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L’un des objectifs fondamentaux de la Chambre des communes est de représenter la diversité des intérêts, des identités et des valeurs de la société canadienne.
En 2021, les Canadiens ont élu 53 députés issus de minorités racisées, soit 15,7 % des membres de la Chambre des communes. Bien qu’il s’agisse du nombre et de la part de représentation des minorités les plus élevés de l’histoire du Canada, un important déficit de représentation subsiste.
Le recensement de 2021 indique en effet que 26,3 % des Canadiens appartiennent à une « minorité visible », terme standard utilisé par Statistique Canada pour désigner « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Environ 20 % des Canadiens correspondent à cette définition.
Bien entendu, les Canadiens de couleur ne sont pas répartis uniformément sur l’ensemble du territoire. Quatre-vingt-quinze pour cent d’entre eux vivent dans une « région métropolitaine de recensement », c’est-à-dire dans un centre urbain de 100 000 habitants ou plus. En fait, dans deux des plus grandes villes du Canada, la population blanche est minoritaire : 42 % à Vancouver et 41 % à Toronto.
Puisque les Canadiens racisés sont concentrés dans les centres urbains, ils ont tendance à être sous-représentés politiquement. Le chercheur Jerome Black indique qu’en 2016, 41 des 338 circonscriptions électorales (ou 12 % d’entre elles) étaient à « majorité minoritaire », c’est-à-dire que les minorités visibles y représentaient plus de la moitié de la population. Dans ces circonscriptions, les partis ont été de plus en plus enclins à recruter des candidats de couleur.
Toutefois, 109 circonscriptions sont composées à plus de 95 % de Blancs. Ainsi, même si un taux record de 18,2 % des candidats de 2021 appartenaient à une minorité visible, nombre d’entre eux se présentaient dans une circonscription où plusieurs des autres candidats étaient également issus de minorités. Dans Markham-Unionville, par exemple, les candidats des quatre principaux partis étaient tous issus de minorités raciales. À Toronto, Vancouver et Calgary beaucoup d’autres circonscriptions présentaient des listes de candidats appartenant tous, ou presque, à des minorités.
Comment le Parlement peut-il faire une différence?
La représentation équitable des minorités à la Chambre des communes du Canada consiste à la fois à démontrer un engagement envers des valeurs fondamentales et à représenter de manière substantielle les divers besoins et intérêts de tous les Canadiens. Cependant, il n’y a pas de solutions faciles. Pour améliorer la représentation des minorités d’une façon vraiment globale et systémique, on doit tenir compte du rôle des modes de scrutin, des pratiques de recrutement des partis et d’autres processus qui ont lieu hors des couloirs de la Chambre des communes.
Dans le cadre de cette série sur la réforme parlementaire, la question qui se pose est donc la suivante : peut-on faire quelque chose à l’intérieur des limites du Parlement et de ses procédures?
Une mesure modeste, mais importante, consisterait à améliorer la collecte d’informations sur l’absence de représentation des minorités. Par exemple, la base de données de la Bibliothèque du Parlement sur les parlementaires, Parlinfo, fournit des informations sur tous les députés et sénateurs depuis la Confédération, en 1867, y compris le sexe et la profession, mais pas l’appartenance ethnique ou le statut racial.
La Bibliothèque du Parlement fournit des recherches et des informations aux parlementaires et à leurs collaborateurs. L’absence d’informations sur la représentation des minorités dans Parlinfo suggère donc un manque d’intérêt de la part des parlementaires plutôt qu’une omission délibérée. Néanmoins, étant donné le nombre relativement faible de députés issus de minorités visibles élus au cours de l’histoire du Canada et le fait que des chercheurs tels que Jerome Black ont déjà compilé ces informations, il devrait être relativement simple de les incorporer et de bonifier ainsi les données de Parlinfo. L’avantage de démontrer que les institutions reconnaissent au moins modestement que le statut racial est une préoccupation importante en ce qui a trait à la représentation l’emporterait certainement sur les coûts que cela impliquerait.
Malheureusement, le Parlement s’est lui-même peu intéressé à la question. J’ai recherché l’expression « représentation des minorités » dans les journaux des débats de la Chambre des communes et du Sénat depuis la 41e législature (2011-2015). Je n’ai trouvé que 13 mentions. Aucune d’elle ne concernait le rôle de la Chambre et ce qu’elle pourrait améliorer. Il était plutôt question des arguments sur la réforme électorale et sénatoriale – les implications pour la représentation des minorités des différents processus électoraux et les changements dans la façon dont les sénateurs sont choisis.
L’histoire est à peu près la même en ce qui concerne les débats au Sénat, et les recherches sur les travaux des commissions dans les deux chambres n’ont pas apporté beaucoup d’autres démonstrations d’intérêt. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une recherche exhaustive, ce que j’ai vu m’amène à conclure que les parlementaires ont été peu enclins à considérer leur propre rôle dans le problème de la représentation des minorités, préférant se concentrer sur les possibilités, même peu plausibles, de solutions systémiques externes.
Ce manque d’intérêt peut s’expliquer en partie par la complaisance envers nos progrès graduels, de même que par une certaine autosatisfaction selon laquelle le Canada est une mosaïque accueillante et multiculturelle. Une autre raison pourrait être liée au fait que la classe politico-intellectuelle au Canada – les faiseurs et façonneurs d’opinions et dans les universités et les médias, par exemple – sont beaucoup plus homogènes sur le plan ethnique que la population canadienne.
Le plus récent sondage sur la diversité dans les salles de presse canadiennes, mené par l’Association canadienne des journalistes, indique par exemple que « la plupart des salles de rédaction ne sont toujours pas représentatives des communautés qu’elles desservent ». Les personnes issues de minorités sont concentrées dans quelques grands médias et sont moins susceptibles d’occuper des postes de direction à plein temps.
Ma propre enquête sur la diversité dans mon domaine révèle que très peu de chercheurs racisés étudient la politique canadienne, soit moins de 4 % des membres permanents du corps professoral dans les départements de sciences politiques du pays. Étonnamment, certains grands départements comptent eux-mêmes plus d’hommes blancs qu’il n’y a de chercheurs racisés en politique canadienne dans l’ensemble du pays!
Les médias et les universités ne sont pas les seuls à déterminer ce qui est important pour les parlementaires, bien sûr, mais ils jouent un rôle important dans l’élaboration de l’ordre du jour médiatique et des idées qui sous-tendent le débat politique. Le manque de diversité dans les médias et les universités signifie que les intérêts et les expériences vécues par les Canadiens de couleur sont moins visibles dans notre discours politique qu’ils ne devraient l’être. Il n’est donc pas surprenant que le Parlement et les parlementaires semblent si peu intéressés.
Donner suite à nos engagements
En 2010, une délégation de parlementaires canadiens a participé à l’élaboration et signé la « Déclaration du Chiapas », de l’Union interparlementaire. Cette déclaration engage les parlements signataires à débattre et à adopter des plans visant à améliorer la participation des minorités, entre autres actions. Selon la déclaration, ces plans devraient inclure des mesures telles que l’obligation d’inclure dans toute législation une évaluation de l’impact sur les minorités, la discussion régulière des questions relatives aux minorités et l’intégration de ces questions dans le travail parlementaire, en particulier au sein des comités, et l’allocation de ressources pour fournir des espaces de discussion aux personnes et aux groupes racisés dans le cadre des processus de la Chambre.
Notre Chambre des communes n’a pas donné suite à ces engagements de manière significative. Par exemple, elle n’a même pas créé de comité qui se serait concentré sur les questions de racisation et d’exclusion des minorités, contrairement à l’engagement formulé dans la Déclaration du Chiapas. La représentation des minorités dans les débats ou les commissions n’a fait l’objet que d’une attention minimale. Et ce minimum ne s’est intéressé qu’à des solutions externes, à la représentation dans la société civile ou à celle dans la fonction publique. La Chambre des communes n’en a pas fait pas partie.
Comme le reflète le rapport de la délégation canadienne sur la déclaration, notre position a été celle de l’autosatisfaction : étant donné qu’il n’existe pas au Canada de lois explicitement discriminatoires empêchant les minorités de participer à la vie politique, et compte tenu des progrès que nous avons déjà réalisés, il n’y a pas grand-chose de plus à faire.
Pourtant, comme le montre cette série sur la réforme parlementaire, la légitimité représentative et la qualité démocratique de la Chambre des communes ne doivent pas être considérées comme acquises. La représentation équitable et l’inclusion des minorités doivent être acceptées comme une responsabilité fondamentale de la Chambre, plutôt que d’être considérées comme le problème de quelqu’un d’autre.
Cet article fait partie du dossier spécial Pour un Meilleur Parlement.