Le projet de loi 31 du gouvernement Legault dissipe tout doute face à sa vision du logement.

La nouvelle loi empêchera les cessions de bail, seul recours (n’impliquant pas de longs et couteux processus judiciaires) restant aux locataires pour garantir un peu de solidarité dans le marché, contrôler les prix des loyers et éviter les hausses abusives. « Cette histoire-là de cession de bail ou de magasinage de baux entre locataires, c’est une entrave au droit de propriété des propriétaires », affirme l’ancienne courtière immobilière et ministre de l’Habitation Anne-France Duranceau.

A-t-elle pensé que « cette histoire-là », c’est une des seules manières de trouver un logement abordable ? Non, dans la vaste foire commerciale qu’est le monde aux yeux de la ministre, une personne qui cherche à mettre un toit au-dessus de sa tête pour ne pas se ramasser dans un village de tentes qui sera tôt ou tard démantelé par le SPVM, c’est quelqu’un qui magasine, voire un profiteur.

L’habitation, c’est un marché, une occasion d’affaires, point à la ligne. Et un locataire, c’est avant tout une source de revenu qui permet d’avoir un rendement avantageux sur un investissement en immobilier. La ministre ne cherche même pas à camoufler son absence totale de compréhension de la situation de plus de 1 300 000 de ses concitoyens qui sont locataires : un bail est un contrat de gré à gré entre deux partenaires égaux, voilà tout.

Seul hic, s’il n’est pas d’accord, il y a un des deux « partenaires » qui se retrouve sur le trottoir alors que l’autre n’a qu’à faire entrer le prochain qui attend en ligne en bas des marches pour lui faire signer le bail.

Un journaliste demandait récemment à la ministre si les Montréalais ne devaient pas craindre de se retrouver bientôt dans une situation aussi terrible qu’à Toronto ou à Vancouver. Réponse : « C’est en train de changer, mais notre système, somme toute, nous a bien servi. Si vous demandez aux propriétaires, ils aimeraient avoir plus de libre marché. Si vous demandez aux locataires, ils veulent… Ils veulent quelque chose de plus serré. Il y a un équilibre qui est très difficile à maintenir, qui est très fragile, mais je pense que c’est un projet de loi qui agit sur les bons éléments. » Quel bonheur, la ministre reconnaît que notre système nous a bien servi. La chose logique à faire est maintenant bien entendu de le démanteler.

Admettons que la ministre a raison sur ce point : il y a un équilibre délicat en matière de logement locatif. Mais contre toute attente, tout le monde sauf elle avait mal évalué la situation : en réalité, c’était les locataires qui avaient le gros bout du bâton.

Attention, c’était facile de se leurrer!

Même si le Tribunal administratif du logement (TAL) publie chaque année son calcul pour s’entendre sur la fixation du loyer (qui suggère 2,3 % d’augmentation cette année alors qu’on se dirige vers 10 %), rien n’oblige les propriétaires à s’y conformer.

Même s’il existe un mécanisme de fixation du loyer, bon an mal an, c’est environ 0,5 % des hausses de loyers qui sont étudiées par le TAL.

Même si les propriétaires doivent inscrire, dans la section G, le plus bas loyer payé au cours des 12 mois précédents lors de la conclusion d’un nouveau bail, rien ne les oblige à s’y conformer. Même s’ils la remplissent, rien n’empêche le propriétaire de mentir.

Et même s’ils la remplissent de bonne foi, il n’existe pas de registre des loyers au Québec. Il faut remercier les journalistes et les groupes communautaires de partout dans la province de faire, en épluchant à la mitaine plusieurs dizaines de milliers d’annonces Kijiji, le travail que le ministère de l’Habitation ne fait pas.

Et le droit au logement? Ah bien pour ça, prière de s’adresser au TAL, dit la ministre. Détail important, vous avez dix jours pour y traîner quelqu’un que vous ne connaissiez ni d’Ève ni d’Adam la veille de signer le bail. Voilà une bonne garantie d’avoir à la fois le juste prix pour un logement et une relation harmonieuse avec son propriétaire dans les années à suivre…

On comprend mieux le ton paternaliste des députés de la CAQ quand ils ont à composer aussi souvent avec autant de gens qui font autant fausse route sur autant de sujets. Avec un taux d’inoccupation des logements locatifs à 1,7 % au Québec en 2022, avec seulement 739 logements sur les 10 000 promis par la CAQ dans le cadre du programme AccèsLogis livrés en 2021, avec l’échec du règlement pour une métropole mixte à produire les résultats attendus, on a failli se faire avoir, mais une chance que la ministre est là pour remettre les pendules à l’heure : c’était en faveur des propriétaires qu’il fallait faire pencher la balance.

La ministre incarne à merveille l’arrogance et l’impunité qui s’est installée dans les rangs de la CAQ depuis la pandémie. Malheureusement pour les principaux intéressés, comme pour bien des ministères dont François Legault fait peu de cas (on salue Benoît Charette à l’Environnement), on reste avec l’impression que si elle était compétente en matière d’habitation, Mme Duranceau n’aurait pas été nommée ministre. Aidons-la donc à sortir de sa vision « juridique et économique des choses » et rappelons-lui la conséquence de son inaction et de son parti pris : encore cette année, des familles se retrouveront à la rue le 1er juillet prochain.

On se demande par quelle sorcellerie la levée d’un des seuls obstacles aux hausses abusives pourrait créer plus de logements ou rendre ceux qui existent plus abordables. Au lieu de transférer un peu plus les effets de la crise sur les locataires, la ministre devrait se pencher sur les obstacles administratifs aux mises en chantier et appuyer sur l’accélérateur en matière de logement social ou coopératif.

D’ici là, la ministre Duranceau a tout de même une solution : « investissez en immobilier »! En effet, avec la nouvelle loi, difficile de résister à l’envie de profiter de la manne qui s’en vient. Et si vous trouvez que les prix des maisons sont exorbitants, le premier ministre Legault, lui, y voit somme toute une assez bonne nouvelle et même une sorte de passage obligé vers un enrichissement collectif, comme si les marchés immobiliers complètement détraqués de Toronto et Vancouver devaient être une source d’inspiration pour le Québec!

Pour revenir à la ministre de l’Habitation, quand on a soi-même réalisé des flips par le passé, qu’on mange à la table des rénovicteurs à la Shiller Lavy et autres diplômés des Flip Académie qui appellent des logements « des portes », tout le monde finit par avoir une poignée dans le dos.

Surtout les pauvres.

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Étienne Tremblay
Étienne Tremblay est coordonnateur à l’édition de l’IRPP. Il est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en littérature comparée de l’Université de Montréal.

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