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La politique canadienne de bilinguisme officiel a été conçue pour assurer l’égalité et l’inclusion des francophones, et comme une reconnaissance des Britanniques et des Français en tant que peuples fondateurs. Bien entendu, ce récit ne tient pas compte des peuples autochtones, dont les langues sont fortement menacées.

Après des siècles d’assimilation forcée et de tentative d’effacement, le nombre de locuteurs de langues autochtones continue de diminuer et, selon l’UNESCO, environ 75 % des langues autochtones du Canada sont en danger. Pour éviter qu’elles ne continuent de disparaître, des mesures énergiques doivent être prises pour les protéger et les revitaliser.

Dans une note récente, un groupe de fonctionnaires autochtones a demandé une plus grande équité pour les employés de la fonction publique qui utilisent une langue autochtone comme deuxième langue au travail. Les politiques actuelles permettent aux fonctionnaires qui parlent à la fois le français et l’anglais de recevoir des primes annuelles de 800 dollars. De plus, elles permettent aux unilingues de postuler à des postes bilingues, puis de recevoir une formation en anglais ou en français langue seconde. L’attribution de ces primes a été qualifiée de discriminatoire, car les personnes qui utilisent deux langues canadiennes au travail devraient être rémunérées de manière égale pour leurs compétences, et pas seulement celles qui parlent les deux langues officielles.

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Le mémo des fonctionnaires demande plusieurs modifications de ces politiques afin de les rendre plus accessibles et plus inclusives pour les employés autochtones. Il demande des exemptions générales aux exigences d’emploi bilingue français-anglais pour les employés ou les candidats qui peuvent parler une langue officielle et au moins une langue autochtone. Avec ce type d’exemption, une personne pourrait occuper un poste bilingue sans nécessairement parler français et anglais, pour autant qu’elle parle une langue autochtone. L’exemption donnerait également la possibilité d’apprendre une langue autochtone comme langue seconde pour répondre aux exigences du poste. Cependant, le Conseil du Trésor a fermement rejeté cette proposition, déclarant qu’il ne changera jamais le principe fondamental du bilinguisme dans la fonction publique.

Dans une certaine mesure, le Canada a reconnu le tort fait aux langues autochtones et a introduit des lois, notamment la Loi sur les Langues autochtones et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui contiennent des protections pour les langues autochtones et la promesse d’un financement stable et prévisible pour les efforts de revitalisation. Cette approche ne tient pas compte du fait qu’il s’agit d’une question multidimensionnelle qui nécessite bien plus qu’un simple financement. La longue liste de politiques racistes et assimilatrices à l’encontre des peuples autochtones, notamment la Loi sur les Indiens et les pensionnats, a eu des effets durables sur leurs langues et leurs cultures. Ces politiques ont créé des stigmates et de la honte autour de la pratique des langues, et ont créé une hiérarchie où l’anglais et le français ont pris le pas sur ces langues en termes de protection, de financement, d’opportunités d’emploi, et plus encore.

Cette hiérarchisation ne concerne pas seulement les employés de la fonction publique fédérale. La récente nomination de Mary Simon au poste de gouverneur général a suscité la controverse chez les francophones. Mme Simon est une femme inuite qui parle couramment l’anglais et l’inuktitut, mais pas le français. Elle s’est engagée à apprendre le français, mais nombreux sont ceux qui affirment que sa nomination viole les dispositions de la Charte qui donnent à l’anglais et au français un statut égal dans le pays, et qui remettent donc en question la validité de cette nomination.

Pour faire sa part dans la réparation des dommages causés aux langues autochtones, le Canada doit être plus inclusif et encourager les gens à apprendre une langue autochtone. Offrir une rémunération plus élevée aux employés du gouvernement qui utilisent une de ces langues dans le cadre de leur travail et offrir de la formation à ceux qui n’en connaissent aucune est une façon d’inciter les gens à apprendre une langue autochtone ou à l’enseigner à d’autres. Pour cette raison, le gouvernement fédéral devrait réévaluer sa position sur les exemptions générales et les primes accordées aux fonctionnaires qui parlent une langue autochtone.

Toutefois, ce remède n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan lorsqu’il s’agit de réparer les torts passés et présents causés aux peuples autochtones, notamment en matière de langues.

La capacité du gouvernement fédéral à élaborer des politiques qui améliorent le statut des langues autochtones est limitée, car tout écart par rapport au bilinguisme officiel porterait atteinte au fragile équilibre entre le français et l’anglais. Bien que la diversité des langues autochtones doive absolument être célébrée et considérée comme un atout, le nombre même de ces langues crée un défi administratif au niveau fédéral. Comme on estime leur nombre à 70, il est difficile d’adopter des politiques générales qui tiennent compte des besoins particuliers de chacune et de toutes les communautés afin de contribuer de manière significative aux efforts de revitalisation.

Cependant, contrairement au gouvernement fédéral, les provinces et les territoires ont la possibilité de rehausser le statut de ces langues dans leurs champs de compétence.

Il vaudrait la peine de désigner les langues autochtones selon une catégorie linguistique particulière, avec un statut adéquat, des services accessibles, un financement stable et des possibilités de croissance personnelle et professionnelle. Pour des raisons pratiques, cette désignation devrait idéalement refléter la répartition géographique des langues autochtones.

Par exemple, chaque province et territoire pourrait reconnaître toutes les langues autochtones qui y sont parlées comme des langues officielles régionales. Celles-ci pourraient être financées en partie par le gouvernement fédéral et administrées à l’échelle provinciale et territoriale, de sorte qu’elles puissent être facilement intégrées à d’autres domaines de compétence qui leur sont propres, comme l’éducation, les soins de santé, la gestion des ressources naturelles, etc. Non seulement cela permettrait aux gens d’accéder à des services dans leur langue, mais cela créerait également des opportunités d’emploi pour les personnes qui les parlent. Toutefois, il est essentiel que les nations concernées jouent un rôle actif dans l’attribution et l’administration de ces fonds, et que tout programme ou initiative connexe soit élaboré en collaboration avec elles.

Cette politique élèverait le statut des langues autochtones et les rendrait plus accessibles dans chaque province et territoire. Ce type de politique ne nécessiterait pas d’amendement constitutionnel et pourrait donc être mis en œuvre relativement rapidement, par rapport à une approche visant à leur accorder un statut élevé au niveau fédéral. En outre, cette solution serait probablement plus acceptable sur le plan politique, car elle ne modifierait pas explicitement le statut bilingue du pays et ne rencontrerait probablement pas le type de résistance auquel les suggestions contenues dans le mémo ont été confrontées.

Des lois semblables ont déjà été rédigées ou adoptées dans certaines provinces et certains territoires. La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest reconnaît neuf langues autochtones comme langues officielles du territoire, en plus des langues officielles fédérales. La Loi sur les langues officielles du Nunavut reconnaît la langue inuite (l’inuinnaqtun et l’inuktitut) comme langue officielle du territoire, aux côtés des langues officielles fédérales. La Mi’kmaw Language Act de la Nouvelle-Écosse reconnaît le mi’kmaq comme la langue d’origine de la province.

En bref, le Canada doit jouer un rôle plus actif dans le soutien des efforts de revitalisation des communautés autochtones. Si l’on ne s’attaque pas à la discrimination systémique dont sont victimes les peuples autochtones et leurs langues, puis si l’on ne crée pas un environnement où celles-ci peuvent se développer et s’épanouir, le financement limité que le pays accorde aux nations et aux communautés ne sera pas aussi efficace. Quelle que soit la voie choisie par le Canada pour aborder la question de la revitalisation des langues autochtones, une politique réussie nécessitera une consultation approfondie et des partenariats continus avec les communautés autochtones. Elle doit garantir que ces communautés sont reconnues comme les experts et les autorités sur leurs propres langues. Les politiques qui en découlent doivent refléter leurs préoccupations et leurs idées.

Cet article a gagné le Prix IRPP de mobilisation des connaissances en 2022, un concours créé à l’occasion du 50e anniversaire de l’Institut.

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Brittany McDonald
Britanny MacDonald détient un baccalauréat et une maîtrise en linguistique, ainsi qu'une maîtrise en politiques publiques récemment obtenue à l'Université de Calgary. Elle travaille au Groupe Caillou, une firme de consultants autochtones basée à Calgary. Vous pouvez la suivre sur Twitter à @brittfmcdonald.

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