Cette semaine, le ministre sortant de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration – et aussi du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale – a dit que « 80 % des immigrants ne travaillent pas, ne parlent pas français ».
Plus tard dans la journée, tout en désavouant les propos de son ministre, le premier ministre François Legault a de son côté soutenu qu’accueillir plus de 50 000 immigrants serait « suicidaire » pour la nation québécoise. Cela faisait suite à un autre amalgame douteux entre les immigrants et la « chicane », et même la « violence ».
Jusqu’à début septembre, on avait peu parlé d’immigration en vue de l’élection générale québécoise du 3 octobre. Mais depuis, la machine politique et médiatique s’est emballée.
Au-delà des interventions fracassantes, quelles sont les promesses des différents partis ?
On peut comparer les promesses et leur évolution sur plusieurs aspects : le partage des compétences entre Québec et Ottawa (comment ?), les seuils d’immigration (combien ?), le profil des immigrants souhaités (qui ?) et la répartition des immigrants au Québec (où ?).
(Aux fins du présent texte, les auteurs tiennent comptent des déclarations des partis en date du 28 septembre 2022.)
Comment ?
Pour rappel, le Québec bénéficie de pouvoirs étendus en matière de sélection et d’intégration en vertu d’un accord avec le fédéral qui date de 1991. Sur la question de la répartition des compétences en matière de gestion de l’immigration, tous les partis en lice souhaitent une augmentation des pouvoirs du Québec – c’est l’étendue et les justifications qui varient.
La CAQ a plusieurs fois ouvertement demandé une révision de l’Accord pour rapatrier plus de pouvoirs, par exemple en matière de regroupement familial, mais a été moins incisive durant la campagne. Le Parti Québécois (PQ) continue de mettre en avant que seule la souveraineté donnerait au Québec le plein contrôle de son immigration. Le Parti libéral du Québec (PLQ) voudrait que le Québec, plutôt que le gouvernement fédéral, contrôle l’admission d’immigrants temporaires. À l’opposé, le Parti conservateur du Québec (PCQ) désire que la province rapatrie toutes les compétences. Bien que souverainiste, Québec solidaire n’évoque quasiment pas cet aspect : son programme mentionne seulement le « rapatriement des pouvoirs fédéraux ».
Derrière ces revendications, ce sont des rapports de force plus larges qui doivent être envisagés entre Ottawa et le Québec : le prochain gouvernement sera-t-il en mesure d’exiger plus de marge de manœuvre ?
Combien ?
La question des seuils a peut-être fait couler le plus d’encre depuis la sortie du PQ, qui souhaite une diminution du nombre d’immigrants permanents admis au Québec à 35 000 par année. En 2018, le PQ disait vouloir « dépolitiser » cette question, et que le seuil dépende des recommandations de la Vérificatrice générale du Québec.
La CAQ souhaite plutôt maintenir ce même seuil à 50 000 immigrants. Il faut dire qu’en 2018, la CAQ avait été la seule à recommander une baisse des seuils (à 40 000, à l’époque). Le PCQ n’a pas avancé de chiffre, mais il a qualifié la proposition caquiste d’« acceptable ». Québec solidaire (QS) et le (PLQ) souhaitent chacun une hausse du nombre d’immigrants, à 70 000 pour le PLQ, et entre 60 000 et 80 000 pour QS. Cette discussion est l’arbre qui cache la forêt : aucun parti ne discute ouvertement des chiffres de l’immigration temporaire qui, eux, ont explosé (ils représentaient 64 % des immigrants internationaux en 2019).
Qui ?
Quels immigrants les partis politiques souhaitent-ils voir s’établir dans la province ? Une réponse commune semble être : des francophones. Le PQ met en avant que le critère de la maitrise du français doit être accru dans la sélection des immigrants, non seulement permanents, mais aussi temporaires, par exemple en limitant la proportion d’étudiants étrangers allophones à 20 % du total.
Le PCQ met l’accent sur la « compatibilité civilisationnelle » des immigrants et leur connaissance du français. Le PLQ et QS insistent aussi sur l’importance du français, tout en se montrant plus souples, en particulier à l’égard des immigrants récents. Cette question de la connaissance du français est un marronnier de la politique québécoise d’immigration. Faut-il sélectionner en amont des francophones (ce qui mène à privilégier certaines zones géographiques) ou des francophiles, ou plutôt parier sur la francisation après l’arrivée ?
Où ?
Les partis en lice se rejoignent davantage sur la question de la répartition des immigrants dans la Belle Province, alors que depuis des décennies la grande majorité de l’immigration est concentrée dans la région de Montréal. Tous encouragent la régionalisation de l’immigration, avec des mesures plus ou moins incitatives (par exemple, en ne sélectionnant que les immigrants qui voudront s’installer ou sont déjà installés en région). Par exemple, le PQ, qui vise une cible de 50 % de l’admission en région, donnerait priorité aux immigrants prêts à s’y installer. QS aussi soutient une telle priorisation. Le PLQ, lui, consulterait les régions sur leurs besoins en immigration. Force est de constater que quelque chose ne fonctionne pas, puisque des politiques en ce sens existent depuis les années 1970 !
Les réussites politiques de la CAQ gardées sous silence
Étrangement, alors que plusieurs éléments détaillés ci-dessus ont reçu beaucoup d’attention, un aspect important reste absent du débat public : le bilan de la CAQ en matière d’immigration.
Pourquoi la CAQ ne fait-elle pas campagne sur ses réalisations ? Elle a pourtant été particulièrement active sur les thématiques liées à l’immigration et plus largement à l’identité, comme nous le montrons dans deux chapitres de l’ouvrage Bilan du gouvernement de la CAQ : Entre nationalisme et pandémie, dirigé par l’équipe du Polimètre.
Le test des valeurs avait été un élément clivant de la campagne de 2018. Dès le début de son mandat, la CAQ a fait adopter un tel test, requis pour accéder à la résidence permanente en tant qu’immigrant économique, et qui constituait une demande du PQ. Alors que la CAQ pourrait argumenter que ce test aide le Québec à contrôler l’immigration permanente dans la province, ce thème est totalement absent de sa campagne. Était-il seulement symbolique ?
En parallèle, alors que le premier ministre a posé plusieurs fois la question de l’impact de l’immigration sur la cohésion sociale et le fait français, les réalisations conséquentes de la CAQ en matière de francisation et d’intégration des immigrants sont peu mentionnées – voire méconnues. La CAQ a ainsi élargi l’accès à la francisation subventionnée ou même gratuite aux immigrants temporaires, ainsi que l’accès à des modules de soutien à l’intégration, des mesures plutôt progressistes en contexte canadien. Pourquoi ne pas mettre en évidence cet investissement massif en immigration ? La CAQ craint-elle que ses réussites en matière d’immigration ne déplaisent à sa base électorale ?
Aussi, la CAQ n’a fait que peu mention de l’importance accordée par le gouvernement Legault depuis 2018 à la régionalisation de l’immigration, ce qui a entraîné un redéploiement significatif d’agents de terrain du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) en région, ainsi que de l’accroissement budgétaire des ressources des organismes communautaires mandatés pour y soutenir l’intégration. Peut-être est-il trop tôt pour évaluer l’impact concret de cet investissement relativement massif de ressources, mais cela peut quand même surprendre.
Plus surprenant encore, les autres partis n’interpellent quasiment pas le parti au pouvoir sur son bilan, préférant amener les discussions sur la question des seuils, ou bien le premier ministre sur ses sorties en apparence hostiles à l’immigration – sans vraiment rentrer dans le détail concret des réalisations en matière de politique publique.
À quelques jours de l’élection, au-delà des déclarations choc, les partis n’ont toujours pas communiqué dans le détail leur approche concrète aux électeurs. Comme le montre notre ouvrage récent (Nouvelles dynamiques de l’immigration au Québec), les questions migratoires sont centrales à l’avenir social, économique, linguistique du Québec. Permettre aux citoyens de mieux comprendre comment les différents partis proposent de gérer ce secteur de politique et travailler à créer des échanges démocratiques – basés sur les données probantes sur l’immigration – devrait être au cœur des préoccupations de tous les partis.