Jusqu’à quel point les parents devraient-ils tout décider pour leur enfant? Comme le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, semble penser qu’il n’y a pas de limites.

Récemment, M. Poilievre s’est exprimé publiquement pour défendre haut et fort les droits parentaux : « Laissez les parents élever leurs enfants ». En agissant de la sorte, il choisit d’ignorer le fait qu’au Canada, les droits des parents prennent fin dès qu’ils cessent d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Pire encore : ses paroles attisent la transphobie à un moment critique de notre histoire.

Pierre Poilievre a fait ces déclarations dans le but d’attaquer Justin Trudeau, après que celui-ci eut critiqué la décision du gouvernement néo-brunswickois de ne plus exiger des enseignants qu’ils utilisent les noms et pronoms choisis par les élèves transgenres ou non binaires de moins de 16 ans, sans le consentement de leurs parents.

Comme des recherches l’ont clairement montré, l’utilisation du nom choisi par l’enfant est bénéfique pour leur santé. À l’inverse, lorsque les jeunes n’ont pas le soutien de leurs enseignants et des principaux adultes responsables dans leur vie, et ils sont plus susceptibles de voir leur santé physique et mentale en souffrir. La raison pour laquelle tant d’experts, d’enseignants, de parents et de politiciens s’opposent fermement à cette loi est simple : trop souvent, le foyer familial n’est pas un lieu sûr pour les enfants et les jeunes trans ou non binaires.

Quand les conservateurs jouent le jeu républicain

La portée de la déclaration de Pierre Poilievre ne se limite pas aux principes qu’elle vise prétendument à défendre. Sous le couvert de son appel cavalier à la protection des droits parentaux, le chef du Parti conservateur emprunte les méthodes du Parti républicain américain.

Depuis le début de l’année, les législateurs républicains ont introduit plus de 500 textes de loi ciblant les adultes, les jeunes et les enfants trans. Ces lois criminalisent l’utilisation des toilettes et interdisent aux enfants de jouer dans des équipes sportives récréatives. Elles suppriment également l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les jeunes transgenres et non binaires. Pourtant, il est désormais reconnu que ces soins améliorent considérablement la santé mentale et le bien-être des jeunes de genres différents.

La revendication des « droits parentaux » et le rejet souvent explicite de la diversité de genre qu’elle sous-tend ont si bien rallié l’extrême droite qu’elle a systématiquement éliminé ou compromis l’accès aux soins de santé et à l’éducation pour les jeunes et les adultes trans dans plus d’une douzaine d’États. Cette rhétorique a ceci d’ironique qu’elle ne fait aucun cas du bien-être des enfants trans ou non binaires et des parents qui les appuient. Par ces lois, les républicains cherchent avant tout à plaire à l’électorat chrétien conservateur, qui ne reconnaît pas le droit des jeunes d’affirmer leur genre, ni celui des parents de les soutenir dans cette démarche.

Avant que les commentaires de Pierre Poilievre ne fassent parler d’eux, nous pouvions déjà constater les effets de la vague de transphobie actuelle. Des familles américaines doivent déménager dans un autre État pour que leur jeune trans puisse recevoir des soins d’affirmation de genre en toute sécurité. Les parents d’enfants trans sont nombreux à vivre des situations de stress alors que les écoles ne sont pas inclusives pour leurs jeunes, en plus d’avoir à se battre pour qu’ils puissent avoir accès aux toilettes. Enfin, de jeunes activistes trans du monde entier luttent contre la haine en ligne et dans le monde réel.

En l’espace d’un après-midi, Pierre Poilievre a rendu cette époque épuisante et terrifiante encore plus complexe pour les jeunes trans et non binaires, et pour ceux qui les aiment.

Avant tout, protéger les enfants

Au lendemain de sa déclaration, nos pires craintes se sont matérialisées lorsque trois personnes ont été poignardées dans un cours d’études de genre à l’Université de Waterloo. Bien que cette attaque brutale ne soit pas le fait de Pierre Poilievre, le discours du chef du PCC et d’autres commentateurs contribue à créer un environnement où le bien-être de jeunes trans et non-binaires est encore plus menacé. En effet, selon les enquêteurs, l’acte de l’individu accusé d’avoir agressé une professeure et deux étudiants était « motivé par la haine et lié à l’expression et à l’identité de genre. »

Les politiciens fédéraux – incluant les politiciens conservateurs – ont la responsabilité éthique de contrer, par des mesures immédiates, les conséquences destructrices des politiques et des discours transphobes. Ils doivent protéger les enfants, et non les cibler afin d’en tirer un bénéfice politique. À l’heure où la haine transphobe atteint des niveaux sans précédent, joignons le geste à la parole.

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Kimberley Manning
Kimberley Manning est directrice de l’Institut Simone de Beauvoir et professeure au département de science politique de l’Université Concordia. Elle fait partie d'une équipe nationale de chercheurs financés par le CRSH qui étudient les parents de jeunes trans et non-binaires.
Celeste Trianon
Céleste Trianon est une juriste transféminine primée, gestionnaire de clinique juridique et défenseure des droits de la personne basée à Montréal. Elle intervient régulièrement dans les médias à propos des personnes transgenres au Québec et au Canada.
Annie Pullen Sansfaçon
Annie Pullen Sansfaçon, T. S., Ph. D., est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, et professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université de Montréal. 

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