Sitôt élu le 16 avril dernier, le nouveau premier ministre de l’Alberta Jason Kenney a directement interpellé les Québécois en affirmant que l’Alberta et le Québec partageaient « des valeurs communes » et que son gouvernement croyait, lui aussi, en un « fédéralisme respectueux des juridictions provinciales ». Aurait-il été un peu trop optimiste en exprimant son ouverture pour l’établissement d’une nouvelle alliance entre la wild rose et la fleur de lys ? Pas nécessairement. Des données du sondage de la Confédération de demain nous poussent toutefois à nuancer l’hypothèse d’une alliance renouvelée entre le Québec et l’Alberta sur la scène fédérale.

L’Alberta et le Québec : des alliés naturels ?

Les récentes données du sondage de la Confédération de demain montrent que, à certains égards du moins, les deux provinces semblent être des alliées naturelles. Non seulement l’Alberta et le Québec ont fait du respect de leur autonomie provinciale une priorité au cours des dernières années, mais les deux provinces se démarquent aussi comme étant celles dont les citoyens souhaitent davantage une fédération plus décentralisée. En Alberta comme au Québec, près de un citoyen sur deux croit que sa province devrait exercer certaines des compétences qui relèvent présentement du gouvernement fédéral.

Les deux provinces ont aussi beaucoup en commun pour ce qui est de la volonté de développer leurs ressources énergétiques respectives. Avec les Saskatchewanais (39 %), les Albertains (42 %) et les Québécois (36 %) sont les plus nombreux à affirmer faire davantage confiance à leur gouvernement provincial pour prendre les bonnes décisions en matière de gestion des ressources énergétiques, et les moins nombreux (12 % en Saskatchewan, 7 % en Alberta, 17 % au Québec) à faire confiance au gouvernement fédéral dans ce domaine. Les citoyens de ces trois provinces sont aussi ceux qui ont le plus tendance à juger que chaque province et territoire devrait pouvoir établir sa propre politique énergétique.

Toutefois, si les Albertains et les Québécois aspirent tous deux à une plus grande autonomie de leur province, leurs motifs sont assez différents. L’insatisfaction des Albertains est fondée principalement sur la perception qu’ils subissent une injustice de nature économique au sein de la fédération, ce qui n’est pas le cas au Québec. Le mécontentement des Québécois vient plutôt d’un manque de reconnaissance de leur spécificité culturelle ou nationale au sein de l’association politique canadienne et des conséquences institutionnelles qui en découlent.

En effet, les récentes données du sondage montrent que 68 % des Albertains estiment que leur province reçoit moins que sa juste part du budget fédéral, contre seulement 30 % des Québécois. C’est donc sans surprise que les Albertains sont les plus opposés au programme de péréquation au pays (40 % s’y opposent, tandis que 51 % y sont favorables), contrairement au Québec, où le programme est largement apprécié (81 % des Québécois sont pour, 16 % contre). Le soutien au programme de péréquation en Alberta a diminué de manière significative au cours des dernières décennies : si 74 % des Albertains étaient en faveur de la péréquation en 2001, ils ne représentent plus que 51 % en 2019.

La lutte contre les changements climatiques

L’autre grand enjeu de l’heure est la lutte contre les changements climatiques. Les Albertains sont divisés sur cette question : 35 % sont d’avis qu’Ottawa a raison d’insister sur une politique pancanadienne, tandis que 38 % estiment que chaque province devrait pouvoir mettre en place sa propre politique. Le reste de la population est indécis. Or, à ce chapitre, la situation est différente du côté québécois : 56 % des Québécois se disent en faveur d’une politique climatique établie par Ottawa. Parmi tous les Canadiens, les Québécois sont les plus favorables à un leadership fédéral en la matière.

Il en est peut-être ainsi parce qu’ils savent que la politique fédérale actuelle leur permet d’établir leur propre système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre. Peut-être aussi que les Québécois souhaitent que toutes les provinces fassent leur juste part, même si cela signifie de permettre à Ottawa d’intervenir et d’établir les règles dans les provinces qui n’ont pas encore mis en œuvre un plan de lutte contre les changements climatiques (ou qui, comme l’Alberta, s’apprêtent à revenir en arrière en abolissant leur propre taxe sur les émissions de carbone). Quelle que soit la raison, les Québécois semblent plus enclins que les Albertains à accepter le leadership fédéral dans ce domaine.

L’asymétrie des pouvoirs

Devant ces désaccords, le fédéralisme peut revêtir diverses formes pour résoudre de tels conflits de manière constructive et équitable. Le Canada est une association politique constituée de partenaires multiples, distincts et égaux en principe. Une conception asymétrique des rapports institutionnels entre le gouvernement central et les provinces devrait donc permettre à tous ses membres de jouir d’une autonomie politique importante qui soit satisfaisante pour tous. Ainsi, si elles le veulent, certaines provinces — voire certaines régions — pourraient négocier des ententes particulières avec Ottawa leur accordant des compétences constitutionnelles plus ou moins importantes, que ce soit au sein de la province, du fédéral ou encore de manière partagée entre les deux. Autrement dit, puisque les partenaires de l’association politique ont tous leurs particularités, un tel système prendrait en compte leurs différences sur le plan politique, plutôt que de les nier.

Cela dit, le sondage nous rappelle que l’asymétrie des pouvoirs n’est toujours pas très populaire : seulement 28 % des Canadiens jugent que le gouvernement fédéral devrait accorder plus de pouvoirs aux provinces qui le souhaitent afin que le système fédéral réponde aux besoins particuliers de certaines d’entre elles. Si les Québécois se montrent les plus favorables à cette proposition (39 % y consentent), elle jouit d’un appui populaire plus faible dans le reste du Canada, notamment en Alberta, où seulement 20 % des citoyens sont de cet avis.

Sur ce front, les divergences entre le Québec et l’Alberta sont donc profondes. Les Québécois qui se disent insatisfaits du fédéralisme ont naturellement tendance à souhaiter des pouvoirs accrus pour leur province, tout comme ils sont davantage en faveur de l’asymétrie. Les Albertains qui critiquent le fédéralisme veulent aussi plus de pouvoirs pour leur province ; mais pour ce qui est de l’égalité entre les provinces, ils se montrent plus défavorables aux ententes asymétriques. Pour les uns, l’asymétrie est une solution possible, pour les autres, elle semble faire partie du problème. Ces désaccords sur la façon de réformer le fédéralisme imposent certaines limites à une alliance entre les premiers ministres des deux provinces.

Si une telle alliance peut être envisagée, il faudra examiner de près les motifs qui la sous-tendent et dégager des objectifs communs. De même, il faudra clarifier de part et d’autre les attentes à l’égard des modifications à apporter au système fédéral actuel. Ce dialogue vient tout juste de commencer.

Photo : Le premier ministre désigné de l’Alberta Jason Kenney s’adresse au caucus du Parti conservateur uni à Edmonton, le 26 avril 2019. La Presse canadienne / Jason Franson.


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Evelyne Brie
Evelyne Brie est candidate au doctorat en science politique à l’Université de la Pennsylvanie.
Félix Mathieu
Félix Mathieu est candidat au doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal.
Andrew Parkin
Andrew Parkin est directeur général de l’Institut Environics. Twitter @parkinac

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