Au Québec, plusieurs enjeux médicosociaux touchant les aînés reçoivent habituellement une couverture médiatique limitée. Mais depuis plusieurs semaines déjà, la pandémie de COVID-19 met les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au-devant de la scène, soulignant les problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés. Ces problèmes sont bien documentés, autant par les chercheurs que les instances publiques, notamment le Protecteur du citoyen. En date du 9 mai 2020, 63,7 % des décès attribués à la COVID-19 se sont produits en CHSLD. Comme c’est malheureusement souvent le cas avec les politiques publiques, il a fallu une crise d’une ampleur inédite pour que les conditions de vie des aînés en CHSLD s’ajoutent à la liste des priorités gouvernementales et, par conséquent, mobilisent la classe politique.

Alors que toute l’attention est dirigée vers les CHSLD, il est primordial de souligner que plusieurs aînés ayant des incapacités ou des maladies de longue durée demeurent chez eux tout en recevant de l’aide de proches aidants et d’intervenants. Ce sont d’ailleurs les proches aidants qui fournissent la majorité de ces soins, mais cette aide bénévole reste souvent dans l’ombre, même si sa valeur économique est de 4 à 10 milliards de dollars par année.

Le fédéralisme et les soins de longue durée

Depuis le début de la crise, le premier ministre du Québec François Legault ainsi que son homologue fédéral Justin Trudeau se sont engagés à améliorer les conditions de vie des aînés, notamment en CHSLD. Après avoir annoncé que son gouvernement considérait d’étendre la Loi canadienne sur la santé pour y inclure les résidences pour aînés, M. Trudeau a fait volte-face le lendemain en mentionnant sa volonté de respecter les compétences provinciales. Les soins de longue durée sont considérés comme des « services de santé complémentaires » dans cette loi. Concrètement, aucune norme fédérale n’est imposée aux provinces, qui peuvent développer (ou réformer) les soins de longue durée comme bon leur semble, tant pour ce qui est de l’offre et de l’organisation des services que des modalités de financement.

Mais sans nécessairement inclure les soins de longue durée dans la Loi canadienne sur la santé, rien n’empêche le gouvernement fédéral d’augmenter le Transfert canadien en matière de santé. Toute augmentation des transferts fédéraux pourrait aider les provinces à améliorer ces soins, puisqu’elles peuvent utiliser l’argent d’Ottawa dans les domaines qu’elles jugent prioritaires. Le journaliste de la CBC Aaron Wherry rappelle que le transfert a augmenté de 3,9 % en 2018-2019, tandis que les provinces renouvelaient leur demande l’automne dernier de fixer la hausse à 5,2 %. Si Ottawa acceptait cette demande, les provinces pourraient investir davantage dans les soins de longue durée, pourvu qu’elles continuent d’en faire leur priorité. Compte tenu des effets dévastateurs de la COVID-19, les pressions seraient fortes pour que les provinces dépensent au moins une partie des fonds additionnels pour les soins aux aînés. Dans tous les cas, pour aider les provinces dont la population vieillit plus rapidement que la moyenne, il faudra modifier la formule de calcul du transfert canadien pour prendre en considération le vieillissement de la population.

Les choix des provinces dans les soins de longue durée

Dans les études sur l’assurance maladie au Canada, les chercheurs rappellent souvent que nous avons bel et bien 13 systèmes de santé au pays et non un seul. En ce qui concerne les soins de longue durée, les différences entre les provinces et territoires sont encore plus considérables en raison du statut de ces soins dans la Loi canadienne sur la santé. En Ontario et en Colombie-Britannique par exemple, c’est le secteur privé qui domine, alors qu’il occupe une place plus modeste au Québec, où seulement 17 % des lits occupés par des personnes de 75 et plus se trouvent dans des CHSLD privés conventionnés. Voilà pourquoi le Québec étudie en ce moment la possibilité de nationaliser les CHSLD privés, mais que ni l’Ontario ni la Colombie-Britannique n’examinent cette voie.

Qu’ils soient privés ou publics, les CHSLD occupent une place bien plus grande au Canada que dans d’autres pays industrialisés, tandis que les soins à domicile sont nettement moins développés chez nous. Pourtant, les orientations gouvernementales partout au pays mettent l’accent sur les soins à domicile. Plusieurs études et commissions gouvernementales soulignent aussi les multiples avantages de favoriser le vieillissement à domicile et d’utiliser les CHSLD en dernier recours seulement. Les débats à venir au Québec devraient aussi remettre en question la nécessité de maintenir les soins de longue durée presque exclusivement sous la gouverne des Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). Ces soins ne font généralement pas partie de leurs priorités quotidiennes ― et encore moins après les dernières vagues de centralisation ―, l’accent y est mis sur le désengorgement des hôpitaux. D’ailleurs, les postes de direction sont occupés essentiellement par des gestionnaires provenant du milieu hospitalier.

Lorsqu’on met en avant dans les débats publics une vision plus sociale et désinstitutionnalisée des soins de longue durée, la réponse usuelle de ceux qui prônent le statu quo est que « nous ne sommes pas en Scandinavie ». Or cette réponse dénote plutôt une connaissance superficielle ou inexistante de ce qui se passe dans d’autres provinces canadiennes. Le Nouveau-Brunswick, par exemple, fait classe à part et offre plusieurs pistes de solution pour améliorer les soins de longue durée au Québec et ailleurs.

Au Nouveau-Brunswick, les soins de longue durée ont été construits à partir d’une initiative d’un comité interministériel, malgré une forte opposition des médecins et du milieu hospitalier. C’est le ministère du Développement social qui est responsable des soins de longue durée ; ceux-ci sont prioritaires à l’intérieur du ministère et reçoivent d’ailleurs la plus importante enveloppe budgétaire. Alors que la crise actuelle soulève plusieurs questions concernant les pouvoirs de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants au Québec, la ministre du Développement social du Nouveau-Brunswick Dorothy Shephard occupe un rôle bien défini et reconnu depuis longtemps au sein du Cabinet. Elle fait ainsi partie du « comité du Cabinet sur le nouveau coronavirus », récemment mis sur pied, qui inclut le premier ministre Blaine Higgs, trois autres ministres et les chefs des trois partis d’opposition. Quel que soit l’indicateur de la qualité des soins de longue durée utilisé, notamment dans les études produites par l’Association canadienne de soins et services à domicile, le Nouveau-Brunswick se trouve toujours en tête du peloton. En effet, les soins de longue durée y sont plus valorisés et mieux financés que dans d’autres provinces.

Au-delà de cet exemple, les études comparées à l’échelle internationale montrent que les soins de longue durée sont plus accessibles et généreux quand les autorités locales, et plus particulièrement les municipalités, exercent plus de responsabilité. Cela remet en question l’hégémonie de structures administratives centralisées si évidente au Québec. Certes, il faudra revoir la formule du transfert canadien en matière de santé, mais il nous faut aussi concevoir les soins de longue durée différemment, dans une perspective plus sociale et désinstitutionnalisée.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Shutterstock / Halfpoint

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Patrik Marier
Patrik Marier est professeur de science politique à l’Université Concordia, titulaire de la Chaire de recherche sur le vieillissement et les politiques publiques. Il est aussi directeur scientifique du Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS) affilié au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, et chercheur responsable de l’Équipe en partenariat VIES (vieillissements, solidarités et exclusions sociales).
Daniel Béland
Daniel Béland est directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill depuis janvier 2019 et professeur titulaire de science politique à l’Université McGill. De 2012 à 2018, il a été professeur à l’Université de la Saskatchewan où il détenait la Chaire de recherche du Canada en politiques publiques de la Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy. Ses recherches portent principalement sur les politiques sociales, la réforme des soins de santé et la relation entre politiques fiscales et développement de l’État-providence.

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