L’administration des premiers vaccins contre la COVID‑19 fait ressortir la nécessité de suivre de près le déploiement des campagnes de vaccination. Le gouvernement fédéral a admis l’importance des données de surveillance, à tout le moins dans les domaines qui sont de sa compétence. Le premier ministre Justin Trudeau a lui-même affirmé récemment que son administration se ferait le « partenaire des provinces… [pour] une meilleure coordination des données ».

Le fédéral admet ainsi le rôle prépondérant des provinces dans la définition des priorités en matière de vaccination. Et il semble optimiste quant à l’enchevêtrement des différents systèmes de surveillance des vaccins au Canada, notamment en ce qui a trait au suivi de réactions indésirables aux vaccins.

Le fédéralisme coopératif est formidable quand il fonctionne. Or toute personne expérimentée en informatique, en collecte de données et en analyse statistique sait fort bien que la surveillance des vaccins ressemble à un méli-mélo. Lorsque des vies sont en jeu, cela est particulièrement grave.

Rappelons qu’à l’époque, les mécanismes de signalement des réactions indésirables en place aux États-Unis et au Canada n’avaient pas permis de mettre au jour le scandale du lien entre le Vioxx et l’infarctus du myocarde. Pour ce qui est de la vaccination contre la COVID‑19, il est primordial d’instaurer un système fiable, non seulement pour des questions de sécurité, mais aussi pour empêcher la transmission d’informations erronées par les antivaccins.

Le Canada dispose, en matière de surveillance statistique des réactions indésirables aux vaccins, d’un potentiel de calibre mondial grâce aux bases de données provinciales. Mais au sein de chaque province, cette précieuse information est souvent stockée dans de multiples silos impénétrables.

La pandémie de COVID-19 a rendu encore plus pressant le besoin de démanteler ces silos. L’un des principaux obstacles réside dans l’insistance des provinces à considérer la santé comme leur chasse gardée et à demander que le fédéral leur verse toujours et encore plus d’argent sans condition. Cette situation doit prendre fin.

La solution la plus sensée est d’établir un mécanisme uniforme et normalisé de surveillance de la vaccination administré par le fédéral, en vertu de sa compétence constitutionnelle en matière de statistique. Le gouvernement pourrait confier à un organisme ― Statistique Canada serait un choix évident ― la responsabilité d’instaurer sans délai un portail ou un site de collecte de données en temps réel, sécurisé, qui permettrait de recueillir une information essentielle sur chaque personne qui reçoit le vaccin contre la COVID‑19.

Ce système logiciel serait implanté dans les cliniques, les cabinets de médecin et les pharmacies. Les infirmières et les autres intervenants responsables de la vaccination y consigneraient les données requises en procédant exactement de la même façon qu’avec le vaccin contre la grippe. À la différence près qu’une partie de l’information serait gérée par le fédéral et s’ajouterait à celle qu’on consigne dans le dossier médical des patients ou qui concerne la facturation des services aux provinces.

En cette période de COVID‑19, un certain nombre de provinces s’adonnent, en l’absence de conditions, à une pratique honteuse qui consiste à récupérer les sommes versées aux plus vulnérables par le fédéral en réduisant ou en annulant les prestations d’aide sociale des bénéficiaires. Par conséquent, la mise en place du mécanisme de surveillance proposé doit s’accompagner, pour être efficace, de mesures fiscales rigoureuses, applicables aux provinces qui refusent de coopérer.

La surveillance en temps réel fournira une information précieuse sur la vaccination, colligée non seulement par province, mais aussi par quartier, type de vaccin, origine ethnique et profession.

La surveillance en temps réel fournira une information précieuse sur la vaccination, colligée non seulement par province, mais aussi par quartier, type de vaccin, origine ethnique et profession. Celle‑ci permettra aux autorités provinciales et régionales de la santé publique de cibler les personnes les plus vulnérables. Il n’est pas question ici d’ingérence dans des domaines de compétences provinciales. Il s’agit tout simplement du moyen le plus efficace et constitutionnellement reconnu de recueillir des renseignements essentiels.

Rien ne nous empêche aujourd’hui d’adapter un logiciel de ce type, d’en faire la distribution d’un océan à l’autre en quelques mois seulement et de conclure rapidement des ententes sur la normalisation des données.

L’exercice implique la collecte de données personnelles et confidentielles, mais c’est précisément le genre d’information que Statistique Canada recueille depuis des décennies dans le cadre de son enquête mensuelle sur la population active (menée surtout en ligne), tout en respectant des mesures exceptionnellement rigoureuses en matière de sécurité et de confidentialité.

La protection de la vie privée soulève des inquiétudes légitimes. Toutefois, on ne doit pas les laisser prendre le pas sur les avantages énormes qu’on pourrait tirer de cette information. Il y a plus d’un siècle et demi, les auteurs de la Constitution avaient eux-mêmes reconnu l’importance primordiale que revêt la collecte d’information statistique de portée nationale.

Même si la circulation des données peut soulever des préoccupations quant à la propriété de ces dernières, il suffirait, pour y répondre, d’établir des règles claires en matière d’accès à cette information par les provinces et les territoires.

Les commissaires à la protection de la vie privée partout au pays adhèrent aux principes de nécessité et de proportionnalité dans le cas des collectes de données où la protection de la vie privée est en jeu. Il ne fait aucun doute que ces critères sont satisfaits dans un contexte pandémique et de vaccination contre un virus pouvant causer la mort de milliers de Canadiens.

Aujourd’hui plus que jamais, le Canada doit adopter une approche nationale rigoureuse en matière de surveillance des données, pour faire en sorte que la vaccination se déroule de manière efficace, équitable et sécuritaire.

Photo : Shutterstock / Kunal Mahto

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Michael Wolfson
Michael Wolfson est membre du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa. Il a travaillé au gouvernement fédéral, notamment au Secrétariat du Conseil du Trésor, au ministère des Finances, au Bureau du Conseil privé et à Statistique Canada, où il a été statisticien en chef adjoint.

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