
« Il faudrait une fontaine de Jouvence dans laquelle dissoudre les structures sociales sclérosées du corps politique. »
C.P. Kindleberger
Croissance de la productivité et innovation sont deux facteurs clés dans l’amélioration du niveau de vie et du bien-é‚tre économique d’un pays. Et mé‚me si ces facteurs sont difficiles aÌ€ mesurer, on peut affirmer, aÌ€ la lumié€re des données disponibles, que le Canada ne se porte pas tré€s bien aÌ€ ce chapitre. Certes, on conçoit chaque année au Canada des processus, des biens et des services inédits et ils sont élaborés selon des méthodes de plus en plus perfectionnées. Mais la croissance de la productivité et la capacité d’innova- tion du Canada sont sensiblement inférieures aÌ€ celles des EÌtats-Unis, notre premier partenaire commercial, et inférieures aussi aÌ€ celles de nombreux pays de l’OCDE. D’ouÌ€ notre con- viction que le Canada pourrait faire mieux. Pas surprenant qu’on ait observé une baisse relative de notre niveau de vie, mesuré d’apré€s le PIB par habitant, tant par rapport aux EÌtats- Unis que vis-aÌ€-vis la moyenne des pays de l’OCDE. En fait, l’écart semble s’é‚tre creusé au cours des 25 dernié€res années.
Le couÌ‚t de notre inaction face aÌ€ cette détérioration a été appréciable. On peut d’ailleurs le chiffrer : en 2005, le niveau du PIB du Canada serait augmenté de quelque 100 milliards de dollars si productivité et innovation addi- tionnelles avaient pu faire croiÌ‚tre le taux de croissance du PIB d’un demi de 1 p. 100 par année au cours des derniers 20 ans. On ne peut qu’imaginer comment ces ressources supplémentaires auraient permis de répondre aÌ€ des besoins sociaux prioritaires.
Les avantages engendrés par l’innovation et la croissance de la productivité font l’objet d’un tel consensus qu’on pourrait s’attendre que les acteurs des secteurs privé, public et communautaire investissent les efforts et les ressources nécessaires pour assurer une meilleure performance au Canada. Mais il y a une telle ignorance de la dynamique qui sous-tend l’un et l’autre processus, et une telle incertitude pour ce qui est des rendements qu’on peut escompter de ce genre d’investissement, que les initiatives en ce sens restent souvent en plan parce que jugées trop risquées. C’est pourquoi les dépenses de recherche-développement sont si faibles dans une société comme le Canada, peu encline aÌ€ prendre de véritables risques.
Autre obstacle aÌ€ ce genre d’investissement : ceux qui investissent dans des efforts pour améliorer la capacité d’in- novation et augmenter la productivité ne récoltent pas nécessairement tous les fruits de leurs efforts car les retombées profitent souvent aÌ€ des partenaires qui n’ont pas eu aÌ€ contribuer aÌ€ ces efforts. Par exemple, Daniel Trefler, dans un article paru dans Options politiques il y a quelques années, cite une étude montrant que, sans prendre la moindre ini- tiative, le Canada pourrait jouir d’un taux de croissance de sa productivité de 2 p. 100 si les EÌtats-Unis décidaient d’investir 1 p. 100 de plus en recherche-développement. Ce genre de retombées non méritées ne peut qu’inviter aÌ€ la resquille et aÌ€ faire qu’on va lésiner sur ce genre d’in- vestissement.
Enfin, certains signes indiquent que le Canada, pays pourtant relative- ment jeune, devient une « économie vieillissante » empé‚trée dans des rigi- dités sociales qui l’empé‚chent de s’adapter aux défis d’un monde en rapide évolution. Les économies vieil- lissantes « prennent de moins en moins de risques, se cramponnent aux anciennes techniques mé‚me s’il en existe de nouvelles et de meilleures, résistent aux rationalisations et ten- dent aÌ€ surprotéger leur main-d’œu- vre », ce qui compromet généralement leur capacité aÌ€ se transformer, comme l’ont noté Charles P. Kindleberger, dans The Aging Economy, et Mancur Olson, dans The Rise and Decline of Nations.
Pareil dysfonctionnement inciterait normalement les pouvoirs publics aÌ€ prendre des mesures susceptibles de corriger ces faiblesses du marché et d’éliminer ces rigidités sociales. Mais en dépit des efforts soutenus d’Industrie Canada pour porter ces questions aÌ€ l’attention du public, la population est restée de glace. Selon différents sondages cités par William Watson dans The Review of Economic Performance and Social Progress, seule- ment 14 p. 100 des Canadiens ayant complété leurs études secondaires (ou moins) comprennent les enjeux de la productivité et de l’innovation.
Cette absence d’intéré‚t s’explique en grande partie par trois blocages.
Le premier se trouve du coÌ‚té des économistes. Pour bon nombre d’entre eux, la complexité et les difficultés de mesurer les phénomé€nes de producti- vité et d’innovation ont éteint l’intéré‚t pour ces questions. Mé‚me si ces forces sont au cœur de l’augmentation du revenu par habitant et du niveau de vie, les facteurs aÌ€ la source des gains de pro- ductivité et de l’innovation sont aÌ€ la fois si diffus et encore si mal connus ”” les études sur ces questions étant sou- vent peu concluantes, les instruments de mesure posant des problé€mes re- doutables, et les solutions mécaniques s’avérant presque introuvables ”” que les économistes ont eu tendance aÌ€ con- centrer leurs recherches sur des domaines censément « plus concrets et pratiques » comme la plomberie des politiques fiscales et monétaires ou l’arithmétique des surplus et déficits des budgets et de la balance des paiements.
Le deuxié€me blocage découle du sentiment anti-croissance propagé par les campagnes des moralisateurs, des environnementalistes, des groupes sai- sis par la phobie des déficits, et des autres croisés qui s’en prennent aux couÌ‚ts du développement économique et dénoncent le « culte de l’efficacité ». Il s’agit d’un mouvement déjaÌ€ puissant aux EÌtats-Unis, mais plus encore au Canada. Ce mouvement anti-croissance a des effets néfastes. Faut-il rappeler que la croissance économique, en créant une pression sur la demande, stimule la concurrence pour les ressources rares et incite aÌ€ une réorganisation des proces- sus de production porteuse de produc- tivité et d’innovation?
Le troisié€me blocage a trait aÌ€ une profonde incompréhension, chez ceux qui ont des fonctions officielles, du roÌ‚le de précepteur qui est inhérent au fardeau de leur charge. Les leaders se doivent d’é‚tre des éducateurs et des animateurs en mesure de « reca- drer » la vision que les citoyens se font du domaine public, d’élabo- rer une structure de formation réciproque et de « mettre en marche le processus d’apprentis- sage » nécessaire aÌ€ l’émergence, si possible, d’un consensus latent, comme dirait David Marquand. En d’autres mots, ils doivent aider les citoyens aÌ€ faire des choix éclairés, fondés sur la « meilleure compréhension possible des con- séquences de ces choix et de celle des solutions de rechange les plus intéressantes », pour citer le poli- tologue Robert Dahl.
Or il est clair que tant les élus que les bureaucrates ont aÌ€ peu pré€s renoncé aÌ€ ce roÌ‚le de précepteur et d’é- claireur. Au Canada, un grand nombre d’entre eux se contentent de surveiller les sondages d’opinion, sans se soucier de leur responsabilité d’informer la population de l’importance des gains de productivité et de l’innovation.
Pour accroiÌ‚tre la productivité et stimuler l’innovation, individus et organisations doivent miser sur leur esprit d’entreprise, leur ingéniosité et leur imagination pour coordonner de manié€re heureuse leurs activités, ou combler toute lacune dans le processus de coordination, en faisant le meilleur usage possible des ressources dont ils disposent. Rarement cette démarche est-elle l’affaire d’une seule personne. Elle nécessite le plus souvent la colla- boration de nombreux acteurs, lesquels doivent avoir un minimum de con- fiance les uns envers les autres pour pouvoir coopérer. VoilaÌ€ qui pose un grand défi de gouvernance puisque gou- vernance est un autre mot pour coordi- nation efficace, quand le pouvoir, les ressources et l’information sont large- ment dispersés entre plusieurs mains.
Ingéniosité, esprit d’entreprise et confiance sont des capacités sociales qui constituent des facteurs de produc- tion aussi importants que les ressources naturelles, la main-d’œuvre ou le capi- tal. Mais il s’agit de facteurs singuliers, de « ressources empouvoirantes » qui sont au cœur de ce qu’Alfred Marshall appelait le « capital organisationnel ».
Le déploiement et le bon usage de l’ingéniosité technique dépendent de l’existence d’institutions de base capa- bles de soutenir la création et le main- tien de telles capacités, tout autant que des pressions exercées pour assurer le plein et le meilleur usage de ces « ressources empouvoirantes ».
Cet appui institutionnel prend la forme de biens publics (signaux de marchés efficaces, organismes de financement perspicaces, associations industrielles, espaces de coopération entre établissements de recherche et industriels, réseaux de travail, gou- vernements capables de se faire entremetteurs et catalyseurs, etc.) qui procurent aux innovateurs et entrepre- neurs des infrastructures matérielles et psychologiques nécessaires pour tisser des liens, se coaliser ou en arriver aÌ€ des accords sur ce qui pourrait é‚tre des contraintes dynamisantes. Pour ce qui est des pressions incitant aÌ€ l’action, elles émanent de la concurrence et du fonctionnement de marchés qui répondent bien aux phénomé€nes de rareté et aux goulots d’étranglement. C’est de laÌ€ que viennent les pressions qui dictent aux entreprises qui veulent survivre les impératifs d’amélioration et d’innovation continues.
Les économistes ont peu envie d’ex- plorer le terrain quelque peu suspect des « ressources interpersonnelles empou- voirantes ». Ils ont grandement laissé ce travail d’exploration des arcanes socio- psychologiques et organisationnelles des socio-économies aÌ€ des politologues comme Thomas Homer-Dixon et Francis Fukuyama, ou aÌ€ des économistes francs- tireurs comme Harvey Leibenstein. Or les travaux de ces derniers ont montré qu’il existe bel et bien des forces, des institutions et des contextes qui stimu- lent l’esprit d’entreprise, la confiance et l’ingéniosité. Rareté des ressources, disponibilité du capital, associations, réseaux et solide financement de la recherche peuvent y contribuer. Au con- traire, rigidités sociales et déficiences du marché tendent aÌ€ leur faire obstacle. C’est pourquoi le défi de créer les sou- tiens et les pressions susceptibles de catalyser les processus de croissance de productivité et d’innovation commande la fin de certains dénis, la nécessité de reconnaiÌ‚tre les blocages inhérents aux institutions actuelles, et une meilleure appréciation du pouvoir de persuasion de la concurrence.
Au fil du temps, la trame institu- tionnelle de la socio-économie (c’est-aÌ€-dire les ré€gles du jeu qui autorisent, orientent et motivent les comportements) évolue, et les change- ments que cela entraiÌ‚ne ont des effets d’écho sur la croissance économique.
L’ancien régime (qui a plus ou moins prédominé dans les économies occiden- tales comme le Canada jusqu’aÌ€ la révolu- tion industrielle et commerciale), s’est institué dans des ré€gles du jeu visant aÌ€ minimiser les risques collectifs, sous la contrainte qu’il fallait quand mé‚me dégager un niveau de revenu conve- nable. Axée fondamentalement sur la sécurité, cette trame institutionnelle a évolué au cours du sié€cle précédant la Confédération. Elle va lentement céder la place aÌ€ un régime moderne qui a donné forme aÌ€ des institutions comme les sociétés aÌ€ responsabilité limitée et diverses technologies sociales visant aÌ€ « maximiser » (plus ou moins) la valeur ajoutée globale, mais en s’as- surant qu’on n’expose pas les citoyens aÌ€ un niveau de risque qui dépasse un certain maximum. C’est dans cette é€re dominée par l’idéolo- gie de la croissance économique qu’est née la Constitution du Canada.
L’accélération du développe- ment économique dans la période qui va suivre (de mé‚me que l’accentua- tion des incertitudes et des turbu- lences induites par la rapidité de ce changement) a entraiÌ‚né l’avé€nement au XXe sié€cle d’un nouveau cadre institutionnel, celui du régime contem- porain (dont on a fini par parler comme de l’EÌtat-providence), carac- térisé par un ensemble d’institutions conçues pour réduire les risques de débaÌ‚cles sociales et individuelles tout en préservant des conditions mi- nimales de croissance de la valeur ajoutée. C’est une culture de « risque minimal » dont nous restons, encore aujourd’hui, largement prisonniers.
Cette culture du risque minimal reste beaucoup plus profondément ancrée dans la psyché du Canada que dans celle des EÌtats-Unis. Selon le credo d’une importante partie de l’intelli- gentsia canadienne, l’EÌtat-providence serait trop peu interventionniste (mé‚me s’il redistribue déjaÌ€ une forte proportion du PIB) et sérieusement menacé (malgré l’apparent échec de toutes les tentatives pour le réformer). De fait, selon les chiffres rapportés par Frank L. Graves et Richard Jenkins dans The Review of Economic Performance and Social Progress, la moitié de la population se disait tou- jours convaincue en 1999 que les craintes en matié€re de productivité étaient « forgées » par la grande entre- prise et les Canadiens bien nantis, et que les impératifs de productivité et d’inno- vation constituaient les priorités de Bay Street et non du commun des mortels.
En conséquence, l’avé€nement au Canada d’un nouveau régime adapté aÌ€ la nouvelle conjoncture ”” une trame institutionnelle privilégiant la crois- sance économique tout en s’assurant que les citoyens seront protégés des risques individuels et collectifs inac- ceptables ”” ne s’est pas encore réalisé. Les couÌ‚ts de cette pathologie de gou- vernance sont énormes puisque l’on peut attribuer une bonne part de nos lacunes en matié€re de productivité et d’innovation aÌ€ ce dysfonctionnement.
Pour réparer les dégaÌ‚ts, il est nécessaire mais sans doute insuffisant de modi- fier le cadre institutionnel. AÌ€ moins d’exercer certaines pressions sur les agents et organisations pour qu’ils améliorent leur rendement, beaucoup de gaspillage risque de subsister dans le fonctionnement de la socio-économie. Et c’est précisément dans ce domaine que la concurrence peut jouer un roÌ‚le majeur.
Comme le montre William Baumol dans Free-Market Innovation Machine, la concurrence oligopolis- tique entre grandes entreprises est le schéma dominant des économies modernes. Et pour ces entreprises, l’in- novation est l’atout concurrentiel absolu. En fait, le régime de libre entre- prise a ce grand pouvoir de générer presque machinalement des activités porteuses d’innovation, de « routini- ser » presque cesactivités : elles sont aÌ€ ce point indispensables aÌ€ la survie des entreprises que celles-ci ne peuvent laisser le hasard se charger d’apporter des mesures innovantes et des gains de productivité. C’est d’autant plus important qu’un usage plus efficace des contrats de licence et des prises de participation, de mé‚me que la simplifi- cation des processus de commercialisa- tion et la diffusion des nouvelles technologies, permet maintenant aÌ€ la fois une certaine internalisation des retombées externes de l’innovation et une accélération du transfert des inno- vations technologiques.
Dans la nouvelle organisation industrielle fondée sur des structures modulaires (les grappes et les réseaux), les petites et moyennes entreprises sont intégrées aÌ€ la fois horizontalement et verticalement dans des structures de production exerçant une pression qui les force aÌ€ produire et aÌ€ innover en permanence, ainsi qu’on l’a montré dans le collec- tif Managing in the Modular Age. Dans la mesure ouÌ€ ce genre d’organisation reste relativement moins développé au Canada par rapport aÌ€ d’autres pays, moins de pression s’y exerce pour susciter réseaux d’entreprises et grappes industrielles, ou pour orchestrer et intégrer les activités d’unités flexibles ouÌ€ la mise en com- mun de l’information, des pratiques et des normes incite les sous-unités aÌ€ produire mieux, et aÌ€ moindres couÌ‚ts, et aÌ€ innover.
Mais la concurrence interna- tionale oblige maintenant le Canada aÌ€ réagir. Si la faiblesse du dollar a longtemps masqué la dure réalité des parts de marché perdues aÌ€ cause du manque de productivité et d’innovation, cette réalité nous a maintenant rattrapés.
Cela nécessitera un recadrage de nos perspectives, une restructuration majeure et certains ajustements d’outillage. Mais c’est dans l’ordre inverse que s’effectueront ces change- ments, car il est plus facile de bricoler quelques changements de mécanismes que de modifier en profondeur la structure d’un systé€me et de faire évoluer les mentalités. Mais la théorie de ce qu’on croit é‚tre en train de faire, les structures, et les technolo- gies sont fondamentalement interdépendantes : tout change- ment apporté aÌ€ l’une de ces composantes se répercute sur les autres.
Réoutillage : les mécanismes man- quants. L’économie canadienne est han- dicapée par une performance relativement faible en matié€re de R&D et par son retard aÌ€ se convertir aux nou- velles technologies. DéjaÌ€, on a fait pres- sion pour réduire l’impoÌ‚t des sociétés dans l’espoir de favoriser l’investissement en R&D et en équipements et d’accélérer l’adoption des dernié€res technologies de l’information. Plus généreuses, les ré€gles d’amortissement pourraient notamment inciter les entreprises aÌ€ investir davantage dans leur propre modernisation et aÌ€ l’ac- célérer. Mais une amélioration du régime de crédit d’impoÌ‚t pour les dépenses de R&D (déjaÌ€ relativement généreux) ne suf- fira pas aÌ€ redresser la situation et pourrait mé‚me é‚tre inutile. Il faut aussi en priorité mettre l’accent sur l’enrichissement de ce que Peter Nicholson appelle l’« environ- nement R&D ».
C’est déjaÌ€ commencé graÌ‚ce aÌ€ des ini- tiatives liées aÌ€ des infrastructures de recherche comme la Fondation cana- dienne pour l’innovation. Mais il faut aussi que « les gouvernements encou- ragent les activités des associations industrielles et les autres formes de col- laboration assurant la circulation efficace de l’information parmi les secteurs et les entreprises du pays » ainsi que l’écrivent Rolf Weder et Herbert G. Grubel. Les gouvernements peuvent aider grande- ment en facilitant l’élaboration de cartes routié€res technologiques (www.strate- gis.ic.ca) de mé‚me qu’en étoffant et mo- dernisant le roÌ‚le de l’Office canadien de la propriété intellectuelle.
De telles initiatives de collabora- tion, cependant, peuvent aussi entraiÌ‚- ner la chasse aux rentes et favoriser la défense d’intéré‚t acquis. Pour l’éviter, il faut donc également et en parallé€le favoriser l’augmentation de la concur- rence. On y arrivera en libéralisant les restrictions canadiennes sur les investissements directs en provenance de l’étranger. VoilaÌ€ qui exercera forcé- ment sur le secteur privé une pression l’obligeant aÌ€ plus de productivité et d’innovation. Dans la mé‚me foulée, la suppression des barrié€res commerciales entre les provinces pourrait aussi inten- sifier la concurrence et inciter le secteur privé aÌ€ moderniser plus rapidement sa machinerie et ses équipements.
Restructuration : une nouvelle organi- sation industrielle. Augmentation de la productivité et accélération de l’innovation ne s’obtiennent pas par décret. Elles sont surtout une réponse aÌ€ la menace représentée par les fournisseurs étrangers et le résultat d’un changement de nature dans l’organisation industrielle. Pour prendre la place des grandes entreprises nationales qui dominaient la scé€ne économique il y a aÌ€ peine une génération, il y a émergence de systé€mes locaux d’innova- tion relativement flexibles (sachant s’insérer au sein de réseaux mondiaux mais aussi faire bon usage des capacités des cités-régions et des commu- nautés de pratiques) qui ont réussi aÌ€ briser la chaiÌ‚ne de valeur en une variété de fonctions dis- cré€tes. Ces nouveaux systé€mes d’innovation ont utilisé diverses formes de liaison (partenariats, affiliations, prises de participa- tion, spécialisation verticale, four- nisseurs spécialisés, etc.) qui n’exigent pas qu’il y ait un seul propriétaire pour tout le systé€me intégré mais exercent une pression considérable en matié€re de productivité et d’innovation.
Les gouvernements ont un roÌ‚le aÌ€ jouer pour faciliter la transition vers ce nouveau « mode de production » déjaÌ€ en plein essor dans d’autres régions du monde. Mais aider ainsi ces systé€mes locaux d’innovation aÌ€ s’établir puis aÌ€ s’intégrer aÌ€ des réseaux mondiaux s’ar- rime souvent mal aux ambitions de créer des systé€mes « nationaux » d’in- novation. D’ouÌ€ la nécessité d’une révo- lution culturelle chez les entreprises canadiennes habituées aÌ€ réclamer des gouvernements leur lot de protections, de subventions et de gratifications plutoÌ‚t qu’un appui dans leur transition vers une organisation industrielle inno- vante et productive.
La dynamique de cette nouvelle organisation industrielle repose sur la modularité, la con- currence et des systé€mes d’innovation de type neuromimétique qui favorisent une participation illimitée aux marchés mondiaux des idées, des technologies et des produits intermédiaires. Elle réclame une approche de gouvernance coévolutive et polycen- trique, une combinaison d’institutions axées sur la production du savoir et des cibles déter- minées non pas comme des objectifs absolus mais comme une série d’incitations aÌ€ rectifier les attentes, aÌ€ modifier les habitudes et aÌ€ trouver de nouvelles pistes d’innovation.
D’ouÌ€ l’importance d’échanges per- manents avec les intervenants clés dans des méso-forums aptes aÌ€ susciter les synergies, les initiatives et les interactions les plus visibles et les plus efficaces. Grappes, réseaux et filié€res seront les nouvelles unités d’analyse, et les méso- forums les plus utiles émaneront vraisemblablement de conseils métropo- litains de technologies inspirés de ceux que proposait en 1984 le Conseil des sciences du Canada, ou d’une stratégie de soutien aux réseaux d’entreprises.
Recadrage : l’EÌtat straté€ge. Il sera aussi nécessaire d’élaborer un nouveau langage de définition de problé€mes. Tant que les citoyens dans leur ensem- ble cultiveront l’utopie d’un monde dénué de risques et d’un systé€me de redistribution qui les proté€ge mur aÌ€ mur contre tout mauvais sort, ils con- tinueront aÌ€ se comporter de façon irre- sponsable. Comme le relé€ve Michael J. Mandel dans The High-Risk Society, nous vivons dans une société forte- ment exposée au risque et ouÌ€ le seul droit vraiment raisonnable consiste aÌ€ é‚tre assuré contre des événements catastrophiques ou des cas de fatalité.
Les attentes sont en train de s’amenuiser aÌ€ mesure que s’affaiblit le sentiment du droit sacré aÌ€ une protec- tion universelle contre l’incertitude. Les secteurs commerciaux et industriels sont de plus en plus confrontés aux réalités de la concurrence internationale, et les EÌtats-nations ont peu aÌ€ offrir pour les protéger contre l’im- pératif d’innovation. Mais le discours officiel persiste aÌ€ faire l’impasse sur ces changements, et les mordus de l’EÌtat providence continuent de pré‚cher que rien ne doit changer. Ce discours public dysfonctionnel doit radicalement évoluer si l’on veut donner priorité aÌ€ la prise de risque, aÌ€ l’esprit d’entreprise et aÌ€ l’ingéniosité.
Le message complexe du nouveau régime doit é‚tre transmis aÌ€ tous les citoyens et aÌ€ toutes les entreprises : ils doivent comprendre qu’un « EÌtat straté€ge » aÌ€ la fois plus moderne et plus modeste est en voie de supplanter l’an- cien EÌtat-providence. Et que cette transi- tion marquera la fin du modé€le de « gouvernement » que nous connais- sons fondé sur la hiérarchie et la coerci- tion. Il sera remplacé par un modé€le de gouvernance multiniveaux, plus ouvert, polycentrique et moins coercitif, fondé sur des partenariats entre les secteurs public, privé et communautaire.
Dans l’esprit d’un des ouvrages de Geoffrey Vickers, Human Systems are Different, ce texte s’in- téresse moins aÌ€ « résoudre des problé€mes qu’aÌ€ comprendre des situa- tions ». Le ré€glement des problé€mes ne représente que 15 p. 100 de la fonction de gouvernance, qui doit surtout viser une compréhension approfondie des réalités moins dis- cernables et moins structurées.
Il s’agit d’une taÌ‚che fort difficile qui nécessitera qu’on expérimente beau- coup, qu’on accepte que les expériences doivent varier d’un secteur et d’une région aÌ€ l’autre, et que ces expériences pourront se solder par de nombreux échecs. Le mot d’ordre dans ces circons- tances est le suivant : viser le minimum de regrets plutoÌ‚t que le succé€s rapide.
Les failles de la gouvernance ne pourront é‚tre réparées simplement en multipliant les bricolages de machins et d’emplaÌ‚tres. Il faudra aÌ€ terme enclencher un véritable changement culturel. Mais tout recadrage stratégique doit reposer sur une restructuration réussie et un réoutillage astucieux. Ce genre de démarche nécessite des qualités qui n’ont pas la cote par les temps qui courent : la patience et l’art du compromis. (Article traduit de l’anglais)