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Imaginez une commission royale mandatée pour repenser en profondeur les leviers de croissance du Canada. Une instance dotée d’un mandat ambitieux et stratégique, chargée de définir des objectifs nationaux, de proposer des politiques et de réformer les institutions, tout en anticipant les défis économiques de demain.

L’idée n’est pas révolutionnaire. Nous l’avons déjà fait.

Un pan oublié de la Commission Macdonald

La Commission Macdonald (officiellement la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada), qui a publié son rapport il y a près de 40 ans, avait justement cette mission.

Cette commission est surtout connue pour avoir ouvert la voie au libre-échange avec les États-Unis – une décision qui a fondamentalement transformé l’économie canadienne. Toutefois, une analyse plus détaillée de son travail révèle un ensemble beaucoup plus large de recommandations visant à corriger des inefficacités structurelles, à améliorer la gouvernance et à établir une vision économique à long terme pour le pays.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons à un carrefour similaire, qui nécessite des décisions audacieuses et tournées vers l’avenir.

En ce moment, et c’est compréhensible, l’attention est concentrée sur la réaction immédiate aux menaces tarifaires du président américain Donald Trump.

Cependant, des enjeux tels que les barrières au commerce intérieur, la faible productivité, la dépendance excessive envers les États-Unis et les relations dysfonctionnelles entre les gouvernements fédéral et provinciaux méritent une analyse approfondie. Une nouvelle commission royale pourrait prendre le temps nécessaire pour trouver des solutions appropriées, sans être freinée par des considérations politiques à court terme.

L’économiste Trevor Tombe, de l’Université de Calgary, a répertorié, peu après l’élection de Trump, les nombreux défis structurels auxquels le Canada est confronté : des entraves au commerce intérieur qui freinent la croissance, des déséquilibres fiscaux entre les provinces qui créent des inégalités, et des réformes réglementaires nécessaires pour améliorer la compétitivité.

Il conclut, avec une pointe d’ironie, qu’il faudrait peut-être «une ou deux commissions royales pour aider à surmonter certains des défis que les gouvernements semblent incapables de relever».

Les problèmes économiques les plus urgents au Canada sont profondément interconnectés et nécessitent une stratégie globale à long terme – une stratégie qui va au-delà des cycles politiques de deux à quatre ans qui dominent l’élaboration des politiques.

Le problème est que nous avons perdu l’habitude d’utiliser les commissions royales comme outil de réforme politique significative.

Commissions royales : un bilan des impacts

Dans son livre The Adaptable Country, le politologue Alasdair Roberts rappelle qu’autrefois, les commissions royales étaient fréquemment employées pour mener des enquêtes approfondies sur des enjeux à long terme. Leur abandon a donc réduit la capacité du gouvernement à planifier stratégiquement sur le long terme.

Bien que certaines aient eu un impact limité, d’autres, comme la Commission Macdonald, ont laissé une empreinte durable.

Les recherches de Gregory Inwood et Carolyn Johns montrent que plusieurs ont directement mené à des réformes majeures. La Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1969) a conduit à l’adoption de la Loi sur les langues officielles, tandis que la Commission Bird (1967-1970) a joué un rôle clé dans l’avancement des droits des femmes.

Mais au-delà de leur impact politique, les commissions royales permettent aussi d’engager une discussion nationale, en mobilisant experts, dirigeants d’industrie et citoyens sur l’avenir du pays. Aujourd’hui, nous en avons besoin plus que jamais.

Pourquoi ne les utilise-t-on plus ?

La dernière grande commission axée sur les politiques publiques fut la Commission royale sur les peuples autochtones (1991-1996), dirigée par Georges Erasmus et René Dussault. Son rapport en cinq volumes demeure une référence, riche en recherches approfondies, appuyées par des années de consultations.

Même si ses recommandations centrales n’ont pas été appliquées, cette commission a contribué à façonner le débat actuel sur la réconciliation nationale.

Depuis, les gouvernements ont largement délaissé cet outil. Pourquoi ?

D’abord, une telle enquête nationale, menée sur plusieurs années, coûte cher. Or, dans le contexte actuel, les gouvernements ne souhaitent pas engager de dépenses importantes aux retombées incertaines.

Le paysage politique national semble également s’orienter vers une réduction du rôle de l’État. À cet égard, toutefois, il convient de rappeler que l’une des principales critiques adressées à la Commission Macdonald était qu’elle avait été accaparée par les économistes et que son rapport privilégiait largement des solutions favorisant le marché.

Autrement dit, le lancement d’une commission royale par un gouvernement ne signifie pas automatiquement un rôle accru pour l’État.

Ensuite, une commission royale peut prendre une trajectoire imprévue et interpréter son mandat initial d’une manière non anticipée. Ses conclusions ne peuvent être prédéterminées, ce qui en fait un exercice politiquement risqué.

Enfin, et peut-être surtout, une croyance de plus en plus répandue veut que les enjeux complexes puissent être résolus par des solutions rapides ou des raccourcis simplistes, en dépit des leçons de l’histoire qui prouvent le contraire.

Un exemple récent est celui des barrières au commerce intérieur. Depuis des décennies, ces barrières persistent malgré de nombreuses tentatives de réforme. Pourtant, Anita Anand, ex-ministre du Commerce intérieur et actuelle ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, soutenait que les obstacles au commerce interprovincial pouvaient être réglés en un mois – une déclaration qui ignore des décennies d’impasse politique.

Il est encourageant de constater du mouvement dans n élan en faveur de ce dossier, mais il est nécessaire de trouver une solution à long terme. Plus important encore, nous devons réfléchir à cette question en lien avec tous les autres grands défis auxquels nous sommes confrontés.

De solutions fragmentées à une vision cohérente

Une commission royale ne signifie pas simplement remettre le problème à plus tard. De toute évidence, les menaces tarifaires de Trump doivent être traitées dès maintenant, et non dans trois ans, un délai habituel pour une commission royale. Certaines actions peuvent et doivent être prises immédiatement.

Mais la réalité demeure que bon nombre des problèmes structurels majeurs du Canada ne sont pas isolés. Au contraire, ils sont profondément interconnectés.

Les aborder de manière précipitée et séparée risque de mener à des solutions inefficaces et éphémères. Nous avons besoin d’une approche unifiée et à long terme – une approche qui ne se limite pas au prochain cycle électoral, mais qui envisage l’avenir économique du Canada pour les générations à venir.

Relever ces défis exige quelque chose qui semble de plus en plus rare : un leadership doté de l’humilité nécessaire pour reconnaître qu’aucune personne ni aucun gouvernement ne détient toutes les réponses.

Un gouvernement doit être prêt à dire : « Nous avons besoin de temps et d’outils différents, car la complexité de ces enjeux exige une approche plus large, à l’échelle de la société ».  Le leadership dont nous avons besoin n’est pas celui qui détient toutes les solutions, mais celui qui est prêt à créer les conditions nécessaires pour les trouver.

C’est pourquoi il est peut-être temps pour le prochain gouvernement fédéral de dépoussiérer les vieux outils et de réintroduire l’un des instruments de politique les plus efficaces du Canada : une nouvelle commission royale pour le 21ᵉ siècle.

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Charles Breton
Charles Breton est le directeur du Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’IRPP, et l'ancien directeur de la recherche à Vox Pop Labs. Il détient un doctorat en science politique de l’Université de la Colombie-Britannique.

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