Dans la grisaille de la mi-novembre est parue une étude de la Banque Scotia qui parlait d’un « miracle sur la rue Saint-Laurent » pour décrire l’évolution récente de l’économie québécoise. Préparée par Marc Desormeaux, économiste principal à la Scotia, cette analyse montre que l’économie québécoise a connu un rebond remarquable après la première vague de la pandémie, avec une croissance supérieure à celle du reste du pays. 

La mise à jour économique et budgétaire présentée à la fin novembre par le ministre des Finances du Québec est allée dans le même sens. Elle a noté que le Québec devrait terminer l’année avec une croissance économique de 6,5 %, ce qui est supérieur à celle du Canada (5,0 %), des États-Unis (6,0 %) ou de la moyenne mondiale (5,8 %).  

Selon M. Desormeaux, cette forte croissance s’explique notamment par la vigueur de la demande intérieure au Québec. Une transition plus avancée vers une économie moins dépendante des énergies fossiles que dans le reste du pays ou chez nos voisins du Sud est également de bon augure pour l’avenir.  

De son côté, la mise à jour économique du ministère des Finances note que l’écart de richesse entre l’Ontario et le Québec continue à se réduire : entre 2017 et 2021, il a chuté de 16,4 à 12,9 %. En décembre 2021, le Québec était également la province canadienne avec le plus faible taux de chômage (4,6 %). En somme, l’économie québécoise est sur les stéroïdes. Qu’est-ce qui se passe ? 

Un vrai miracle et deux révolutions 

Dans un livre fascinant – justement intitulé Le miracle québécois, l’économiste Mario Polèse adopte une perspective plus large, qui permet de situer ces données dans leur contexte historique. Selon M. Polèse, c’est bien un « miracle » qui décrit la transformation pacifique et somme toute rapide d’une société inféodée et relativement pauvre en une nation prospère, passablement égalitaire, ouverte sur le monde et affichant des indices de bonheur parmi les plus élevés au monde. 

Entremêlant ses propres souvenirs de nouvel arrivant dans le Québec des années 1960, puis de chercheur engagé avec ses analyses personnelles de l’histoire et des tendances à l’œuvre, M. Polèse parle d’une double révolution pour décrire l’évolution de sa patrie d’adoption. 

La première révolution survient dans les années 1960 avec la prise en charge de l’éducation par l’État, prise en charge qui s’accompagne d’un investissement massif et qui va contribuer à éliminer graduellement le retard du Québec. On parle beaucoup, sans doute avec raison, du mauvais état de nos écoles. On doit cependant garder à l’esprit que bon an, mal an, le système éducatif québécois se classe parmi les plus performants dans les comparaisons internationales. Qui, demande M. Polèse, « parmi les observateurs des années 1950 (et d’avant), aurait osé imaginer pareil résultat ? »  

En parallèle, cette première révolution donnait aussi lieu à une implication étatique directe dans différents secteurs économiques, afin de développer les compétences et l’entrepreneuriat au Québec. Une bande dessinée récente, retraçant de façon imagée les grands moments de la carrière de René Lévesque, nous rappelle combien ce nouvel interventionnisme économique apparaissait radical dans le contexte de l’époque. 

Le Québec, observe M. Polèse, changeait alors sur plusieurs plans. L’Église cédait sa place, presque de bonne grâce, les droits des femmes étaient mieux reconnus, et la population se diversifiait grâce à l’immigration. Cependant, les clivages linguistiques demeuraient importants. Pour en venir à bout, une seconde révolution allait être nécessaire. 

« L’acte fondateur du Québec moderne » 

Adoptée en 1977 pour faire du français la langue commune, la loi 101 a été, selon M. Polèse, « l’acte fondateur du Québec moderne », celui qui a transformé le visage de Montréal et, plus largement l’ensemble de la société québécoise. Dorénavant, tous les francophones et tous les immigrants allaient être scolarisés en français. 

Deux romans récents qui m’ont beaucoup touché montrent comment, à travers l’école, c’est toute la culture qui s’offre en partage aux enfants des nouveaux arrivants, et non seulement la langue. 

Dans Là où je me terre, Caroline Dawson raconte sa découverte à onze ans de L’avalée des avalées, de Réjean Ducharme :  

« [J’ai] compris que le français devenait ma langue. Celle qui se superposerait lentement à l’espagnol, pourtant première et maternelle. Celle qui deviendrait une demeure. » 

Dans son remarquable Mille secrets mille dangers, Alain Farah évoque une chanson de Robert Charlebois dans un tourbillon de références identitaires personnelles :  

« Égyptien pure laine. Québécois pur foul. Libanais par le mauvais œil, Montréalais du Petit Liban. Arabe de culture. Phénicien par l’ADN, Chawam des deux côtés, maronite par Dieu. Levantin dans le silence de l’hiver. Immigrant de deuxième génération, qui, depuis Le Caire, depuis Beyrouth, reviendrait à Montréal dans un grand Boeing bleu de mer. » 

De perdant à prospère 

Le miracle québécois, selon M. Polèse, c’est justement d’avoir défait une situation historique perdante pour construire une société de langue française dans le nord de l’Amérique, une petite nation prospère, relativement égalitaire et accueillante pour des gens venus de partout dans le monde. Il y a eu un coût à payer pour cette transformation linguistique, qui a miné l’économie de Montréal pendant presque vingt ans. Mais depuis, les gains ont été substantiels. 

Dans les derniers chapitres de son livre, M. Polèse remonte loin dans l’histoire pour suggérer que, dans l’ensemble, les Québécois ont presque toujours fait les bons choix, même lorsqu’il s’agissait d’endurer un statu quo opprimant pendant plusieurs décennies. 

Il ne me semble pas nécessaire d’aller aussi loin. D’abord, parce que les peuples ne font jamais véritablement des choix. Ce sont les acteurs politiques qui, à travers leurs projets et leurs conflits, définissent graduellement de nouvelles avenues. Ensuite, parce que les révolutions décrites par M. Polèse sont moins des moments de continuité que des gestes de rupture.  

Dans leur Brève histoire de la Révolution tranquille, Martin Pâquet et Stéphane Savard nous rappellent comment les bouleversements des années 1960 et 1970 ont été le produit d’actions politiques délibérées, qui visaient à construire et utiliser l’État du Québec pour transformer toute la société. « Le seul moyen puissant que nous possédions », expliquait le premier ministre Jean Lesage en 1961, « c’est notre État. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas l’utiliser ». 

Mario Polèse montre de façon très personnelle comment ces orientations ont débouché sur des résultats dont on peut se féliciter. Il y a encore beaucoup de choses qui fonctionnent mal au Québec, à commencer par notre système de santé. Mais le recul et les comparaisons permettent aussi de mesurer tout le chemin parcouru. 

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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