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Ce texte est le premier d’une série de deux articles.
L’économie canadienne est dominée par quelques grandes entreprises. Cette tendance, qui s’est accélérée au cours des deux dernières décennies, a de nombreuses conséquences négatives : des biens et des services qui coûtent plus cher, des choix limités pour les consommateurs, des salaires plus bas, des conditions de travail qui se détériorent et une hausse des inégalités de revenus. Un petit groupe de grandes entreprises tire profit de cette concentration en gonflant ses profits grâce à une concurrence réduite sur les marchés.
Cet environnement commercial érige des barrières tangibles et psychologiques pour les petites et moyennes entreprises (PME) existantes et celles qui veulent s’implanter, qu’elles soient locales ou internationales. Le phénomène, bien visible dans des secteurs tels que les télécommunications, les services financiers, les compagnies aériennes et les épiceries, a attiré l’attention des médias, la colère du public et les critiques politiques.
Un cadre réglementaire favorable à la concurrence, qui servirait l’intérêt public et réduirait les incertitudes, pourrait favoriser la croissance économique dans l’ensemble du pays et améliorer le niveau de vie. En outre, l’allègement du fardeau réglementaire rendrait le Canada plus attrayant pour l’investissement et simplifierait la vie des entreprises.
De telles mesures pourraient être profitables pour les consommateurs. Elles leur permettraient de réaliser des économies et d’avoir plus de choix, puisque la présence d’un plus grand nombre d’entreprises se traduit généralement par des prix plus bas et un plus grand nombre d’options. Un régime réglementaire plus intelligent et mieux ciblé – ce qui ne signifie pas nécessairement moins de réglementation – stimulerait la concurrence. Et un environnement plus concurrentiel permettrait aux petites et moyennes entreprises de rivaliser avec les grandes sociétés, ce qui donnerait un marché de l’emploi plus dynamique et offrant plus d’opportunités.
Un désavantage concurrentiel
La documentation indiquant que les milieux d’affaires canadiens considèrent le régime réglementaire du pays comme un désavantage concurrentiel est abondante, comme le souligne un rapport du Conseil canadien des affaires. Deloitte, notamment, a identifié la réglementation comme une faiblesse sous-jacente par rapport à d’autres aspects commerciaux, et noté la performance déclinante du pays dans divers classements.
Le Bureau de la concurrence du Canada a rapporté que l’intensité concurrentielle du pays, qui fait référence aux efforts déployés par les entreprises pour surpasser leurs rivales, a diminué entre 2000 et 2020. L’indice Herfindahl-Hirschman (IHH), une mesure de la concentration des entreprises qui indique le nombre d’entreprises qui dominent une industrie, a augmenté de 8,6 % dans les 10 % d’industries les plus concentrées, passant de 2818 en 2005 à 3060 en 2018. Le nombre d’industries dont l’IHH est supérieur à 2500 – ce qui indique une forte concentration – est passé de 19 en 2005 à 27 en 2018.
La stabilité du classement, qui mesure le degré d’enracinement des grandes entreprises, a augmenté dans toutes les industries entre 2003 et 2020, ce qui signifie que les grandes entreprises font face à moins de concurrence. Le taux d’entrée des nouvelles entreprises a diminué, passant de 11,8 % en 2001 à 9,0 % en 2020, tandis que le taux de sortie a chuté, passant de 13,4 % en 2001 à 12,3 % en 2020, ce qui indique que les industries canadiennes sont devenues moins dynamiques au fil du temps.
Les taux d’entrée (des nouvelles entreprises) et de sortie ont tous deux diminué entre 2021 et 2020, passant de 11,8 à 9,0 % dans le premier cas, et de 13,4 à 12,3 % dans le second, indiquant encore une fois que les industries canadiennes sont devenues moins dynamiques au fil du temps.
On doit parler du manque de concurrence au Canada
Dans un indice de compétitivité de 2018 du Forum économique mondial, le Canada s’est classé 12e sur 140 pays. Cette position plutôt flatteuse cachait cependant des problèmes réglementaires profonds : le pays se classait au 22e rang pour les politiques du travail, au 53e rang pour le fardeau réglementaire et au 81e rang pour la facilité à embaucher des travailleurs étrangers. Les États-Unis, qui sont notre principal partenaire commercial et concurrent, nous devançaient dans 10 des 13 grandes catégories.
Une base de données de l’OCDE, l’indice de liberté économique de l’Institut Fraser et des rapports de la Chambre de commerce du Canada et de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante indiquent tous que peu de choses ont changé ces dernières années. L’environnement réglementaire du Canada agit comme un goulot d’étranglement, alors que le secteur privé attend avec impatience un signal clair du gouvernement fédéral indiquant que le pays est réellement ouvert aux affaires, au-delà des belles paroles.
La position du Canada est aggravée par des inefficacités qui incluent la bureaucratie gouvernementale, des taux d’imposition élevés et un cadre réglementaire complexe et coûteux. Une enquête menée par le Conseil canadien des affaires en 2019 a révélé que 41 % de ses membres étaient d’avis qu’une réduction du fardeau réglementaire ou une réforme pure et simple était essentielle à l’amélioration de l’environnement d’affaires.
Les dirigeants d’entreprises ont indiqué que l’incertitude et les retards dans la prise de décision ainsi que les incohérences réglementaires sont des obstacles majeurs, qui découragent les entrepreneurs de prendre le risque de démarrer des entreprises ou qui les poussent vers des marchés étrangers.
Les données ci-dessus mettent en évidence trois problèmes qui contribuent à cette concentration croissante des entreprises :
- Les coûts de conformité réglementaire et les barrières à l’entrée sont accrus par les longs délais d’obtention des permis et par la difficulté à s’y retrouver dans le paysage réglementaire. Cela affecte de manière disproportionnée les PME et les nouveaux arrivants potentiels sur le marché. Les grandes entreprises disposant de ressources abondantes finissent par faire ce qu’elles veulent, tandis que les petites entreprises, dont les ressources limitées, sont mises à l’écart.
- Le désavantage concurrentiel par rapport aux principaux partenaires commerciaux (essentiellement les États-Unis), intensifie la fuite des capitaux et des talents vers des régimes plus favorables aux entreprises. Cette émigration accentue la concentration du marché, ce qui permet à entreprises moins nombreuses et plus grandes de dominer l’économie canadienne. Les anecdotes d’entrepreneurs canadiens qui délocalisent leurs jeunes pousses aux États-Unis sont courantes. Ces entrepreneurs sont attirés par un environnement réglementaire plus favorable, un plus important bassin de capital de risque et un meilleur accès au financement – ce qui évite d’avoir à renoncer sacrifier des fonds de l’entreprise.
- Les différences dans l’application de la réglementation et les politiques publiques d’une province à l’autre créent des conditions de concurrence inégales. L’imprévisibilité réglementaire amplifie les risques d’entrée pour des concurrents potentiels, tandis que les politiques qui entravent la concurrence empêchent le marché de se diversifier. La première consolide la position des entreprises établies, tandis que les secondes amènent une plus grande concentration.
Ces difficultés réglementaires entraînent à leur tour trois problèmes :
- Le rythme d’adoption des nouvelles technologies et des idées novatrices par l’économie est ralenti par une réglementation rigide et complexe. Ces retards nuisent à la compétitivité du Canada en freinant la croissance de la productivité et les gains d’efficacité économique globaux qui pourraient être réalisés en tirant parti des technologies et des modèles d’entreprise de pointe.
- Le paysage réglementaire canadien crée un climat qui décourage les investissements directs étrangers et nationaux. Il en résulte une sous-capitalisation de secteurs essentiels tels que la production d’énergie renouvelable et l’industrie manufacturière de haute technologie. Un investissement soutenu en capital et en recherche et développement alimente la vitalité économique. Dans le cas contraire, les industries stagnent, l’innovation est freinée et la croissance à long terme est compromise. Ce sous-investissement dans les secteurs clés diminue la capacité du Canada à s’adapter aux défis et aux opportunités.
- L’inefficacité de la réglementation gonfle les coûts opérationnels des entreprises, ce qui nuit à la compétitivité internationale globale du Canada. L’augmentation des dépenses rend les biens et services domestiques plus coûteux sur les marchés étrangers. Ce désavantage économique a un impact sur la balance commerciale, diminue les volumes d’exportation et empêche le Canada de maintenir une position solide sur les marchés mondiaux. Ultimement, cela peut affecter la richesse et les niveaux d’emploi du pays.
La perception d’un environnement réglementaire restrictif ainsi que des contraintes réglementaires réelles ont conduit à une forte concentration du pouvoir des entreprises et à une croyance qu’il est plus difficile de faire des affaires au Canada qu’aux États-Unis. Le Canada ne surpassera jamais son voisin, dont l’économie est dix fois plus importante. Néanmoins, le gouvernement fédéral dispose d’une grande marge de manœuvre pour élever son niveau de jeu.
Le Canada doit composer avec une prospérité économique en déclin, une situation compliquée par des normes complexes, qui sont notamment élaborées par Ottawa. Ces tendances sont liées. En plus d’imposer des coûts financiers aux entreprises, la lourdeur de la réglementation décourage l’investissement dans nombre de secteurs majeurs de l’économie.
La réglementation est nécessaire au bon fonctionnement d’une société moderne. Il reste que réglementer pour réglementer – même de façon bien intentionnée – peut nuire à tous les Canadiens en étouffant la croissance économique et l’investissement des entreprises. Cela fait déjà un moment que la croissance n’est plus une priorité de la politique fédérale. Ça doit changer. Nous allons voir dans le prochain texte ce qui pourrait être fait.
Les opinions exprimées dans cet article sont des opinions personnelles et ne reflètent pas les points de vue ou les opinions d’une organisation, d’une institution ou d’une entité associée à l’auteur.