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Certains observateurs estiment que le système canadien de politique fiscale à l’égard des organismes de bienfaisance a conduit à une situation dans laquelle les fondations privent le gouvernement des ressources nécessaires pour répondre aux besoins publics.

En réalité, les fondations soutiennent le secteur caritatif canadien, qui constitue le pilier fondamental de la qualité de vie au Canada. Elles sont réglementées de manière transparente par l’Agence du revenu du Canada (ARC) et permettent à la politique et au système progressif d’incitations fiscales en faveur des œuvres de bienfaisance du Canada de mettre la richesse privée au service d’importantes causes publiques par une multitude de moyens importants. Cependant, pour que leur impact soit réel, un cadre réglementaire efficace est essentiel.

Le lien entre organisations caritatives, fondations et impôts

Les organisations caritatives sont des associations qui rassemblent des personnes sensibles à une cause afin qu’elles puissent faire une différence. Or les Canadiens ont besoin d’elles. Selon un récent sondage réalisé auprès des Canadiens, 81 % d’entre eux estiment que les services fournis par les organismes de bienfaisance et à but non lucratif au Canada sont essentiels au bien-être du pays et de ses citoyens.

Le Canada est un pays avancé doté d’un filet de sécurité sociale durable. C’est aussi un pays composé d’individus au grand cœur qui se soutiennent et dépendent les uns des autres, ce que le gouvernement ne pourrait jamais faire seul. Il n’est donc pas étonnant que notre régime fiscal pour les organismes de bienfaisance soit l’un des plus généreux au monde.

Les fondations de bienfaisance, un type d’organisation caritative dont le but est de soutenir des activités de bienfaisance, constituent un élément essentiel du secteur à but non lucratif au Canada. En règle générale, les fondations reçoivent des dons de personnes ou d’organisations généreuses, investissent les actifs et allouent ensuite les bénéfices à des activités de bienfaisance. Les donateurs confient leurs actifs à une fondation et bénéficient d’un avantage fiscal qui leur permet de payer moins d’impôts, leurs contributions étant utilisées pour soutenir le travail essentiel des organisations caritatives. En tant qu’organismes de bienfaisance enregistrés, les fondations sont exonérées d’impôt et n’ont donc pas à payer d’impôt sur le revenu.

La réglementation visant les fondations

Pour pouvoir délivrer des reçus fiscaux et ne pas payer d’impôt, les fondations, comme tous les organismes de bienfaisance, doivent démontrer à l’ARC que leurs activités offrent un avantage tangible au public, conformément à la loi et à la réglementation de l’ARC.

Elles font l’objet d’un suivi et sont tenues de respecter des obligations strictes en matière de déclaration, puisque des informations complètes sur leurs activités sont mises à la disposition du public. En plus de se soumettre aux activités d’audit, de conformité et d’éducation menées par l’ARC, les fondations et autres organismes de bienfaisance doivent produire une déclaration annuelle (T3010), qui s’apparente aux déclarations de revenus des particuliers que les Canadiens ont l’habitude de remplir chaque année. Dans un souci de transparence, les informations détaillées recueillies par le gouvernement sur chaque organisme de bienfaisance au Canada sont mises à la disposition du public en ligne.

L’impact des fondations sur les Canadiens

Des données récentes montrent que :

  • les fondations canadiennes consacrent chaque année plus de 10 milliards de dollars à des initiatives caritatives;
  • leurs actifs sont passés de 35 milliards de dollars en 2008 à environ 135 milliards de dollars en 2021;
  • leurs versements augmentent également : entre 2018 et 2021, les contributions annuelles ont augmenté de 23 % pour les fondations publiques et de 72 % pour les fondations privées.

Lorsqu’un don est fait à une fondation, l’impact financier sur la société est multiplié d’une manière qui n’aurait jamais été possible sans ce don. Tout d’abord, les actifs des fondations ne restent pas dans des boîtes à chaussures sous le lit. Ils sont investis dans l’économie, et les bénéfices sur les actifs investis sont affectés au soutien d’activités caritatives. Aujourd’hui, ce pourcentage doit être d’au moins cinq pour cent chaque année pour les actifs de plus d’un million de dollars. En clair, ce contingent de versements annuel de cinq pour cent n’est que le minimum requis. Bien souvent, les fondations allouent beaucoup plus d’argent à leurs activités de bienfaisance.

Toutefois, le véritable pouvoir des fondations ne se limite pas au financement d’activités caritatives et à l’investissement dans l’économie. Parce qu’elles travaillent généralement dans plusieurs secteurs avec de nombreux partenaires différents, les fondations sont en mesure de percevoir et de suivre les grandes tendances et les besoins en général de la société. Et, comme leur seule responsabilité est de faire avancer les causes caritatives, elles peuvent intervenir là où d’autres en sont incapables ou n’y sont pas disposés.

Plus agiles que les gouvernements et mieux informées que les donateurs individuels, les fondations fournissent régulièrement des fonds de démarrage flexibles ou soutiennent un engagement à long terme pour des problèmes critiques culturels, sociaux ou environnementaux qui peuvent ne pas être apparents pour le public ou ne pas constituer une priorité pour les politiciens plus préoccupés par les dernières préférences de l’électorat. Par exemple, le programme de micro-bourses de la Fondation Béati fournit un soutien de départ aux dirigeants d’organisations à but non lucratif afin qu’ils développent des programmes socialement innovants. Le soutien à long terme apporté par la Fondation Lawson en ce qui a trait au diabète, l’une des maladies chroniques les plus répandues chez les enfants et les jeunes, en particulier chez les jeunes autochtones, est un autre exemple, mais le gouvernement ou les médias n’y accordent que peu d’attention.

La souplesse des fondations leur permet également de relever des défis plus difficiles et plus complexes que d’autres ne souhaitent pas ou ne peuvent pas privilégier, notamment en jouant un rôle important dans le renforcement des capacités. Par exemple, l’institut de formation en politiques publiques (Public Policy Training Institute) de la Fondation Max Bell aide les professionnels des organisations à but non lucratif à développer leur sens des politiques publiques et de l’action sociale – un ensemble de compétences cruciales pour faire avancer les missions caritatives dans le monde complexe et concurrentiel d’aujourd’hui. La Fondation Max Bell est particulièrement bien placée pour proposer ce programme en raison de sa propre expertise institutionnelle et de son implication de longue date dans le développement de politiques publiques.

En plus des subventions, des investissements traditionnels et des programmes, les fondations ont adopté des méthodes novatrices pour accroître et utiliser leurs actifs à des fins sociales. L’une de ces stratégies est l’investissement d’impact, qui génère non seulement des bénéfices financiers, mais aussi des bénéfices sociaux positifs, comme la construction de logements abordables ou l’octroi de prêts à des entrepreneurs nouvellement établis.

Les organisations qui renforcent leur engagement en faveur de l’investissement d’impact comprennent la Fondation Inspirit, la Fondation McConnell et la fondation Houssian, pour n’en citer que quelques-unes. L’enquête la plus récente de Fondations Philanthropiques Canada a montré que près de la moitié des répondants consacrent au moins une partie de leurs actifs à l’investissement d’impact. Nous pouvons nous attendre à des niveaux de participation encore plus élevés lors de la prochaine enquête de FPC en 2026.

Faire progresser le régime de politique fiscale du Canada pour un plus grand impact

À une époque où il est plus que jamais nécessaire de faire appel à la multitude de contributions des organisations caritatives et où les responsables des politiques gouvernent dans une période de défis sans précédent, le gouvernement devrait envisager des mesures de politique fiscale qui favorisent et soutiennent l’efficacité des organisations caritatives.

Le contingent des versements minimal pour les organismes de bienfaisance a récemment été porté à cinq pour cent, et c’est une bonne chose. Il s’agit d’une politique publique importante qui devrait être revue régulièrement par le gouvernement afin de s’assurer que le niveau du contingent est ni trop élevé, ce qui entraînerait une érosion du capital des organisations caritatives, ni trop bas, ce qui permettrait une accumulation du capital.

De nombreux experts en droit caritatif, tels que la Pemsel Case Foundation, préconisent également que les décisionnaires désignent la Cour canadienne de l’impôt (plutôt que l’actuelle Cour d’appel fédérale) comme juridiction principale de contrôle de toutes les décisions de l’ARC refusant ou révoquant l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance. Les défenseurs de cette idée affirment que cela permettrait de faire avancer le processus d’examen judiciaire des organismes de bienfaisance potentiels et de faire évoluer la jurisprudence en matière d’organismes de bienfaisance, ce qui contribuerait grandement à garantir que les organismes de bienfaisance répondent aux besoins des Canadiens.

L’essentiel du droit caritatif repose sur la common law, qui est censée se développer et évoluer en fonction des changements sociétaux. Toutefois, cette évolution ne peut avoir lieu que si des affaires judiciaires et des décisions font progresser le droit.

La Cour d’appel fédérale est une instance coûteuse et onéreuse qui entend les affaires sur la base de la seule documentation; il n’y a aucune possibilité de présenter d’autres preuves. En revanche, la Cour canadienne de l’impôt siège dans un plus grand nombre d’endroits au Canada et entend des témoins qui peuvent être contre-interrogés avant qu’une décision ne soit rendue. Ainsi, les dossiers sont plus étoffés et il y a plus de possibilités d’élaborer des lois qui permettent au concept de bienfaisance d’évoluer pour mieux servir les communautés dans tout le pays.

Le gouvernement du Canada et les organismes de bienfaisance sont des partenaires essentiels pour faire avancer le bien commun. Dans le cadre de ce partenariat, le gouvernement doit veiller à ce que les fondations et les autres organismes de bienfaisance disposent d’un cadre réglementaire et juridique utile qui les aide à accomplir leur important travail de manière efficace.

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Sara Krynitzki
Sara Krynitzki est experte en politiques publiques pour le secteur caritatif. Elle est directrice générale adjointe de Fondations Philanthropiques Canada et membre du Groupe de travail sur les questions techniques, qui conseille le gouvernement fédéral sur les enjeux liés à la règlementation des organismes de bienfaisance.

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