(English version available here)

Les considérations économiques sont au centre de toutes les décisions politiques. Subventions, réticences à élargir le filet social ou à protéger davantage l’environnement, tout semble destiné à assurer une croissance plus forte de notre consommation.

On se plie aux demandes des lobbies d’affaires. On donne des milliards à de grandes entreprises. On semble même préférer relocaliser des familles, malgré les implications négatives sur leur santé mentale, plutôt de forcer une entreprise à respecter la réglementation environnementale.

Pourquoi? Parce que les élus – et leurs électeurs – croient qu’une amélioration du bien-être passe nécessairement par un agrandissement de leur portefeuille. Pourtant, ne répétons-nous pas que l’argent ne fait pas le bonheur?

Le débat sur cette question dure depuis toujours, mais l’arrivée de bases de données massives apporte un nouvel éclairage.

Et que disent ces données? Qu’avoir plus d’argent augmente votre bien-être… jusqu’à ce que vous atteigniez un seuil de revenu qui vous permet de vivre confortablement (un toit, manger à sa faim). Passé ce seuil que la plupart d’entre nous ont atteint, avoir plus d’argent augmente le bien-être, mais seulement temporairement, et seulement si vous êtes seul parmi vos amis – ou tout groupe auquel vous vous comparez – à recevoir plus d’argent.

C’est l’idée même du voisin gonflable.

La recherche montre que la croissance économique a peu d’impact à long terme sur la satisfaction de la vie des gens dans nos pays avancés. Doit-on alors cesser de se préoccuper de l’économie? Bien sûr que non.

Une économie qui fonctionne bien encourage l’innovation et assure que nous utilisons nos ressources limitées le plus efficacement possible. Une croissance forte permet d’aider à ce que tout le monde ait un revenu suffisant pour vivre confortablement et puisse profiter des infrastructures qui améliorent notre qualité de vie. Aussi, puisque nous nous comparons non seulement à nos voisins proches, mais aussi à d’autres régions, avoir un revenu moyen comparable ou supérieur à celui d’autres pays nous rend plus satisfaits de notre sort.

Le problème est que les considérations économiques prennent souvent une importance démesurée, au détriment d’autres considérations. Encore une fois, la recherche montre qu’il y a en gros cinq facteurs importants qui affectent notre qualité de vie : notre situation financière, notre santé physique et mentale, notre sentiment d’appartenance à une communauté, la qualité et la beauté de notre milieu de vie et la qualité de notre gouvernance.

Il est aussi important de s’assurer que chacun bénéficie à peu près également d’une bonne qualité de vie – encore une fois, c’est le statut relatif qui importe – et que cette qualité de vie soit soutenable pour les générations futures.

Tous ces facteurs sont interreliés à travers un système complexe. L’économie ne peut être forte si beaucoup gens ont des problèmes de santé mentale, si le gouvernement est corrompu, ou si nous sommes incapables d’avoir confiance les uns envers les autres. Et une économie forte permet à la plupart des gens d’avoir un travail valorisant, un déterminant clé pour la santé mentale.

Le coût du bien-être

C’est dans ce contexte que des gouvernements de plusieurs pays se sont dotés de cadres de décision multidimensionnels pour s’assurer que leurs politiques améliorent efficacement le bien-être des citoyens, et non seulement leur portefeuille.

L’exemple le plus connu est celui de la Nouvelle-Zélande avec son « budget du bien-être », mais c’est le cas de bien d’autres endroits. Au Québec, le collectif G15+ fait beaucoup de travail pour encourager les gouvernements à mettre le bien-être au cœur de leurs décisions. Plusieurs chercheurs au pays poussent dans la même direction.

Le Canada a adopté un cadre de qualité de vie lors du budget de 2021. Mais, pour être utile, ce cadre doit être utilisé dans le processus décisionnel. L’espace réduit qu’on lui a accordé dans le dernier budget fédéral et le peu d’enthousiasme qu’on semble lui montrer suggèrent qu’il a été peu ou pas utilisé, et a plutôt juste servi à cocher des cases. C’est dommage.

C’est vrai qu’il est difficile de choisir entre des priorités parfois contradictoires. Est-ce qu’une politique qui accroît beaucoup l’économie, mais a des effets négatifs sur l’environnement est meilleure pour la qualité de vie des gens qu’une autre politique qui a des impacts économiques, mais aussi environnementaux moindres? Ou, encore, qu’une autre politique qui n’a pas d’impact sur l’économie ou l’environnement, mais qui améliore la santé mentale?

Comment comparer le coût de la coupe d’arbres avec le bénéfice de maintenir des emplois dans certaines industries ou régions? C’est beaucoup plus facile de focaliser seulement sur l’économie ou de manquer de transparence sur les raisons derrière les choix décisionnels.

Mais, alors, devrait-on se surprendre que pendant que la force de l’économie procure des taux d’emplois record, notre santé mentale décline depuis des décennies, la qualité de l’eau de nos rivières diminue, nos émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, les services gouvernementaux se détériorent, la confiance dans nos institutions s’érode et la satisfaction de la vie des gens ne s’améliore pas?

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Claude Lavoie
Claude Lavoie est économiste. Il a été directeur général des études économiques et des analyses politiques du ministère des Finances des Finances de 2008 à 2023. En tout, il a passé plus de trente ans au ministère des Finances et à la Banque du Canada, produisant des analyses basées sur les données probantes pour informer les décisions politiques. Il a reçu plusieurs honneurs, dont la Médaille du jubilé de diamant de la reine. Il a aussi été le représentant du Canada à l’OCDE.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License