Cet article a été traduit de l’anglais.

La confiance du public dans la science est cruciale pour le bon fonctionnement des sociétés contemporaines. Lorsqu’elle est utilisée par les élus et les décideurs politiques, la science soutient des choix politiques difficiles, tels que les changements économiques visant à lutter contre le réchauffement climatique ou les restrictions des libertés individuelles au nom de la santé publique.

Mais pour que la science soit digne de confiance, les chercheurs doivent faire preuve d’un comportement responsable. Ils doivent mener des études rigoureuses, réduire les sources de biais et être honnêtes dans leurs publications de recherche. Lorsque des revues scientifiques prestigieuses retirent des études et entraînent un scandale, il est normal de s’en inquiéter. En mai dernier, la rétractation de la prestigieuse revue médicale The Lancet d’une étude très médiatisée sur la COVID-19 pourrait saper la confiance du public dans la science. Mais serait-ce justifié ?

Le « Lancetgate »

Au début de la pandémie de COVID-19, certains experts, commentateurs et politiciens ont présenté le médicament hydroxychloroquine comme une thérapie « miracle » qui pourrait traiter et même prévenir certains des pires symptômes de la maladie.

Il s’en est suivi une augmentation de la demande pour ce médicament, qui était utilisé depuis les années 1950 pour traiter la malaria, et, plus tard, les affections rhumatologiques. Toutefois, de nombreux scientifiques ont estimé qu’il y avait peu de preuves à l’appui de l’efficacité de l’hydroxychloroquine pour la COVID-19. Étant donné la crise et le besoin urgent de traitements, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alors coordonné des essais cliniques pour évaluer la sécurité et l’efficacité de ce médicament (ainsi que d’autres traitements médicamenteux prometteurs).

Le 22 mai 2020, The Lancet a publié une étude sur l’hydroxychloroquine de Mandeep Mehra (Brigham and Women’s Hospital et Université Harvard), Sapan Desai (Southern Illinois University School of Medicine) et Amit Patel (Université de l’Utah). Selon leur étude, l’hydroxychloroquine n’était pas efficace contre la COVID-19 et pouvait même être nocive, causant de graves problèmes cardiaques et diminuant les taux de survie à l’hôpital.

Sur la base de ces informations, de nombreux pays ont mis fin à leurs études cliniques sur l’hydroxychloroquine. Mais d’autres chercheurs ont mis en doute la qualité et l’exactitude de l’étude, en partie parce qu’elle était basée sur des données douteuses. Les chiffres présentés ne correspondaient pas aux données nationales officiellement publiées. L’étude comprenait aussi des données provenant d’un nombre impressionnant de 671 hôpitaux de six continents, une collecte qui, selon toute probabilité, aurait été impossible à effectuer dans ce court laps de temps. La base de données avait été élaborée par Surgisphere Corporation, une petite société privée appartenant à l’un des auteurs (Sapan Desai), ce qui a suscité également des inquiétudes quant à d’éventuels conflits d’intérêts.

The Lancet a alors lancé un examen indépendant pour évaluer l’étude, mais s’est vu refuser l’accès aux données de Surgisphere, ce qui rendait impossible la démonstration de leur véracité. Pendant ce temps, d’autres études avaient utilisé les données de Surgisphere.

Dans la foulée de cet examen, une étude sur les médicaments contre l’hypertension et la COVID-19 a été retirée du New England Journal of Medicine. De même, un outil d’aide à la décision fondé sur les données de Surgisphere et distribué dans 26 pays africains a été abandonné. Les conséquences de tels retraits ont été importantes, non seulement pour la communauté scientifique, mais aussi pour les professionnels, les décideurs politiques et le public.

Comment se produisent les rétractations ?

Les rétractations de publications de revues savantes ne sont malheureusement pas rares et ont augmenté ces dernières années, en partie à cause d’une attention accrue et d’un meilleur contrôle éditorial. Environ la moitié des rétractations sont dues à la falsification, à la fabrication de résultats ou au plagiat. L’autre moitié relève d’erreurs involontaires.

Plus problématique est toutefois qu’environ 2 % des chercheurs ont admis avoir falsifié, fabriqué ou modifié des données, mais leurs études n’ont pas été rétractées. Autrement dit, les recherches douteuses et peu fiables restent dans la littérature scientifique et peuvent donc influencer d’autres recherches et décisions politiques.

« Publier ou périr » est un slogan familier pour décrire le fait que les chercheurs sont censés faire preuve de productivité en publiant leurs travaux. En outre, étant donné les besoins très réels de sécurité publique en raison de la pandémie actuelle, l’ensemble du système de recherche a été contraint d’aller plus vite. Le financement et la sélection de projets ont augmenté, mais il y a eu aussi des pressions pour accélérer l’évaluation éthique de la recherche, la revue par les pairs et la publication. Bien que certains chercheurs puissent tirer parti de cette situation, la plupart d’entre eux se sentent investis d’une responsabilité individuelle et collective de mener de bonnes recherches qui font une différence pour la société.

Faire confiance à la recherche scientifique en dépit d’erreurs ?

Heureusement, la science ne repose pas uniquement sur quelques études ou publications. Dans n’importe quel domaine, les études menées sont nombreuses, et elles sont évaluées et critiquées par d’autres experts en la matière. Au fil du temps, les résultats peuvent être validés ou invalidés, et on peut en tirer des conclusions et de nouvelles connaissances.

La COVID-19 a modifié ce processus de production de connaissances. Dans les médias, nous voyons maintenant régulièrement des articles qui examinent des résultats préliminaires d’« études précliniques » et nourrissent une sorte d’espoir pour une thérapie particulière, sous-entendant qu’un remède est « presque à nos portes ».

Pour aggraver les choses, il existe également des pressions politiques importantes pour mettre au point  des vaccins en un temps record, même si cela implique d’« arrondir les angles ». Non seulement cette situation crée des attentes irréalistes, mais elle peut en fait limiter la créativité et l’innovation scientifiques et donner lieu à des études mal conçues ou mal menées, qui ne se traduiront pas par des vaccins sûrs et efficaces.

La réalité de la science est qu’il faut du temps pour explorer l’inconnu, pour déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les faux départs et les impasses apparents sont des éléments normaux d’un processus qui, lorsqu’il est mené honnêtement, conduit à des découvertes et à des innovations qui ont changé le monde.

Pourquoi faut-il parler des limites de la recherche scientifique ?

Les décisions en santé publique ― qu’il s’agisse de mesures de confinement ou de la mise au point de médicaments ― sont justifiées lorsqu’elles sont fondées sur une science fiable et une présentation transparente. Le scandale du « Lancetgate » et l’histoire de l’hydroxychloroquine mettent en évidence les problèmes qui surviennent lorsque les scientifiques ne sont pas dignes de confiance.

Mais dans ce cas précis, le processus scientifique et son système autocorrectif de critique ont permis de corriger le dossier scientifique. Lorsque les chercheurs ont lu les articles de Surgisphere dans les revues savantes, ils ont écrit au rédacteur en chef et ont demandé publiquement qu’ils soient retirés.

La situation est en fait plus problématique lorsque la science ne corrige pas ses propres erreurs et balaie les erreurs sous le tapis. La transparence, qui est au cœur même du processus scientifique, et l’honnêteté de révéler les erreurs permettent la production de connaissances fiables. Cela fait progresser le bien public et c’est ainsi que les scientifiques montrent qu’on peut et qu’on doit leur faire confiance.

Photo : Shutterstock / ARTPROXIMO

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Elise Smith
Elise Smith est professeure adjointe au Département de médecine préventive et santé de la population à la Faculté de médecine de l’Université du Texas, et membre de l’Institute for Translational Sciences et de l’Institute for the Medical Humanities.
Bryn Williams-Jones
Bryn Williams-Jones est directeur des programmes de bioéthique et professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Ses recherches sont axées sur les conflits socio-éthiques et politiques dans la recherche universitaire et la pratique professionnelle, et visent à élaborer des outils éthiques pour gérer ces conflits quand ils ne peuvent être évités. Il est rédacteur en chef de la Revue canadienne de bioéthique.

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