(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Les décisions prises par l’Alberta et l’Ontario de revenir en arrière et d’abolir la tarification du carbone ont fait couler beaucoup d’encre. Très peu de gouvernements dans le monde ont remis en question la taxe carbone après l’avoir instaurée ; parmi eux, l’Australie est peut-être le cas le mieux documenté. Dans les trois exemples, ce sont de nouveaux gouvernements de droite qui ont mis fin à la tarification.

Au Québec cependant, une conjoncture politique semblable a abouti à un résultat très différent : le gouvernement majoritaire de centre droit de François Legault, chef de la Coalition avenir Québec, poursuit la politique de tarification du carbone. Le Québec avait introduit une taxe carbone dès 2007, qui était alors une modeste redevance annuelle sur les combustibles fossiles, pour la remplacer en 2013 par un marché du carbone, le Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE), mis en place pour réglementer les émissions industrielles. Ce système a été étendu en 2015 pour inclure le secteur des transports. En janvier 2014, attiré par la Western Climate Initiative que la Californie a entreprise, le Québec a lié son marché du carbone à celui de la Californie, puis, brièvement, jusqu’à ce que son voisin abroge son programme, au système de plafonnement et d’échange de l’Ontario.

Le SPEDE a été mis en place avant les efforts actuels d’instaurer une tarification du carbone à l’échelle nationale. Il fait partie d’un des deux mécanismes détaillés dans la directive concernant le modèle pancanadien de tarification de la pollution par le carbone. La directive précise qu’une administration peut mettre en œuvre « i) un système explicite qui se fonde sur les tarifs (une taxe sur le carbone comme celle de la Colombie-Britannique, ou un système basé sur les prélèvements sur les émissions et le rendement comme en Alberta); ou ii) un système de plafonnement et d’échange (p. ex. ceux de l’Ontario et du Québec). »

Pour comprendre la persistance de la politique de tarification du carbone au Québec et expliquer l’engagement collectif à cet égard, il faut tenir compte d’une combinaison de facteurs clés qui distinguent le Québec de la plupart des autres provinces, notamment la présence d’un accord entre les principaux partis politiques (accord interpartisan), l’absence relative de polarisation des électeurs québécois sur ce sujet ainsi que la perception bien établie que la province bénéficiera économiquement de la transition vers une économie sobre en carbone.

Accord interpartisan

La modeste redevance annuelle payable au Fonds vert que le Parti libéral du Québec a instaurée en 2007 servait à financer divers programmes gouvernementaux et projets de la société civile visant à lutter contre les changements climatiques. Avec l’adoption d’un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission en 2013 ― un système toujours en place à ce jour ―, l’approche du Québec en matière de tarification du carbone est devenue plus ambitieuse. Il est remarquable que cette politique ait survécu à plusieurs changements de gouvernement au cours de ces années ; tour à tour, c’est le Parti libéral, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec qui a formé le gouvernement. Malgré leurs désaccords fondamentaux sur de nombreuses questions, ces trois partis politiques s’entendent sur la tarification du carbone, comme en témoigne, entre autres, le soutien unanime de l’Assemblée nationale à la liaison des marchés du carbone du Québec et de la Californie. De plus, bien que la tarification du carbone ait été un enjeu électoral important en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta, cette politique a rarement été mentionnée durant les campagnes électorales au Québec.

Bien sûr, l’accord entre les partis politiques québécois sur la tarification du carbone a été mis au défi à quelques reprises au cours des dernières années. Les distributeurs québécois de carburant, par exemple, ont exprimé plusieurs fois des réserves quant à la redevance au Fonds vert et, plus tard, à leur inclusion dans le système de plafonnement et d’échange à partir de 2015. Leur point de vue a trouvé écho dans le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, remis en 2014 au gouvernement libéral, qui recommandait de suspendre la mise en œuvre du marché du carbone, principalement en raison de l’absence d’un système de plafonnement et d’échange équivalent en Ontario à l’époque. Pourtant, les libéraux ont maintenu le cap, alors même qu’il devenait clair que le marché du carbone de l’Ontario, finalement introduit en 2017, serait aboli par le gouvernement de Doug Ford à la suite des élections ontariennes de 2018.

L’entente entre les partis politiques a également survécu jusqu’à maintenant aux multiples remises en question suscitées par la gestion du Fonds vert, auquel sont versés les revenus associés au SPEDE du Québec. Tandis que d’autres provinces, notamment la Colombie-Britannique, ont mis en place une tarification du carbone qui ne génère pas de recettes fiscales supplémentaires, les revenus provenant du marché du carbone du Québec sont utilisés pour financer des projets de réductions des gaz à effet de serre. Les médias et les membres de l’opposition ont examiné et critiqué certains de ces projets, et même François Legault a reconnu que des changements dans la gestion du fonds étaient nécessaires. Si cet enjeu demeure d’actualité, les questionnements qu’a soulevés la gestion du Fonds vert ne semblent pas avoir compromis la légitimité du marché québécois du carbone jusqu’à maintenant.

Absence de polarisation entre Québécois

Dans plusieurs endroits du monde, le débat sur les politiques en matière de changements climatiques se polarise de plus en plus, au point où Riley Dunlap, leader d’opinion américain et l’un des auteurs les plus prolifiques en politiques environnementales, a affirmé que les changements climatiques sont devenus l’un des points de désaccord fondamentaux entre républicains et démocrates aux États-Unis. Au Canada, les sondages révèlent que l’idée que les activités humaines causent les changements climatiques et la nécessité de taxer le carbone sont plus largement acceptées au Québec que dans les provinces de l’Ouest, à l’exception de la Colombie-Britannique. De plus, des recherches sur le sujet indiquent que les Canadiens ont tendance à soutenir davantage la politique en vigueur dans leur province : ainsi, l’appui à un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission est plus élevé au Québec que dans les autres provinces, et la taxation du carbone est plus fortement soutenue en Colombie-Britannique, du moins selon les études récentes.

Il faut noter que les mêmes études montrent que, même à l’extérieur du Québec, une majorité de Canadiens sont en faveur de l’action pour le climat et de la tarification du carbone. Si la Colombie-Britannique a reçu de nombreux éloges pour l’instauration d’une taxe sur le carbone neutre pour ce qui est des recettes fiscales, peu se souviennent que l’Alberta a été la première province, en 2003, à adopter une législation en matière de changements climatiques et à introduire en 2007 une première mesure de tarification du carbone avec la Specified Emitters Gas Regulation. Ces mesures ont été adoptées ― à l’instar d’autres instruments environnementaux fondés sur le marché ― sans grandes controverses, du moins parmi les principaux partis politiques provinciaux. En fait, d’autres mécanismes environnementaux fondés sur le marché ont été mis en œuvre ces dernières années sans qu’ils soient devenus des enjeux électoraux majeurs. Par exemple, alors que l’Ontario et l’Alberta ont renoncé à la tarification du carbone, les deux provinces maintiennent un système de plafonnement et d’échange des oxydes d’azote et de soufre de sources industrielles (cadre réglementaire ontarien Ontario Emissions Trading Registry et Emissions Trading Regulation en Alberta).

Opportunités économiques de la transition énergétique

Un dernier facteur contribuant à la persistance de la tarification du carbone au Québec peut être le bénéfice économique que tire la province de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Cette raison est souvent invoquée, bien qu’elle soit présentée sous différents angles. L’industrie manufacturière, y compris le secteur hautement stratégique de l’aluminium, n’a pas hésité à s’engager dans la lutte contre les changements climatiques en signant des accords volontaires de réduction des émissions avec la province en 2003 et à nouveau en 2007. Une enquête réalisée auprès des entreprises qui participent au SPEDE, publiée en mai 2017, a montré que 75 % d’entre elles avaient une opinion favorable du marché du carbone. La plupart de ces entreprises ont aussi affirmé que le SPEDE n’avait pas d’incidence négative sur la compétitivité de leur industrie, même si elles sont préoccupées par l’effet qu’aura le marché du carbone sur la compétitivité de l’ensemble de l’économie québécoise.

On a souvent présenté la transition vers une économie sobre en carbone comme une occasion pour le Québec d’exporter son hydroélectricité afin d’aider ses partenaires économiques à réduire leurs émissions. Selon des modèles économétriques, les industries québécoises ne peuvent que gagner de la liaison des marchés du carbone du Québec et de la Californie, car elle leur permet de réduire les coûts de conformité. Cela s’explique en partie par le fait qu’il existe relativement peu de projets de réduction des émissions qui génèrent des crédits compensatoires au Québec (environ 678 000 tonnes de crédits compensatoires ont été déclarés à ce jour). Cependant, environ 150 millions de tonnes de crédits compensatoires (incluant des crédits pour les actions hâtives) ont été enregistrés dans le cadre du marché du carbone de la Californie.

L’accord qui existe entre les partis politiques québécois représentés à l’Assemblée nationale sur la tarification du carbone constitue un facteur clé pour expliquer la persistance de la tarification du carbone au Québec. Si ces partis ne sont pas toujours d’accord sur les cibles que devrait avoir le Québec en matière de changements climatiques et sur les politiques précises à mettre en œuvre, ils appuient le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission actuel. Cet accord repose sur la faible polarisation des Québécois à l’égard de la tarification du carbone et sur la perception généralisée selon laquelle la transition vers une économie sobre en carbone est dans l’intérêt économique de la province. Ces facteurs interagissent et se renforcent mutuellement et, en l’absence de désaccord entre les principaux acteurs économiques de la province, en particulier le secteur manufacturier, il est probable que l’accord persistera. Préciser davantage les conditions dans lesquelles le consensus québécois a émergé et se maintient serait une recherche prometteuse pour ceux qui cherchent à construire une politique climatique durable dans un monde qui se réchauffe rapidement.

Cet article fait partie du dossier L’évolution de la tarification du carbone dans les provinces.

Photo : Des manifestants à Montréal exigent des actions concrètes pour lutter contre les changements climatiques, le 8 décembre 2018. La Presse canadienne / Graham Hughes.


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David Houle
David Houle travaille dans le secteur public. Il détient un doctorat de science politique et études environnementales de l’Université de Toronto et a effectué un postdoctorat à l’Université du Michigan, les deux portant sur les politiques provinciales en matière de changements climatiques et de tarification du carbone.
Erick Lachapelle
Erick Lachapelle est professeur agrégé de science politique à l’Université de Montréal.

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