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Fin mai, Barack Obama retweetait un article du MinnPost faisant le point sur la session qui venait de se terminer à la législature d’État du Minnesota, en ajoutant que le bilan remarquable de cette session nous rappelle que les élections peuvent véritablement avoir des conséquences. Tim Walz, le gouverneur démocrate de l’état, parlait pour sa part de la session législative la plus fructueuse de toute l’histoire du Minnesota.

Pourquoi cet enthousiasme? En cinq mois, du 3 janvier au 22 mai, les législateurs ont fait prendre un virage progressiste substantiel au Minnesota. Forts d’une nouvelle majorité au Sénat et à la Chambre des représentants de l’État, les démocrates ont dès le départ adopté une loi réaffirmant le droit fondamental à l’avortement, en réponse à la récente annulation par la Cour suprême du jugement Roe v. Wade. Une loi complémentaire protège les femmes qui viendraient d’ailleurs au pays pour obtenir un avortement au Minnesota. La protection des droits des personnes transgenres a également fait l’objet d’une nouvelle loi.

En parallèle, des mesures ont été prises pour redonner le droit de vote aux personnes sortant de prison et éliminer plusieurs barrières à la participation électorale. Le contrôle des armes à feu a été renforcé, l’usage récréatif de la marijuana a été légalisé et une loi exige que les compagnies d’électricité soient neutre en carbone d’ici 2040 (hors du Québec, l’électricité est encore souvent produite à l’aide d’hydrocarbures).

Des investissements substantiels ont été faits dans les écoles, le logement social, les services de garde, les soins de longue durée et les infrastructures. Un programme d’assurance pour les pertes de revenus liées à la maladie a été introduit, l’accès aux études supérieures est devenu gratuit pour les ménages à revenus modestes et un programme universel offrant à tous des repas gratuits à l’école a été instauré.

Diverses mesures ont également été prises afin de circonscrire les offensives patronales contre les syndicats et mieux protéger les conditions de travail, notamment dans les abattoirs et les entreprises de la nouvelle économie, comme Amazon ou Uber. Selon Bernier Burnham, président de l’AFL-CIO du Minnesota – la succursale locale du plus grand syndicat au pays –, ces nouvelles dispositions s’additionnent pour engendrer la réforme du droit du travail la plus ambitieuse dans l’histoire de l’État.

Tour du chapeau électoral

Cet impressionnant bilan législatif a été rendu possible par la triple victoire des démocrates en novembre 2022, qui leur a donné ce que les Américains appellent une « trifecta », c’est-à-dire un tiercé gagnant qui leur accorde le poste de gouverneur et une majorité dans les deux chambres législatives, celles des représentants et le Sénat. Au Québec, on parlerait, d’un tour du chapeau démocrate.

Mais les moyens ne sont pas toujours garants des ambitions. En Californie ou dans l’état de New York, les démocrates sont régulièrement en position de force, mais ils ont tendance à se perdre dans des querelles internes et à faire du surplace. Au Michigan, les démocrates ont également réussi un tour du chapeau en 2022, mais ils se sont avérés beaucoup plus timorés. Pour rester dans les métaphores de hockey, ils ont adopté un jeu plutôt défensif, hésitant notamment à changer les lois antisyndicales mises en place par les républicains.

Le journaliste du New York Magazine Eric Levitz identifie trois facteurs pour rendre compte de la singulière efficacité des démocrates du Minnesota : une victoire serrée, un solide surplus budgétaire et la conscience aiguë d’une opportunité unique.

Une majorité mince, mais unie

Le tour du chapeau des démocrates du Minnesota tenait effectivement à peu de choses, avec une majorité d’un seul siège au Sénat et de six à la Chambre des représentants. Cette mince majorité permettait tout de même la cohésion du vote, d’autant plus qu’à la Chambre, les démocrates ont perdu trois représentants de régions rurales, plus réticents face à l’avortement, et gagné trois nouveaux sièges dans les banlieues de Minneapolis-Saint Paul.

À l’image des États-Unis, le Minnesota est politiquement divisé entre les régions urbaines, plus diversifiées et progressistes, et les régions rurales, plus conservatrices. L’élection de 2022 a renforcé l’ancrage des démocrates dans les villes jumelles de Minneapolis et Saint Paul. Les progressistes du Parti démocrate-fermier-travailliste, le nom officiel du parti démocrate du Minnesota, n’ont donc pas eu à composer avec un Joe Manchin, le sénateur démocrate de Virginie-Occidentale qui vote presque toujours contre son parti.

Des surplus à dépenser  

En 2023, les démocrates disposaient également d’un important surplus budgétaire. Propulsé par les transferts fédéraux introduits pendant la pandémie, puis par un taux de chômage très bas, le Minnesota avait cette année une des situations budgétaires les plus favorables au pays, avec un excédent de 17,5 milliards $, une somme considérable pour cet État moins peuplé que le Québec. Cette situation a permis aux élus d’augmenter les dépenses de l’État de 40 % sans hausser les impôts substantiellement.

Carpe diem

Enfin et surtout, dans un état toujours compétitif – un « swing state » assez typique –, les dirigeants démocrates ont su cultiver l’idée selon laquelle « on pourrait ne gouverner qu’une seule fois ». Comme l’a souligné le gouverneur Tim Walz, « on ne gagne pas des élections pour accumuler du capital politique. On gagne des élections pour flamber ce capital et améliorer la vie de nos concitoyens ». Dit autrement, il faut faire les réformes que l’on souhaite quand on le peut, en misant sur le fait que si les adversaires reviennent, ils n’auront probablement pas tous les pouvoirs et pourront difficilement tout remettre en question.

Une leçon politique

La politique américaine apparaît souvent désespérante : polarisation de l’électorat autour d’enjeux souvent plus symboliques que concrets, incapacité d’offrir des protections sociales et des services à la hauteur d’un pays riche et démocratique, offre politique laissant toute la place à deux leaders vieillissants. L’évolution récente du Minnesota offre à cet égard une perspective rafraichissante, en montrant la possibilité réelle de changement, même dans une société polarisée entre un électorat urbain progressiste, et un autre rural et conservateur.

En prenant systématiquement le contrepied des politiques républicaines des dernières années, sur les droits des femmes, des travailleurs et des minorités, le « modèle du Minnesota » apparaît ambitieux et riche de possibilités. Beaucoup évidemment reste à faire. Le Minnesota, faut-il le rappeler, est aussi l’État où George Floyd a été tué par la police, et où la discrimination raciale est encore bien présente. Mais l’activisme démocrate des derniers mois suggère que les choses peuvent changer, parfois assez rapidement.

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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