(Cet article a Ă©tĂ© traduit de lâanglais.)
Le vieillissement de la population et la baisse de la natalitĂ© rendent les immigrants essentiels Ă la croissance Ă©conomique du Canada. Mais mĂȘme si notre politique migratoire vise le recrutement de personnes souvent trĂšs qualifiĂ©es, plusieurs dâentre elles ne peuvent exercer les compĂ©tences qui Ă©taient pourtant leur porte dâentrĂ©e au pays.
Une des clĂ©s de la rĂ©ussite du Canada consiste Ă pouvoir attirer les Ă©trangers les plus talentueux : les travailleurs, les entrepreneurs et les Ă©tudiants. Il est donc important de comprendre lâavantage Ă©conomique quâils reprĂ©sentent, de mĂȘme que leur contribution Ă la culture et dans les communautĂ©s.
Un bon point de dĂ©part serait de reconnaĂźtre le rĂŽle considĂ©rable que les nouveaux arrivants ont jouĂ© pendant la pandĂ©mie en tant que travailleurs de premiĂšre ligne â souvent dans des emplois qui nâattiraient personne, en santĂ© ou en alimentation â, mais aussi les torts quâils subissent en raison des stĂ©rĂ©otypes et de la discrimination, voire mĂȘme de la haine, en particulier chez les minoritĂ©s visibles ou religieuses.
La crĂ©ation dâun environnement qui rend justice aux talents des immigrants suppose des mesures Ă plusieurs niveaux, Ă commencer par une meilleure Ă©valuation de leurs compĂ©tences et la rĂ©duction des obstacles bureaucratiques qui se dressent sur le chemin de leur rĂ©sidence permanente.
Les immigrants ont gĂ©nĂ©ralement un niveau dâĂ©ducation plus Ă©levĂ©, mais des taux dâemploi et de rĂ©munĂ©ration plus faibles. En Ontario, le sous-emploi touche 44 % des ingĂ©nieurs formĂ©s Ă lâĂ©tranger. Certains professionnels formĂ©s Ă lâĂ©tranger, comme les mĂ©decins, sont confrontĂ©s Ă des obstacles presque insurmontables qui les empĂȘchent dâexercer leur mĂ©tier ici.
Au Canada, 42 % des nouveaux arrivants rĂ©cents â ceux qui sont ici depuis moins de cinq ans â sont dans une situation de sous-emploi, contre 29 % aux Ătats-Unis. Ce sous-emploi coĂ»te environ 50 milliards de dollars Ă lâĂ©conomie canadienne, chaque annĂ©e.
MalgrĂ© leurs discours sur la pĂ©nurie de travailleurs qualifiĂ©s, les employeurs ne regardent clairement pas au bon endroit pour dĂ©nicher les talents. La plupart recrutent Ă travers des rĂ©seaux informels plutĂŽt que par des offres dâemploi publiques, et les candidats avec un nom « étranger » ont beaucoup moins de chances dâobtenir une entrevue. Quant Ă la reconnaissance de leurs titres, tous les immigrants ne sont pas dans le mĂȘme bateau : ceux qui ont reçu leur diplĂŽme en Europe, aux Ătats-Unis ou en OcĂ©anie ont davantage de chances de trouver un emploi qui correspond Ă leur niveau dâĂ©tudes.
Certains sont poussĂ©s au travail autonome par le manque dâopportunitĂ©s sur le marchĂ© de l’emploi. D’autres encore doivent se tourner vers lâĂ©conomie Ă la demande et composer avec la prĂ©caritĂ© qui l’accompagne. Mais dâautres sont aussi rĂ©ellement attirĂ©s par lâentrepreneuriat, et auraient fait ce choix mĂȘme si on leur avait offert un emploi traditionnel. Les immigrants sont dâailleurs surreprĂ©sentĂ©s parmi les entrepreneurs, ce qui les rend essentiels Ă lâinnovation et Ă la croissance Ă©conomique.
Bien quâils soient davantage portĂ©s Ă exporter, Ă innover et Ă gĂ©nĂ©rer de la croissance, les entrepreneurs immigrĂ©s, en particulier les Noirs, se heurtent Ă©galement Ă des obstacles dans lâaccĂšs au capital. Dans le contexte actuel, alors que ces immigrants peuvent choisir entre le Canada et dâautres pays, il est donc essentiel de non seulement attirer le talent international, mais de pouvoir le retenir.
Les problĂšmes Ă rĂ©gler sont nombreux. Plus le niveau de scolaritĂ© d’un immigrant augmente, par exemple, moins il a de chance d’ĂȘtre satisfait de l’aide Ă lâemploi offerte dans les services aux immigrants. De leur cĂŽtĂ©, les employeurs sont souvent frustrĂ©s devant les dĂ©marches Ă entreprendre et la fragmentation des services.
De nombreuses compagnies ne demandent qu’Ă embaucher des immigrants, mais ont de la difficultĂ© Ă identifier les bons candidats. Les petites et moyennes entreprises manquent tout particuliĂšrement de ressources et de patience quand vient le temps d’aller Ă la pĂȘche aux informations et aux services, qui se trouvent souvent dispersĂ©s chez diffĂ©rents prestataires.
Des actions à plusieurs niveaux seront nécessaires pour que cesse ce gaspillage de talents.
Il est essentiel de dĂ©velopper de meilleures politiques organisationnelles chez les Ă©tablissements dâenseignement, les agences de services d’Ă©tablissement, les groupes communautaires et les employeurs.
Confronter les préjugés des Canadiens
Il faudra également encourager les Canadiens à modifier leurs attitudes et comportements et à surmonter leurs préjugés pour devenir des alliés des nouveaux arrivants.
Pour commencer, il faudra rafraĂźchir les politiques migratoires. Les critĂšres applicables aux immigrants dits « économiques » devraient mieux correspondre aux besoins du marchĂ© de l’emploi et des employeurs. Certains projets pilotes sont prometteurs, mais ils restent lourds et trop limitĂ©s.
Les objectifs fixĂ©s quant aux mĂ©tiers spĂ©cialisĂ©s, par exemple, ne correspondent pas Ă ce que recherchent les employeurs, qui continuent Ă manquer de journaliers, de conducteurs dâĂ©quipement lourd, de travailleurs agricoles et de transformateurs dâaliments. Ces types de travailleurs ont en effet peu de moyens de venir au Canada, et ceux qui y parviennent sâexposent Ă se faire exploiter. De mĂȘme, les seuils dâimmigration pour les aides-soignants et les prĂ©posĂ©s aux bĂ©nĂ©ficiaires sont en nombre insuffisants pour rĂ©pondre Ă la demande, qui a beaucoup augmentĂ©.
Pour les immigrants Ă©conomiques, le processus dâobtention du statut de rĂ©sident permanent devrait ĂȘtre simplifiĂ© notamment pour le systĂšme EntrĂ©e express et les programmes des candidats des provinces, notamment. Cette obtention devrait Ă©galement ĂȘtre facilitĂ©e pour les travailleurs temporaires, les Ă©tudiants Ă©trangers, ou quiconque rĂ©pond aux besoins du marchĂ© du travail.
Il faudrait aussi se dĂ©barrasser des vestiges Ă©tranges dâanciennes politiques. Alors que les universitĂ©s font de gros efforts pour retenir les Ă©tudiants internationaux en leur permettant dâobtenir rapidement la rĂ©sidence permanente, par exemple, le gouvernement continue dâexiger que les demandeurs de visa dâĂ©tudiant promettent de retourner dans leur pays dâorigine. En plus d’envoyer un signal contradictoire (« Vous ĂȘtes les bienvenus ! Mais pas trop, quand mĂȘme… »), il en rĂ©sulte des situations bizarres, voire paradoxales. Par exemple, des Ă©tudiants afghans accueillis au Canada il y a un an et qui avaient terminĂ© avec succĂšs une partie de leurs Ă©tudes se sont vus refuser le visa parce que les fonctionnaires ne croyaient pas quâils retourneraient dans leur pays dâorigine !
Lâemploi est essentiel non seulement au bien-ĂȘtre Ă©conomique des nouveaux arrivants, mais aussi Ă leur sentiment dâappartenance et Ă leur santĂ© mentale. Câest pourquoi il est impĂ©ratif dâamĂ©liorer les processus de reconnaissance de leurs diplĂŽmes et compĂ©tences afin quâils puissent pratiquer leur profession ou leur mĂ©tier. Il y a donc des barriĂšres Ă faire tomber du cĂŽtĂ© des ordres professionnels et des mĂ©tiers spĂ©cialisĂ©s. La nouvelle loi ontarienne est un bon dĂ©but, mais elle exclut encore les professionnels de la santĂ©. Il faudrait prioriser les programmes dâemploi et de formation novateurs axĂ©s sur lâemployeur, comme lâapprentissage intĂ©grĂ© au travail ou la formation linguistique en milieu de travail.
Dossiers dâOptions politiques : Lâavenir du travail et de la formation
Les grandes entreprises ne sont pas les seules portes d’accĂšs au monde de l’emploi. Les petites entreprises reprĂ©sentent prĂšs de 69 % des emplois du secteur privĂ© au Canada. Or, ces employeurs ne sont pas suffisamment inclusifs dans lâembauche dâimmigrants et il reste bien du travail Ă faire dans ce sens.
Les gouvernements provinciaux et leurs agences se bornent Ă faire du tourniquet alors quâils ont le pouvoir de faciliter bien des choses. Ils pourraient commencer par supprimer les obstacles injustifiables Ă lâaccĂšs aux professions rĂ©glementĂ©es. Si lâon veut espĂ©rer attirer les meilleurs et les plus brillants, les politiques gouvernementales, notamment entre QuĂ©bec et Ottawa, devraient ĂȘtre mieux coordonnĂ©es. Et il faudrait mieux outiller les immigrants pour les prĂ©parer Ă ce qui les attend Ă leur arrivĂ©e.
Beaucoup reste Ă faire pour rĂ©ellement placer les employeurs au centre des programmes destinĂ©s Ă lâemploi. Ceux-ci devraient sâappuyer sur les compĂ©tences individuelles des nouveaux arrivants afin de les aider Ă comprendre le marchĂ© du travail. Malheureusement, on leur propose trop souvent des programmes de formation qui nâont aucun lien avec un quelconque emploi.
ParallĂšlement, les employeurs doivent reconsidĂ©rer leurs mĂ©thodes et processus de recrutement pour y Ă©liminer les prĂ©jugĂ©s et les obstacles, mais Ă©galement crĂ©er des lieux de travail plus inclusifs permettant aux nouveaux arrivants de tirer le maximum de leurs compĂ©tences. On expĂ©rimente actuellement avec des approches prometeuses qui lient les perspectives d’emploi au financement des formations linguistiques, des dĂ©marches d’Ă©tablissement et d’acquisitions de compĂ©tences. Il convient dâaccorder la prioritĂ© aux programmes d’aide Ă l’emploi et de formation novateurs qui produisent des rĂ©sultats et qui rĂ©pondent Ă des besoins identifiĂ©s, notamment quant Ă lâapprentissage intĂ©grĂ© au travail ou Ă la formation linguistique en milieu de travail.
Les programmes centrĂ©s sur lâemployeur sâavĂšrent particuliĂšrement efficaces. Plusieurs provinces ont des conseils pour lâemploi des immigrants qui traitent les employeurs comme des partenaires dans la conception et lâexĂ©cution des programmes. Dâautres intermĂ©diaires â associations industrielles, services communautaires, Ă©tablissements postsecondaires, consultants â se concentrent sur les formations et les emplois les plus demandĂ©s. Ces programmes, ainsi que les plates-formes technologiques de jumelage Ă lâemploi comme Magnet produisent des rĂ©sultats mesurables. La reconnaissance de lâentrepreneuriat en tant que voie dâinclusion Ă©conomique devrait Ă©galement faire partie du mĂ©lange.
Collaborer pour faire tomber les obstacles
La collaboration et le partage entre les intervenants doivent ĂȘtre encouragĂ©s, afin dâaider les nouveaux arrivants Ă sâorienter dans les services â par exemple, en mettant en place un guichet unique plus ciblĂ© pour lâaccĂšs aux services et au soutien dans plusieurs langues. Les nouvelles tables rondes et les nouveaux portails communautaires reprĂ©sentent une amĂ©lioration notable, mais il faut parfaire lâergonomie des portails et lâinformation offerte en fonction des besoins des nouveaux arrivants. La dĂ©sagrĂ©gation des donnĂ©es, lâĂ©valuation des impacts des programmes gouvernementaux, de meilleures pratiques et les analyses coĂ»ts-avantages aideront Ă dĂ©terminer ce qui fonctionne le mieux et pour qui.
Comprendre les obstacles du cĂŽtĂ© de la demande auprĂšs des employeurs est Ă©galement essentiel pour tirer profit de tous les talents qui entrent au pays. Il est de plus en plus Ă©vident quâune culture dâentreprise inclusive qui valorise la diversitĂ©, les perspectives et les talents des nouveaux arrivants se traduit sur les rĂ©sultats des entreprises. Les employeurs doivent repenser leurs mĂ©thodes de recrutement, de sĂ©lection, de dĂ©veloppement et de promotion.
Lâenjeu de lâaccueil et de lâintĂ©gration des nouveaux arrivants ne se limite pas au nombre de travailleurs manquant sur le marchĂ© du travail. Les Ă©tudes dĂ©montrent quâils contribuent Ă la rĂ©ussite des entreprises de nombreuses maniĂšres : innovations en recherche et dĂ©veloppement, nouveaux produits et services, meilleur accĂšs aux marchĂ©s mondiaux, meilleur service pour une clientĂšle de plus en plus diversifiĂ©e, etc. Et câest pourquoi la plupart des employeurs qui ont lâhabitude dâembaucher des immigrants continuent Ă le faire.
Le premier pas, qui consiste à ouvrir la porte, demeure un défi pour plusieurs. Bien entendu, nous devons également veiller à ce que les nouveaux arrivants aient accÚs à des conditions de travail décentes, à de bons soins de santé, à une éducation appropriée et à des protections pour prévenir les abus et les risques de santé.
Parce quâen fin de compte, le succĂšs des immigrants fera le succĂšs du Canada.
Cet article fait partie du dossier spĂ©cial Lâavenir du travail et de la formation.