(English version available here)

Récemment, alors que je me préparais à participer à une conférence sur l’endométriose aux États-Unis, j’ai mentionné à l’une des organisatrices que j’étais Canadienne. Sa réponse : « Je suis vraiment désolée ».

Les soins offerts aux Canadiennes souffrant de l’endométriose sont parmi les pires des pays développés. Cette situation, bien connue par celles qui revendiquent ces soins, est aggravée par l’obstruction des médecins de familles et des gynécologues-obstétriciens généralistes, un manque tenace d’expertise sur la façon de traiter cette maladie complexe et des temps d’attente pour les spécialistes parmi les plus longs jamais enregistrés.

En fait, les délais d’attente pour le diagnostic et la chirurgie peuvent être si longs que certains Canadiens choisissent de se rendre aux États-Unis, en Roumanie et ailleurs pour subir une intervention chirurgicale, qu’ils paient généralement de leur poche.

Une femme sur dix

L’endométriose n’est pas seulement une maladie extrêmement douloureuse, elle est aussi plus fréquente qu’on ne le pense : entre un et deux millions de Canadiennes sont touchées, et environ 5 % de la population mondiale, la grande majorité d’entre eux étant des femmes et des jeunes filles (des personnes transgenres et non binaires et mêmes des hommes cisgenres sont également atteints, mais ce nombre est impossible à calculer, en raison de mauvaises pratiques de collecte de données).

Mon propre combat avec le système de santé a commencé à 11 ans, lorsque j’ai eu mes premières règles au cours de l’été précédant mon entrée au secondaire. La douleur était tout simplement à couper le souffle. Pourtant, tout le monde autour de moi – y compris de nombreux médecins – m’a dit que c’était normal.

« C’est juste une mauvaise période », répétaient-ils en me remettant des prescriptions pour la pilule contraceptive et le naproxène.

Comme je l’ai découvert 25 ans plus tard – et comme je le détaille dans mon nouveau livre, BLEED : Destroying Myths and Misogyny in Endometriosis Care – ce que j’avais vécu pendant tout ce temps n’était pas normal. À l’âge de 35 ans, on m’a diagnostiqué une endométriose de stade quatre, une maladie dans laquelle des tissus semblables à la muqueuse utérine se développent à l’extérieur de l’utérus.

Comme « un coup de poignard »

Les lésions d’endométriose se développent généralement sur les ovaires, les intestins et la vessie. Imaginez que vous versez une bouteille de colle dans la cavité abdominale d’une personne en regardant ses organes fusionner.

Dans des cas plus rares, les lésions s’étendent aux poumons, au cerveau et même à la peau. Certaines personnes atteintes d’endométriose pulmonaire ou diaphragmatique s’évanouissent régulièrement à la suite de pneumothorax cataméniaux – autrement dit, leurs poumons s’affaissent en synchronisation avec leur cycle menstruel.

Les personnes que j’ai interrogées pour BLEED ont décrit la douleur en utilisant des termes tels que « brûlure », « torsion » et « pire qu’un accouchement ». Marit Stiles, la nouvelle cheffe du NPD en Ontario, m’a dit en 2021 qu’« un coup de poignard est une bonne comparaison ».

On peut trouver sur internet une masse impressionnante de désinformation sur l’endométriose et ses divers « remèdes ». En réalité, la plupart des patientes ne trouvent un certain soulagement qu’après l’ablation chirurgicale de leurs lésions. Il est difficile de trouver des chirurgiens ayant l’expérience de cette intervention, principalement parce qu’ils sont très peu nombreux. À cela s’ajoute le fait que, bien que l’endométriose existe probablement depuis des milliers d’années, la communauté scientifique ne s’entend toujours pas sur ses causes.

Des causes systémiques et économiques

De nombreuses raisons expliquent pourquoi la prise en charge de l’endométriose est si médiocre au Canada, et aucune d’entre elles n’est simple.

Il existe des raisons systémiques, comme l’incrédulité fréquente des médecins à l’égard des femmes et des minorités sexuelles, en particulier si ces personnes sont également noires, autochtones, pauvres, homosexuelles, grosses, souffrant de troubles mentaux, jeunes, âgées et/ou autrement différentes. Les patientes atteintes d’endométriose disent qu’elles ont consulté des dizaines de fois avant que leur douleur ne soit prise au sérieux. Cette situation est exacerbée par le fait que de nombreuses institutions médicales ont été conçues il y a longtemps par des hommes, pour des hommes. Le domaine de la gynécologie ne fait pas exception.

Il y a aussi des raisons économiques. Aux États-Unis, les sociétés pharmaceutiques déversent 10 milliards $ chaque année dans les poches des médecins. La base de données Open Payments du gouvernement américain en témoigne. Au Canada, les médecins reçoivent également des primes de l’industrie pharmaceutique, mais ils ne sont pas tenus de divulguer ces informations. Par ailleurs, comme l’a montré une enquête de ProPublica, un seul dîner avec un représentant de l’industrie pharmaceutique suffit à influencer les pratiques de prescription de certains médecins. Cela pourrait-il expliquer pourquoi les contraceptifs hormonaux restent le traitement numéro un de l’endométriose, malgré les nombreuses preuves – y compris celles de l’influent American College of Obstetricians and Gynecologists – qu’ils n’arrêtent pas la progression de la maladie?

On peut trouver au-delà et dans chacun de ces enjeux des raisons plus nuancées et plus compliquées pour lesquelles les soins de l’endométriose ne répondent pas aux attentes des patients, tant à l’échelle mondiale que locale.

Pour des congés payés et de la sensibilisation

L’Espagne vient d’annoncer un congé menstruel pour les personnes souffrant de règles douloureuses. Cela pourrait être un bon point de départ. Étant donné que la douleur liée à l’endométriose est souvent plus aiguë pendant les menstruations, le fait de donner aux personnes souffrant de règles douloureuses l’accès à une banque de jours de congés payés contribuerait à lutter contre l’absentéisme et permettrait aux patientes de participer davantage à la vie économique.

Les provinces devraient améliorer les programmes scolaires afin que tous les élèves, y compris les garçons, soient mieux informés sur le système reproducteur féminin. Si un plus grand nombre de personnes comprenaient mieux le fonctionnement du corps des femmes cisgenre, il est logique de penser que les dirigeants de l’industrie et du gouvernement prendront éventuellement des décisions conduisant à de meilleures options de traitement.

Toutefois, j’affirmerais qu’il incombe en premier lieu au système de soins de santé lui-même et aux programmes de formation des professionnels de la santé d’apporter les améliorations qui s’imposent.

Tout d’abord, les médecins généralistes et les gynécologues généralistes doivent mieux collaborer avec leurs patients. À l’heure actuelle, plus de 60 % des médecins généralistes disent se sentir « mal à l’aise » lorsqu’il s’agit de diagnostiquer et de prendre en charge l’endométriose. En l’absence de connaissances formelles, les médecins doivent écouter leurs patientes, admettre ce qu’ils ne savent pas et être curieux de trouver des réponses. Ils doivent également assumer leur rôle d’orienteurs; au Canada, il n’y a que quelques spécialistes de l’endométriose, et les patientes doivent attendre des années pour les consulter. Les médecins généralistes et les gynécologues peuvent contribuer à améliorer l’accès.

Faire sauter les barrières à l’accès aux soins

Une plus grande portabilité des soins favoriserait l’élimination des goulots d’étranglement. Le nombre de spécialistes de l’endométriose est très faible au Canada (et, en réalité, dans le monde entier), ce qui amène de nombreuses patientes à s’enfermer dans des batailles de plusieurs années avec les autorités locales pour obtenir la prise en charge d’une intervention chirurgicale hors de la province. En permettant aux patientes d’accéder en temps utile à un spécialiste qualifié d’une autre province, voire d’un autre pays, on pourrait changer radicalement la vie de plus d’un million de Canadiennes.

On doit aussi trouver de nouveaux moyens d’inciter les médecins résidents à suivre une formation avancée en chirurgie gynécologique mini-invasive (MIGS), une exigence essentielle pour un traitement efficace de l’endométriose.

Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient financer des centres d’endométriose multidisciplinaires où les patientes peuvent avoir accès à des spécialistes ainsi qu’à des services complémentaires tels que la physiothérapie du plancher pelvien, qui peut réduire considérablement la douleur avant et après l’intervention chirurgicale. Par exemple, comme me l’a en Italie dit un chirurgien spécialiste de l’endométriose en Italie, les patientes dont l’endométriose est suspectée ou diagnostiquée ont un accès direct à ce type de centres, sans qu’il soit nécessaire d’avoir une référence d’un spécialiste.

L’endométriose est une voleuse. Elle engendre des coûts personnels : elle m’a privé d’opportunités de carrière, de tranquillité d’esprit et de dizaines de milliers de dollars dépensés pour des traitements inefficaces. Elle engendre aussi des coûts collectifs : elle coûte à l’économie canadienne plus de 2 milliards $ chaque année en pertes de productivité et de salaire. Elle prive d’ambition, de fertilité ou de joie de vivre 5 % de la population mondiale et vide aussi les poches des conjoints, des amis et des aidants. Le fait que l’endométriose est une maladie qui touche majoritairement les femmes et les personnes marginalisées constitue enfin une menace pour l’égalité et le progrès social.

Les régimes de soins de santé, les facultés de médecine et les praticiens canadiens disposent déjà des outils nécessaires pour faire sauter bon nombre des obstacles auxquels se heurtent les personnes atteintes d’endométriose. Ce qui manque, c’est le courage et la volonté d’agir dès maintenant et d’élaborer des solutions réalistes pour aider des millions de personnes qui souffrent à retrouver leur vie.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Tracey Lindeman
Tracey Lindeman est une journaliste indépendante qui écrit pour The Guardian, Fortune, The Walrus et bien d’autres. Elle est l’auteure du livre BLEED : Destroying Myths and Misogyny in Endometriosis Care.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

Recherches connexes de l’IRPP

National Pharmacare: Laying the Groundwork

février 14, 2024

Une nouvelle étude de l’IRPP recommande de réformer le nouveau régime canadien de soins dentaires

par C.M. Flood, S. Allin, S.J. Lazin, G. Marchildon, P. Oliver et C. Quiñonez juin 22, 2023

Institutions résilientes : Apprendre la pandémie de COVID-19 au Canada

date de l’événement:  3 avril 2024 -  3 avril 2024

Recherches et événements du Centre d’excellence

Les soins de santé et le fédéralisme

par Charles Breton, Katherine Fierlbeck et Chaim Bell mars 29, 2023

Federalism as a Strength: A Path Toward Ending the Crisis in Long-Term Care

par Carolyn Hughes Tuohy mars 10, 2021

Institutions résilientes : Apprendre la pandémie de COVID-19 au Canada

date de l’événement:  3 avril 2024 -  3 avril 2024