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Depuis plus de 50 ans, la réforme fiscale revient comme une ritournelle électorale. Tous les partis s’engagent à rendre le système plus simple, plus juste, plus moderne. Pourtant, les faits montrent que rien ne bouge vraiment.
En fait, la dernière fois que le système fiscal canadien a fait l’objet d’un examen exhaustif remonte à 1967, avec la Commission royale d’enquête sur la fiscalité présidée par Kenneth Carter. Depuis, tous les partis promettent de s’attaquer à cette épineuse question, mais aucun n’a agi une fois au pouvoir.
Les Libéraux l’ont encore une fois inclus dans leur plateforme électorale. Toutefois, maintenant que le gouvernement est en place, cette question ne semble plus être une priorité. Ni le discours du Trône ni les récentes interventions du premier ministre n’ont fait mention de la réforme.
Un retour sur les promesses
Dans le cadre d’une étude sur le besoin de réformer le système fiscal canadien, nous avons examiné les propositions des cinq principaux partis politiques canadiens lors de l’élection fédérale du 28 avril 2025.
L’objectif n’était pas de comparer toutes les propositions ni d’analyser des mesures fiscales précises. Il s’agissait plutôt de repérer, dans les plateformes de chaque parti, les promesses liées à une réforme ou à une simplification du régime fiscal. Nous avons aussi voulu mettre en lumière les mécanismes proposés pour atteindre ces objectifs.
Rappelons d’abord ce que le Parti libéral a promis.
Dans sa plateforme Un Canada Fort, les propositions en matière d’équité fiscale et de l’examen du système fiscal, regroupées sous le thème Bâtir, comprenaient des mesures ambitieuses, dont celles-ci :
- Établir un groupe d’experts en fiscalité des sociétés pour examiner l’ensemble du régime d’imposition des sociétés canadiennes, selon les principes d’équité, de simplicité, de transparence, de durabilité et de compétitivité.
- En partenariat avec divers pays d’Europe et du G7, promouvoir un effort international en vue d’établir un ensemble équitable et cohérent de règles fiscales internationales, telles que celles proposées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Il faut plus que des changements à la pièce
La promesse est claire : réformer pour moderniser, et mobiliser des revenus pour financer les priorités sociales. Mais pour l’instant, aucun signal fort n’indique que la réforme fiscale annoncée soit en cours de préparation ou de déploiement.
Plusieurs questions se posent. Y aura-t-il un réel désir de réforme et d’examen du système fiscal? Quel sera le mandat et l’étendue de la réforme? Une réforme en profondeur ou simplement superficielle?
Au fil du temps, plusieurs changements législatifs touchant la fiscalité ont été mis en application. D’autres ont fait l’objet de propositions, sans jamais être promulgués. Ce fut le cas pour la hausse du taux d’inclusion du gain en capital, annulée par Mark Carney.
Plusieurs de ces changements ont été faits à la pièce. Une approche plus globale est maintenant nécessaire afin d’adopter une approche cohérente de l’ensemble du système fiscal canadien.
Un dossier qui rallie tous les partis
Il est compréhensible que le gouvernement concentre ses efforts sur les crises immédiates. Plusieurs dossiers urgents requièrent toute l’attention des décideurs : la crise du logement, la lutte contre l’inflation, les tarifs imposés par le président américain et la sécurité nationale, pour ne nommer que ceux-là. Ces priorités sont légitimes, mais elles ne doivent pas faire oublier l’importance d’une réforme fiscale structurante.
Et s’il est une question sur laquelle le gouvernement minoritaire pourrait rallier ses opposants, c’est bien celle du régime fiscal! Malgré des approches différentes, la conclusion de tous les partis est la même : il doit être révisé.
Notre étude montre en effet que tous les principaux partis politiques ont présenté dans leur plateforme un volet ayant comme objectif de rendre le système fiscal canadien plus juste et équitable. Certains partis ont aussi présenté des mesures précises visant à rendre le système fiscal plus simple pour les contribuables.
Même avec un gouvernement libéral minoritaire, la convergence semble pencher vers un examen du système fiscal canadien et une possible réforme.
Les mots d’ordre : simplicité et équité
Le Parti conservateur du Canada (PCC) propose la création d’un groupe de travail composé de représentants de la société civile (agriculteurs, entrepreneurs, travailleurs), pour établir une fiscalité plus simple et plus équitable.
Le Bloc Québécois (BQ) suggère de simplifier les programmes fédéraux, d’adopter une déclaration de revenus unique administrée par Québec et de réduire le dédoublement administratif.
Du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD), on estime qu’un rééquilibrage du système est nécessaire pour taxer davantage les contribuables plus aisés et réduire le fardeau fiscal des travailleuses et travailleurs.
Enfin, le Parti vert du Canada (PVC) propose d’instaurer un impôt sur la richesse (à partir de 10 millions de dollars d’actifs) et de créer une commission fiscale indépendante chargée d’évaluer en continu l’équité du régime. Malgré leurs différences idéologiques, tous ces partis reconnaissent la nécessité d’un examen en profondeur du système fiscal.
Pourquoi faut-il maintenir la pression
Une réforme fiscale n’est pas qu’un exercice technique réservé aux experts. Elle a des effets concrets sur la vie quotidienne des contribuables, sur les ressources disponibles pour financer les services publics, sur l’équité entre individus, régions et secteurs économiques.
Ignorer cette réforme, c’est laisser s’aggraver les inégalités et reporter les révisions nécessaires à un système conçu à une époque où l’économie, la société et la fiscalité internationale étaient radicalement différentes.
Les prochains mois seront déterminants pour évaluer l’intention réelle du gouvernement à avancer sur ce dossier. La réforme fiscale ne pourra se faire sans volonté politique claire ni sans pression soutenue de la part des partis d’opposition, des experts et de la société civile.
La réaction et les critiques des partis d’opposition pourraient inciter le gouvernement libéral à débuter le processus de réforme. En effet, les partis d’opposition pourraient pousser pour une réforme, ayant eux-mêmes des objectifs similaires dans leurs plateformes électorales.
Une fenêtre pour agir
Le gouvernement libéral a encore le temps d’agir. Mais plus l’inaction se prolonge, plus la promesse risque de rejoindre celles — nombreuses — qui sont restées lettre morte.
Simplifier le régime, renforcer l’équité, moderniser la fiscalité des entreprises : ces objectifs peuvent soutenir le repositionnement du Canada face aux États-Unis, et accroître la légitimité des institutions publiques. Reporter indéfiniment la réforme, c’est risquer d’amplifier les failles existantes et de fragiliser la confiance des citoyens envers le système.
Dans un contexte de turbulences géopolitique, il sera tout aussi intéressant d’observer ce qui sera fait au niveau international pour rendre l’application des règles fiscales internationales plus équitable et cohérente.
Quoique tous s’entendent, jusqu’à un certain point, sur le besoin de réformer le système fiscal canadien, est-ce qu’ils en feront un enjeu de discussion en chambre ? Il y a non seulement l’action du gouvernement au pouvoir à surveiller, mais aussi les gestes posés par tous les autres partis. L’avenir sera porteur (ou non) de signaux vers une réforme de la fiscalité.