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La musique autochtone est-elle suffisamment représentée sur nos ondes? Les principaux intéressés croient que non, et ils ont quelques bons arguments.
Il y a un an, un regroupement d’artistes et de personnalités issus des Premières Nations a publiquement revendiqué un quota de musique en langues autochtones totalisant 5 % du temps d’antenne sur les ondes des radios commerciales. Cette demande a été suivie, en juillet dernier, d’une pétition.
Cette idée avait précédemment été évoquée lors des consultations menées dans les dernières années, dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle politique de radiodiffusion autochtone, entreprise par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en 2019.
Fait intéressant, 1,8 million de Canadiens s’identifient comme Autochtones (incluant les Inuit et les Métis), ce qui représente environ 4,5 % de la population. Leur nombre est même en croissance depuis quelques années. Un quota de 5 % sur les ondes radiophoniques refléterait ce poids démographique, en plus d’aider à pérenniser l’apport culturel des peuples autochtones.
Une question de survie
Plus de 70 langues autochtones distinctes sont présentes au Canada. Par contre, une vingtaine d’entre elles ne sont parlées que par 500 personnes ou moins, la plupart étant des aînés. Cela signifie que certaines de ces langues ancestrales pourraient disparaître d’ici quelques décennies.
C’est d’ailleurs ce que font valoir ceux qui revendiquent un quota : la diffusion de musique en langues autochtones contribuerait à leur survie alors que certaines sont en voie de disparition, faute d’être suffisamment parlées et transmises.
La précarité de ces langues est d’ailleurs reconnue aussi bien par le Canada, qui a adopté en 2019 la Loi sur les langues autochtones, que l’UNESCO, qui a décrété en 2022 la Décennie internationale des langues autochtones.
Selon le recensement de 2021, 189 000 Canadiens avaient au moins une langue autochtone comme langue maternelle et 183 000 la parlaient à la maison sur une base régulière. Pour 86 000 Canadiens, leur langue maternelle autochtone était celle dans laquelle ils communiquaient de façon dominante.
Le recensement indiquait par ailleurs qu’au pays, environ 243 000 Canadiens étaient capables d’entretenir une conversation dans une langue autochtone.
En tenant compte que la population canadienne a franchi la barre des 40 millions d’habitants l’an dernier, ce sont donc sur les épaules d’environ 0,6 % des citoyens que reposerait l’avenir de dizaines de langues ancestrales.
Le constat qui s’impose est que pour s’assurer de la survie, voire de l’essor des langues autochtones, il faut augmenter considérablement le nombre de Canadiens qui les parlent et les comprennent, et donc qui y sont exposées.
L’exemple de la langue française
« La radio joue un rôle important afin de faire connaître la musique et les artistes canadiens aux auditeurs », peut-on lire sur le site du CRTC. On poursuit ensuite en expliquant que « les politiques et les règlements du CRTC permettent de maintenir une présence du français à la radio et de mettre en valeur les artistes francophones ».
C’est pour cette raison que toutes les stations de radio au pays doivent réserver au moins 35 % de leur programmation à des contenus canadiens. Les stations de langue française doivent de plus dédier 65 % de leur programmation musicale hebdomadaire populaire à la musique francophone; les stations commerciales – qui excluent donc les stations communautaires et Radio-Canada – sont pour leur part tenues de diffuser 55 % de musique francophone aux heures de grande écoute, c’est-à-dire entre 6 h et 18 h du lundi au vendredi.
Cette exigence sert évidemment à protéger et promouvoir la langue française. Or, même si le statut des langues autochtones est bien plus précaire, la musique autochtone est présentement noyée dans le quota de 35 % de musique canadienne pour les radios commerciales, et dont la programmation est surtout anglaise ou française.
Cela devrait changer pour mieux cadrer avec l’esprit de la Loi sur les langues autochtones et la volonté d’Ottawa de faire un effort de préservation et de promotion des langues traditionnelles des Premières Nations.
Cependant, Ottawa ne consacre qu’un maigre huit millions de dollars au financement de la radiodiffusion autochtone, qui repose entièrement sur des organismes à but non lucratif. Selon le CRTC, plusieurs radiodiffuseurs admissibles voient leur demande refusée, les fonds étant accordés par défaut aux bénéficiaires habituels, année après année.
Il faut aussi éviter de croire que la musique en langues autochtone n’intéresse que les Premières Nations. Il suffit de penser au succès de Kasthin dans les années 1980 ou, plus récemment, à la chanteuse inuk Elisapie Isaac, qui a repris en inuktitut plusieurs grands succès anglophones – un pont ingénieux pour rapprocher deux cultures et deux langues. La musique autochtone n’est pas non plus un bloc monolithique : les artistes, qu’ils chantent dans leur langue maternelle, en anglais ou en français, donnent dans presque tous les styles musicaux existants.
Surtout, un quota sur les ondes radiophoniques privées permettrait à l’État de faire connaître ces langues à un public élargi se trouvant parfois à des milliers de kilomètres des communautés d’où elles proviennent, à coût presque nul.
Un essor culturel
Au moment d’écrire ces lignes, le CRTC n’avait pas donné suite à la demande de quota. Pourtant la Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, sanctionnée en avril 2023, a pour objectif de faire plus d’espace aux productions des musiciens autochtones du Canada.
L’adage veut qu’on ne peut aimer ce qu’on ne connaît pas. C’est pourquoi il faut permettre à la musique en langues autochtones d’être entendue ailleurs que chez les seuls diffuseurs autochtones.