Dans un récent discours prononcé devant un prestigieux groupe de réflexion américain, la vice-première ministre Chrystia Freeland a appelé à une plus grande coopération entre les démocraties afin de saper le pouvoir des régimes autoritaires. Cette « doctrine Freeland » sera mise à l’épreuve lors de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques qui se tient présentement en Égypte. Lors de l’événement, le Canada doit prendre des mesures concrètes concernant le cadre de réparation climatique au cœur des négociations de cette année s’il veut être pris au sérieux dans la poursuite des objectifs déclarés de cette doctrine, à savoir saper le pouvoir autoritaire des pétro-États et inciter davantage de pays à rejoindre le camp démocratique.

L’allocution de Mme Freeland peut être comprise de différentes manières, mais nous adopterons ici l’interprétation la plus généreuse, à savoir qu’elle représente une approche intransigeante de la construction d’un monde meilleur en période de crise.

Elle débute son allocution en affirmant que l’invasion de l’Ukraine a tué, une fois pour toutes, le rêve que l’expansion du capitalisme entraîne inévitablement la paix et la démocratie dans son sillage. Dans un clin d’œil implicite aux critiques qui ont identifié le pouvoir et la cupidité des entreprises – et non pas un idéalisme mal placé – comme le principal moteur de la mondialisation, elle reconnaît que l’expansion du commerce en l’absence de règles fondées sur des valeurs a          « enrichi les ploutocrates, mais pas le peuple » tout en renforçant le pouvoir des régimes autocratiques.

La réponse proposée par Mme Freeland s’appuie sur trois piliers.

Le premier est l’amilocalisation (friendshoring), un type de commerce où les démocraties multiplient les échanges commerciaux entre elles et limitent leurs échanges avec la Russie, la Chine et les pays de l’OPEP. Mmm Freeland affirme également que « le système d’approvisionnement auprès de pays amis se doit d’être écologique. La malédiction du pétrole est bien réelle, tout comme la dépendance d’un grand nombre de démocraties aux pétrotyrans du monde. »

Le puissant lobby canadien du pétrole et du gaz tentera sans doute d’utiliser l’amilocalisation comme un argument en faveur d’une plus grande production nationale. Pourtant, si nous voulons affaiblir le pouvoir des pétro-États (et faire face à la menace existentielle des changements climatiques), la seule véritable solution est d’accélérer la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, chez nous comme ailleurs.

Toute autre solution ne fait que déplacer les ressources ailleurs, les exportations russes passant de l’Europe aux nations « intermédiaires » (dixit Mme Freeland, qui utilisait le terme in-between nations) qui font l’objet du deuxième pilier de la vice-première ministre. Elle affirme que, dans la compétition émergente entre les démocraties et les régimes autocratiques, l’alliance des démocraties (riches) doit maintenir une ouverture aux nations « intermédiaires » du Sud global.

Elle admet – et c’est tout à son honneur – que ces pays se méfient à juste titre des promesses des nations riches. « [L]es mesures mises en place pour défendre l’ordre international fondé sur des règles, la démocratie et les droits de la personne étaient axées sur nos propres intérêts », explique-t-elle. « L’histoire montre que l’occident n’est pas étranger à l’impérialisme ou aux accords tacites », poursuit-elle plus loin.

Cette hypocrisie avouée se fait bien sentir dans notre réponse à la crise climatique.

La convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992 a reconnu qu’il y avait une injustice fondamentale au cœur de la crise climatique : les populations historiquement marginalisées ou vivant dans le Sud global ont le moins contribué à l’accumulation de gaz à effet de serre, mais finissent souvent par subir l’essentiel des conditions météorologiques extrêmes et de la montée des eaux. Le principe convenu de responsabilités communes mais distinctes a été réitéré dans l’Accord de Paris. Pourtant, depuis 30 ans, les nations riches n’ont pas pris de mesures pour remédier à cette inégalité.

Cependant, les négociations climatiques de l’ONU en Égypte cette année sont centrées sur la prise en compte des « pertes et dommages », qui reflètent les dommages causés par les changements climatiques dans le monde entier – en particulier dans les communautés les plus vulnérables. Qu’il s’agisse des inondations au Pakistan, de la sécheresse dans la Corne de l’Afrique ou des incendies en Colombie-Britannique, les impacts climatiques ne sont plus une préoccupation mondiale future mais un problème d’actualité tant pour les régimes démocratiques qu’autoritaires.

Les promesses vides ne suffiront pas. Si le Canada et ses alliés veulent vraiment conserver leur crédibilité auprès des nations « intermédiaires », nous devons prendre trois engagements d’ici la fin du sommet sur le climat.

Le premier consiste en un mécanisme mondial des Nations Unies pour le financement des pertes et des dommages, soutenu par une taxe sur les pollueurs climatiques. Le Canada devrait contribuer financièrement à ce fonds qui devrait être distinct et s’ajouter au soutien existant en matière d’atténuation et d’adaptation.

Le second concerne un soutien aux moyens de développement alternatifs. Les collectivités touchées ont droit à des réparations sous forme de financement, de technologies et de transferts de connaissances. Chez nous comme ailleurs, nous devons bâtir un nouveau système qui priorise les personnes et la planète plutôt que la dette et qui réaffecte les budgets gouvernementaux à la protection et au soutien des communautés affectées par les catastrophes climatiques.

Dans ce nouveau système, l’économie et la société respecteraient les limites de la planète, de son air, de son eau, des forêts et du climat, et favoriseraient la résilience de nos communautés. Dans le même temps, les gouvernements doivent accroître la transparence, favoriser la paix et la coopération entre les pays, et mettre en œuvre des politiques et des mécanismes qui obligent les États et les entreprises à rendre des comptes.

Le troisième concerne un plan accéléré d’élimination progressive des combustibles fossiles au pays et ailleurs – un enjeu sur lequel Mme Freeland a hésité. La seule véritable voie vers la paix et la sécurité passe par une transition rapide vers des énergies renouvelables à faible impact. Le Canada, qu’on le veuille ou non, est un État dépendant du pétrole. Nous pouvons donc faire preuve d’un véritable leadership sur la façon de rendre cette transition plus équitable en soutenant les travailleurs et les communautés qui dépendent actuellement des combustibles fossiles.

Si nous poursuivons ces trois stratégies et que nous y accordons un financement réel, non seulement nous renforcerons notre crédibilité auprès des nations touchées par les changements climatiques, mais nous deviendrons un exemple à suivre dans le plan d’action global.

Le troisième pilier de la doctrine Freeland consiste à tourner le dos aux régimes autoritaires, bien que la vice-première ministre reconnaisse que même si nous choisissons de limiter les liens économiques, nous devons « travailler avec eux afin de préserver des objectifs communs concernant le monde. Cela veut dire, d’abord et avant tout, continuer de collaborer pour contrer la plus grave menace qui pèse sur nous : celle des changements climatiques. »

Le Canada a l’habitude de prononcer de beaux discours sur les changements climatiques. À la conférence sur le climat en Égypte, il est temps de joindre le geste à la parole.

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Eddy Pérez
Eddy Pérez est le responsable de la diplomatie climatique internationale au Réseau Action Climat, le réseau canadien le plus étendu travaillant sur les questions de changements climatiques et d'énergie.
Keith Stewart
Keith Stewart est stratège principal en matière d'énergie à Greenpeace Canada et donne un cours sur la politique énergétique à l'Université de Toronto.

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