Deux importants rapports sur la gestion de la pandémie dans les CHSLD du Québec ont été déposés récemment. Celui de la protectrice du citoyen en novembre, puis celui de la commissaire à la santé et au bien-être Joanne Castonguay la semaine dernière. Ces publications très détaillées font sans conteste œuvre utile en synthétisant des analyses ayant largement cours chez plusieurs experts et observateurs du système de santé. Nous avons d’ailleurs publié la nôtre pour l’IRPP au début décembre.

Le lecteur ou la lectrice observera dans chacun de ces écrits une forte convergence : les causes sont globalement connues et les solutions, en gros, évidentes. Pour l’essentiel, il y a deux raisons pour lesquelles la COVID-19 a fait aussi mal au Québec. La première réside dans l’état général du système de santé et de services sociaux. La seconde dans l’atavisme du réflexe hospitalocentriste, dont les conséquences affaiblissent de façon grave et durable les soins primaires, les soins de longue durée, l’aide à domicile, les organisations communautaires, bref, tout ce qui n’est pas l’hôpital.

Ce réflexe est encore bien présent. Le 18 janvier, la veille de la publication du rapport de Mme Castonguay, le ministère de la Santé et des Services sociaux a eu une poussée de fièvre hospitalocentriste en proposant une révision temporaire de la philosophie de soins hospitaliers, qui serait mise en place advenant que nos hôpitaux débordent encore plus. L’approche envisagée est fondée sur un rabaissement temporaire du niveau de la qualité visée, en donnant des soins « B au lieu d’A+ », afin de soigner le plus grand nombre de patients possible.

Outre la prétention erronée que les services étaient de niveau A+ en 2021 (et ça vaut pour 2020, 2019, 2018, etc.), cette approche fut prolongée par d’autres principes dont on a déjà vu le bout du nez : contraindre l’accès aux services, vider rapidement les lits d’hôpitaux, privilégier les soins à domicile et primaires, réduire le nombre de personnes hospitalisées sans besoins hospitaliers (dits niveaux de soins alternatifs), etc.

Toutes ces solutions apparemment urgentes à une crise immédiate et bien réelle sont pourtant déjà au cœur des politiques publiques en santé depuis au moins 20 ans. Le Rapport Clair a eu 21 ans en janvier. En fait, une dizaine d’autres rapports, livres blancs et plans d’action ont documenté ce qui ne fonctionne pas dans les soins aux aînés et ce qu’on peut faire pour y remédier.

Cette récurrence des problèmes et des pistes de solution – sans que la situation change substantiellement – pose la question fondamentale de la capacité à réellement mettre en œuvre les politiques publiques.

On peut illustrer le problème en prenant l’une des recommandations concrètes et fort positives de la commissaire à la santé. Mme Castonguay en appelle justement au « devoir de faire autrement » en instaurant « rapidement » un « système d’évaluation dans tout le réseau de soutien à l’autonomie des personnes âgées – en commençant par les milieux d’hébergement » –, et d’en prolonger l’usage systématique à l’ensemble des services des CISSS et CIUSSS, qui gèrent les hôpitaux, les services à domicile et les CHSLD. Voilà une bonne idée, sur laquelle travaillent cependant des chercheurs québécois depuis le milieu des années 1990. Et que le ministère cherche à implanter depuis 2003, avec un succès mitigé.

Aujourd’hui, le déploiement d’un tel système d’évaluation demeure encore amputé de ce qui pourrait le rendre puissant en termes de chaîne de valeur, principe aussi promu positivement par la commissaire. Ces outils ont été conçus pour accorder une capacité d’évaluer rigoureusement les besoins avec celle qui consiste à planifier les services, à octroyer le juste financement en fonction des besoins et à évaluer la performance des soins offerts en termes d’effets cliniques.

Seul le premier chaînon de cette chaîne de valeur a été véritablement implanté en 20 ans d’efforts ministériels. On évalue donc les besoins, mais les autres étapes que sont la planification des services, l’octroi d’un budget adéquat et le monitorage de la performance clinique des services offerts sont peu ou mal accomplies. L’enjeu identifié par la commissaire est donc bien réel sur le plan clinique, et nous ne cherchons pas à douter de la sincérité des efforts du ministère. Le cas exposé ici, parmi d’autres, soulève moins un enjeu de politique publique qu’un écart entre la conceptualisation d’une bonne idée et la qualité de sa mise en œuvre.

Le système de santé québécois doit se transformer en un système apprenant

Les aînés ont besoin de soins communautaires et non seulement de nouveaux lits en établissement

Le bon moment pour la réadaptation

L’image clinique de la réadaptation peut être une allégorie utile d’un point de vue de politique publique. Il est connu que la réadaptation a une fenêtre précise d’efficacité. Entamée trop tôt, la crise inhibe ses effets positifs ; entamée trop tard, ses promesses déçoivent, le potentiel de rétablissement étant entravé par la cristallisation de mauvaises habitudes. Il en va de même pour le rétablissement de notre système de santé et de services sociaux postpandémie.

Prenons l’hypothèse la plus optimiste : la pandémie se résorbe significativement en 2022 et nous réussissons à vivre avec ce nouveau coronavirus de manière endémique. L’année qui suivra – à vrai dire la décennie – sera celle de la double facture. Facture clinique (effets des reports de soins, effets secondaires de la pandémie, et COVID longue, dont on ne parle pas assez), et facture budgétaire (découlant de la probable volonté du gouvernement de retrouver une certaine maîtrise des dépenses publiques).

Les divers rapports d’enquête et la science fourniront à ce moment de nombreuses pistes d’action, souvent connues et présentes dans le narratif des politiques publiques depuis 20 ou 30 ans. La conjonction de ces trois flux décisionnels en politique publique (besoins, ressources et solutions) dans une fenêtre temporelle courte, celle du rétablissement postpandémique, sera autant riche d’opportunités que de risques. Voici ce qu’on peut faire pour minimiser l’un et optimiser l’autre :

  • Constituer dès maintenant une instance officielle et publique dédiée à conceptualiser puis mettre en œuvre le rétablissement du système de santé et de services sociaux. Cette instance devrait être partenariale en incluant des usagers, les associations de travailleurs et professionnels, le secteur associatif, les scientifiques, etc. ;
  • Octroyer à cette instance les moyens nécessaires à une gestion du changement à la hauteur des défis qui se présentent. La gestion du changement est l’ingrédient manquant le plus important dans les rapports d’enquête jusqu’à maintenant. Ici, la question n’est pas d’augmenter la dose homéopathique de ressources qui y sont dédiées, mais bien d’en faire une condition essentielle ;
  • Instaurer une culture apprenante durable en santé et services sociaux afin de tirer tous les enseignements possibles de la crise et de ses suites, par exemple en évaluant les effets cliniques des réformes engagées (comme le maintien de l’autonomie des aînés) ;
  • Pour ce faire, il faut faire advenir rapidement le grand déblocage de l’accès aux données cliniques et administratives afin que les décisions prises en vue du rétablissement le soient à partir d’informations pertinentes, fournies au bon moment et surveillées de façon continuelle.

Il est probable que des plans de réorganisation se dessinent en ce moment même, probablement inspirés, au moins sur le plan narratif, par les conclusions des rapports que nous avons évoqués. C’est très bien. Espérons que ces plans tiennent aussi compte des conditions que nous venons d’évoquer. La période de réadaptation ne passera qu’une fois. Il serait dommage de la rater.

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Yves Couturier
Yves Couturier est professeur titulaire à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke.

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