Dans les discours universitaires et politiques, on traite souvent de l’intégration des réfugiés dans la société d’accueil à la suite de leur arrivée et de la reconnaissance de leur statut dans une juridiction donnée. À mon avis, la question de l’intégration doit être posée bien avant. L’intégration n’est pas seulement un processus continu, elle dépend autant des conditions d’arrivée des réfugiés au pays de destination que de leur expérience après l’arrivée et jusqu’à la reconnaissance de leur statut. L’importance de ces facteurs est particulièrement évidente à la lumière du Programme de parrainage privé de réfugiés (PPPR) du Canada. Ce programme existe depuis 1978, l’année de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration, mais a subi beaucoup de changements et de fluctuations. Durant certaines périodes, il était très peu populaire et parfois même menacé d’extinction. Mais depuis sa mise en œuvre, il a permis à quelque 275 000 réfugiés de venir s’installer au Canada (Conseil canadien pour les réfugiés). Le Programme connaît un regain d’intérêt avec l’arrivée des réfugiés syriens. Dans le cadre du PPPR, des organismes privés, des groupes de citoyens ou de résidents permanents du Canada peuvent parrainer des réfugiés ou des personnes vivant dans des situations semblables. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) autorise leur arrivée, et le groupe de parrainage « accepte de procurer aux réfugiés des soins, de l’hébergement, une aide à l’établissement et du soutien pendant la période du parrainage » (Guide de parrainage). Ces groupes doivent alors démontrer qu’ils disposent de ressources suffisantes pour soutenir le ou les réfugiés pendant 12 mois (ou plus, si la condition particulière de la personne l’exige, mais 3 ans au maximum). L’approche du PPPR est particulière en ce que l’organisme ou le groupe de parrainage établit bien avant l’arrivée du réfugié des liens personnels avec lui. Très tôt dans le processus, ces répondants sont ainsi au courant de son histoire personnelle et de ses conditions de vie, ce qui les guide entre autres dans la planification du soutien futur et dans la recherche du lieu d’habitation. Ces contacts permettent souvent d’établir des relations de confiance et créent ainsi des conditions très favorables pour l’intégration.
Si les recherches sur le succès du PPPR canadien ne sont pas très nombreuses, elles montrent néanmoins que les résultats d’intégration dans le cadre de ce programme sont bien meilleurs que ceux du programme de parrainage gouvernemental ou d’autres. Elles indiquent non seulement que le PPPR répond mieux aux besoins des réfugiés, mais aussi qu’il facilite davantage l’adaptation à long terme. Ce sont, parmi d’autres, les conclusions de Morton Beiser (« Sponsorship and Resettlement Success », Journal of International Migration and Integration, 2003), qui a examiné l’intégration à long terme (10 ans) des réfugiés du Sud-Est asiatique arrivés au Canada entre 1979 et 1981 (les « boat people »), en prenant en compte les indices de l’emploi, de la langue et de la santé. Dans le même numéro de ce magazine, Michael Lanphier (« Sponsorship: Organizational, Sponsor, and Refugee Perspectives ») montre que par leur engagement, les citoyens et les organismes communautaires créent des liens forts avec les réfugiés, facilitant ainsi leur accès à la communauté plus large et renforçant la solidarité et la cohésion sociale.
Dans son rapport d’avril 2007 (Évaluation sommative du Programme de parrainage privé de réfugiés), le CIC note que, souvent, le soutien des personnes et organisations privées ne s’arrête pas au terme officiel de parrainage, mais continue au-delà. S’il n’indique pas de différences marquées à long terme entre les réfugiés parrainés par le secteur privé et ceux parrainés par le gouvernement, il observe néanmoins que les premiers accèdent plus rapidement à l’autonomie financière et ont des revenus quelque peu plus élevés durant les premières années que le deuxième groupe. Leur taux de satisfaction à l’égard de leur vie au Canada est aussi légèrement plus élevé six mois après leur arrivée. Malheureusement, on ne dispose pas de statistiques plus récentes sur l’intégration des réfugiés parrainés par le secteur privé.
Aucune institution n’est en mesure de créer des liens personnels et durables entre le réfugié et la communauté locale.
Devant ces constats, il est nécessaire de réitérer que l’intégration ne commence pas le jour de l’arrivée du réfugié sur le sol canadien, mais bien plus tôt. Et l’intégration ne s’arrête pas non plus le jour où le gouvernement n’offre plus de soutien aux réfugiés et les considère comme autonomes. Concevoir l’intégration comme un processus de connexion et de travail continu, qui commence déjà dans le pays d’origine ou de résidence du réfugié, est la clé de la réussite de l’intégration. Il faut également prendre en compte le lien avec la communauté et les structures locales dans le lieu de destination. Aucune institution, y compris le gouvernement, n’est en mesure de créer des liens personnels et durables entre le réfugié et la communauté locale. Le programme de parrainage privé crée naturellement ces liens. Il est impératif que toute politique d’intégration, et tout programme, s’inspire des leçons qu’on peut tirer du PPPR et crée des mécanismes qui permettent aux réfugiés d’établir des liens personnels avec la communauté d’accueil. De multiples formes de partenariat public-privé sont concevables dans ce contexte.
D’une part, étant donné le succès du parrainage privé, le gouvernement pourrait mieux soutenir les répondants privés en levant certaines restrictions (notamment l’exigence de reconnaissance du statut de réfugié pour certains répondants, qui n’a été abolie que pour les réfugiés de la Syrie et de l’Iraq), en raccourcissant le temps d’attente dans le traitement des dossiers et en diminuant le fardeau administratif. Dans son rapport de 2007, le CIC avait déjà noté certaines lacunes dans l’administration du PPPR, entre autres le haut taux de refus et les longs délais de traitement.
D’autre part, dans le cadre des programmes gouvernementaux, le gouvernement devrait concevoir des moyens qui permettent aux réfugiés de créer des liens avec la société d’accueil plus tôt dans le processus d’établissement. Entre autres, il pourrait mettre en place une structure d’accueil en partenariat avec les organismes communautaires, y compris les citoyens, dans la localité de destination des réfugiés avant qu’ils arrivent au pays.
Les programmes de parrainage privé et gouvernemental doivent continuer de coexister. Par le programme gouvernemental, le Canada remplit ses obligations humanitaires. Il prend en charge les personnes les plus vulnérables et répond aux demandes les plus urgentes, selon les recommandations du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR). Le programme de parrainage privé crée des occasions additionnelles de soutenir l’établissement de réfugiés et d’autres personnes vivant des situations semblables au Canada. Souvent, le parrainage privé s’adresse à des personnes et répond à des situations qui n’ont pas retenu l’attention du gouvernement, car les répondants privés ont des liens plus étroits avec certains groupes et certaines régions géographiques. Pour cette même raison, les répondants privés peuvent être en mesure de répondre plus rapidement à de nouveaux besoins. Le programme de parrainage privé contribue également à renforcer la réputation internationale du Canada. Ainsi, le Canada a reçu en 1986 la médaille Nansen du HCNUR en reconnaissance des efforts fournis dans le cadre du parrainage privé. Et, plus récemment, le haut-commissaire des Nations unies, Filippo Grandi, a cité le modèle canadien de parrainage comme un exemple à suivre.
Photo: Stacey Newman / Shutterstock.com
Cet article fait partie du dossier L’intégration des réfugiés.
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