Tenue dans le contexte de l’actuelle pandémie, l’élection présidentielle de 2020 n’avait rien d’ordinaire. Le taux de participation a été le plus élevé de tous les temps ― quelque 160 millions d’électrices et d’électeurs se sont rendus aux urnes ―, et Joe Biden a remporté la victoire en battant le record du plus grand nombre de votes enregistrés pour un candidat. L’appui de certains segments de l’électorat au président sortant Donald Trump a aussi augmenté, et il a pu récolter environ 10 millions de votes de plus qu’en 2016.

Après chaque élection, à plus forte raison celle du 3 novembre 2020, plusieurs questions se posent, notamment sur la catégorisation des électrices et électeurs et le comportement des différents segments de l’électorat. Bien qu’offrant certaines réponses, les sondages effectués à la sortie des urnes tracent un portrait partiel de la participation électorale de certains groupes. Souvent repris par les médias (traditionnels et sociaux), ces sondages donnent lieu à des analyses qui tendent à présenter l’électorat, ou certains segments de l’électorat, comme un tout homogène. Elles ne permettent guère de comprendre les subtilités et la dynamique du comportement électoral, car les catégories analytiques des sondages se fondent le plus souvent sur un ou deux indicateurs. Conséquemment, des conclusions hâtives dépeignent une Amérique aux divisions multiples, amalgamant des segments de l’électorat en blocs homogènes.

Les électrices, un réel bloc électoral ?

Parmi ces divisions, le « fossé de genre » (« gender gap ») ― soit l’écart entre le soutien des hommes et celui des femmes à un candidat ou à un parti ― a occupé une place prépondérante dans l’espace médiatique. En effet, les femmes, qui constituent 52 % de l’électorat, étaient pressenties comme un bloc électoral potentiellement décisif. Célébrant cette année le 100e anniversaire de l’obtention de leur droit de vote, les femmes sont, depuis 1980, plus nombreuses que les hommes à s’en prévaloir. Que ce soit dans les courses sénatoriales clés, comme au Colorado et en Arizona, ou afin de faire tourner au bleu des États rouges par le vote des femmes des banlieues, les électrices étaient courtisées par les deux partis. Leur impact potentiel était tel que Donald Trump a, durant un rallye, imploré les femmes des banlieues de bien vouloir l’aimer.

Même si elles sont souvent regroupées sous un même parapluie ― et parfois considérées comme un « groupe électoral minoritaire » même si elles représentent plus de la moitié de l’électorat américain ―, les femmes constituent un groupe électoral diversifié et non pas monolithique. Ainsi, malgré leurs limites, les analyses préliminaires découlant des sondages à la sortie des bureaux de vote indiquent que les électrices semblent avoir majoritairement soutenu le tandem Biden-Harris. Toutefois, la décomposition du vote selon le seul autre marqueur ajouté au genre dans ces sondages, soit l’origine ethnoculturelle (et pour les femmes blanches, le niveau d’éducation dans l’une des questions), dresse un tableau beaucoup plus nuancé. En effet, alors que 91 % des Afro-Américaines et femmes noires et 70 % des Latino-Américaines ont soutenu le Parti démocrate, chez les femmes blanches, 55 % se sont rangées derrière le président sortant, qui a ainsi amélioré légèrement sa performance par rapport à 2016. Toutefois, selon le principe du « winner-takes-all », les femmes blanches ont alors été associées en bloc à Donald Trump, sans qu’on tienne compte d’autres critères d’affiliation identitaire.

En effet, alors que 91 % des Afro-Américaines et femmes noires et 70 % des Latino-Américaines ont soutenu le Parti démocrate, chez les femmes blanches, 55 % se sont rangées derrière le président sortant, qui a ainsi amélioré légèrement sa performance par rapport à 2016.

Les conclusions que nous pouvons tirer de ces sondages demeurent limitées, car l’analyse s’appuie uniquement sur deux marqueurs identitaires, soit le genre et l’origine ethnoculturelle. Pourtant, les études sur le comportement électoral démontrent bien que plusieurs facteurs influencent le vote : le niveau d’éducation, le statut socioéconomique, le positionnement géographique, l’affiliation religieuse, le milieu de vie… La prise en considération de seulement deux marqueurs identitaires livre un portrait tronqué de l’électorat féminin, tout en encourageant les généralisations, dans les médias, au sujet du comportement des électrices, qui se trouvent associées en bloc à l’un ou l’autre parti.

Élargir et accroître les catégories d’analyse

L’agglomération de pans de l’électorat sous des parapluies identitaires homogènes ne s’applique pas qu’aux électrices. À la suite de l’annonce de la victoire de Trump en Floride — et sa performance surprise auprès de l’électorat latino-américain dans certains comtés, dont Miami-Dade, jusqu’alors fief démocrate —, plusieurs ont affirmé que le vote latino-américain s’était rallié derrière le Parti républicain. Or, en Arizona, l’inverse s’est produit : la mobilisation latino-américaine a été un élément central pour la victoire de Biden dans cet État qui le Parti démocrate n’avait pas remporté depuis 1996.

Bien que limités, les résultats des sondages à la sortie des urnes sont repris dans les grands médias, tant aux États-Unis qu’à l’international. D’une information partielle, on tire des conclusions générales et simplifiées. Le portrait de l’électorat s’en trouve altéré : des groupes hétérogènes sont dépeints comme homogènes. Par conséquent, certains éléments essentiels à l’étude du comportement électoral sont évacués de la discussion.

Bien que limités, les résultats des sondages à la sortie des urnes sont repris dans les grands médias, tant aux États-Unis qu’à l’international. D’une information partielle, on tire des conclusions générales et simplifiées.

Pour surmonter ces écueils, il faut d’une part abandonner les analyses s’appuyant sur un ou deux marqueurs identitaires et d’autre part s’armer de patience. D’abord, du côté des sondages, il importe d’élargir et d’accroître les catégories d’analyse, tout en prenant en considération les croisements entre celles-ci, afin de tenir compte d’éléments ignorés, tels que la relation entre genre, origine ethnique et éducation, ou encore entre genre et positionnement géographique. Par exemple, on présume encore que le sous-groupe formé des femmes des banlieues se résume aux électrices blanches, malgré une évolution démographique des banlieues qui remet en cause cette affirmation. Dans cette optique, les zones suburbaines devraient avoir soutenu Trump, puisqu’il a remporté la majorité du vote des femmes blanches. Or l’appui au Parti démocrate dans ces zones a plutôt crû. Une partie de l’explication réside dans la diversité accrue des banlieues dans plusieurs États. Une question recoupant le genre, l’origine ethnique et le milieu de vie aurait permis une analyse plus fine du vote, notamment en prenant en compte le phénomène de polarisation géographique. En ce sens, ajouter des questions qui recoupent plusieurs marqueurs identitaires permettrait d’obtenir un portrait moins dichotomique des tendances du vote dans les sondages postélectoraux.

Ensuite, il importe que les médias soient patients et prudents dans leurs analyses généralisatrices. Les sondages à la sortie des urnes peuvent orienter la discussion, mais il faut en souligner les limites. Les données complètes arrivent beaucoup plus tard. À preuve, les données portant sur les élections de mi-mandat de 2018 viennent tout juste d’être publiées par le Pew Research Center.

La réalisation de sondages à la sortie des urnes n’est pas en soi problématique, mais les généralisations faites à partie d’un échantillon très mince de l’électorat le sont. Bien qu’il reste des votes à dépouiller et que le processus de transition soit sujet à de vives divisions, il semble déjà possible de tirer une conclusion : on doit remettre en question la catégorisation des électeurs et électrices selon un seul indicateur. Des analyses fondées sur un seul indicateur sont limitées et ont des conséquences concrètes, puisqu’elles ne reflètent pas l’hétérogénéité de l’électorat. Ce n’est qu’en tenant compte des multiples facteurs qui influencent ultimement le vote qu’on pourra brosser un portrait complet, représentatif et utile de l’électorat disparate des États-Unis. Un portrait plus nuancé, alliant plusieurs marqueurs identitaires, pourrait notamment outiller les partis afin d’arrimer discours, campagnes et réalités de l’électorat.

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle américaine de 2020.

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Andréanne Bissonnette
Andréanne Bissonnette est doctorante en science politique et chercheuse en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

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