturel exporté par GNL Québec rivaliserait de plus en plus avec l’hydroélectricité, l’éolien et le solaire sur les marchés d’exportation.

Les politiques nécessaires pour limiter le réchauffement climatique freineront aussi la demande de gaz naturel. Dans un scénario où le réchauffement climatique se situe en deçà de 2 °C — rappelons que les signataires de l’Accord de Paris se sont engagés à le limiter à 1,5 °C —, l’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande globale de gaz naturel culminera vers la fin des années 2020 avant de décroître après 2030, pour finalement se situer sous les niveaux de l’année 2000 en 2050.

Face à cette baisse prévue, on ne peut que constater que l’exportation de gaz naturel canadien va à l’encontre de l’évolution vers une transition énergétique.

Investir dans l’avenir

L’exportation de gaz naturel canadien est donc incompatible avec les changements inhérents à la transition énergétique. De plus, on doit se questionner sur l’impact économique de l’investissement dans une telle industrie.

Les investissements massifs requis pour bâtir une infrastructure d’exportation de gaz naturel ― gazoducs, centrales de liquéfaction, terminaux maritimes ― risquent, à terme, de devenir des actifs inexploitables (stranded assets), car la durée de vie nécessaire à la rentabilité de ces projets n’est pas garantie. Le Canada veut se lancer dans la construction de gazoducs et d’usines de liquéfaction tout en sachant que pour éviter un réchauffement catastrophique du climat, il sera forcé de les mettre au rancart avant la fin de leur vie utile. Pourquoi n’investissons-nous pas, comme société, dans des systèmes énergétiques que nous savons compatibles avec le monde de demain, et ce, dès maintenant ?

Bill McKibben, fondateur de 350.org, une organisation internationale de lutte contre les changements climatiques,  a ainsi résumé la question : « Le plus gros échec du mouvement climatique a été son incapacité à faire valoir avec succès que le gaz naturel n’est pas un substitut propre à d’autres combustibles fossiles. »

Évitons de tomber dans le mythe du gaz naturel comme énergie de transition et catalysons plutôt l’expertise, la main-d’œuvre et les ressources renouvelables uniques du Québec afin de devenir les leaders incontestés dans le domaine de la transition énergétique dans le monde. Après tout, c’est bien là que se trouve notre avantage concurrentiel !

Photo : Shutterstock / BNK Maritime Photographer


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Caroline Brouillette
Caroline Brouillette est la directrice des politiques nationales à Climate Action Network Canada - Réseau action climat Canada, une coalition de presque 150 organisations opérant d'un océan à l'autre. Twitter @carobrouillette

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