En 2012, âgé alors de 84 ans, mon père a survécu à un accident vasculaire cérébral sévère. Lui qui avait été dans une forme exceptionnelle doit désormais prendre neuf médicaments d’ordonnance par jour.

La prise de médicaments multiples n’est pas inusitée pour le groupe d’âge de mon père. Les gens de 65 ans et plus sont les plus grands consommateurs de médicaments d’ordonnance au Canada. Ils prennent, en moyenne, 7,4 médicaments d’ordonnance.

Si, depuis quelques années déjà, les experts se préoccupent des effets sur les dépenses de santé qu’entraîne l’utilisation croissante des médicaments, c’est la sécurité des patients qui apparaît de plus en plus préoccupante. En 2011, les effets indésirables des médicaments ont entraîné l’hospitalisation de quelque 27 000 aînés au Canada, soit une personne sur 200. Ce phénomène a différentes causes.

Chez les aînés, le risque d’une réaction indésirable à un médicament se trouve accru en raison, entre autres, de changements physiologiques liés à l’âge, qui modifient la façon dont le corps répond aux médicaments. Les reins et le foie, par exemple, deviennent moins efficaces pour éliminer les médicaments.

Quant à la prescription de médicaments, elle repose trop souvent sur des données incomplètes ou déficientes, ce qui peut donner lieu à des ordonnances contre-indiquées et même nocives.

De plus, de nombreux médicaments prescrits aux aînés ont été insuffisamment étudiés pour leur groupe d’âge ou n’ont pas été approuvés pour les maladies qu’ils sont censés traiter. Pour certains médicaments, on n’a pas fait la preuve de leur innocuité et de leur efficacité, et d’autres se prescrivent parfois même si leurs risques potentiels sont avérés (par exemple des antipsychotiques qui sont prescrits aux patients souffrant de démence).

On estime que jusqu’à la moitié des médicaments donnés aux aînés sont pris de façon inappropriée ou prescrits de manière excessive.

Il faut noter que de nombreux essais cliniques excluent non seulement les aînés mais aussi des personnes de tout âge qui prennent plusieurs médicaments. En moyenne, les deux tiers des aînés prennent au moins cinq médicaments d’ordonnance au cours d’une année, le quart en prenant plus de dix, selon des informations extraites de la base de données du Système national d’information sur l’utilisation des médicaments prescrits (SNIUMP).

La polymédication accroît la probabilité de réactions ou d’interactions indésirables, dont la prévalence est passée de 54,7 % d’aînés utilisant cinq médicaments d’ordonnance ou plus en 2000 à 66,1 % en 2014 (selon la base de mégadonnées du SNIUMP).

On peut constater les dangers de la polymédication dans les cabinets de médecin et dans les hôpitaux. Plus les aînés consomment de médicaments, plus ils sont susceptibles d’avoir besoin de soins médicaux d’urgence. Une étude a révélé que 12 % des aînés qui prennent cinq médicaments d’ordonnance ou plus ont eu une réaction indésirable requérant une attention médicale.

De toute évidence, il faut trouver une solution.

Dans une nouvelle étude de l’Institut de recherche en politiques publiques, j’ai recensé de nombreuses initiatives mises en œuvre par des spécialistes, des groupes de défense en santé et des autorités sanitaires en vue d’informer la population, de réattribuer les responsabilités et de promouvoir l’innovation. Si de telles initiatives sont valables, leur l’efficacité reste limitée puisqu’elles ne ciblent que certains aspects d’un problème plus vaste.

Pour améliorer la sécurité des médicaments d’ordonnance prescrits aux aînés, il faut mettre en œuvre des changements systémiques.

Les gouvernements pourraient miser davantage sur les outils législatifs et les instruments financiers à leur disposition pour orienter les efforts de tout un chacun dans la bonne direction. Une stratégie nationale globale nécessite le leadership et l’engagement de Santé Canada, des ministères de Santé provinciaux et territoriaux ainsi que des autorités sanitaires locales.

Cette stratégie, en s’appuyant sur les recommandations de 2015 du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, ferait jouer à Santé Canada un rôle nettement plus actif en vue de réexaminer le processus d’approbation des médicaments, de superviser les médicaments récemment commercialisés qui sont prescrits aux aînés, d’améliorer le signalement des effets indésirables et de favoriser la recherche indépendante sur l’utilisation non conforme des médicaments d’ordonnance.

Il faudrait aussi étendre la couverture des programmes d’assurance-médicaments provinciaux et territoriaux pour y inclure des traitements non pharmacologiques efficaces.

Enfin, les provinces et territoires devraient mettre régulièrement à jour leurs directives de prescription et imposer l’évaluation des médicaments. Les autorités sanitaires veilleraient aussi à ce que les professionnels aient accès aux outils de décision clinique et aux antécédents médicaux de leurs patients afin d’améliorer leurs pratiques de prescription.

Beaucoup reste à faire pour résoudre cette importante question de santé pour notre population vieillissante.

Photo : Shutterstock.com


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Nicole F. Bernier
Nicole F. Bernier est chercheuse spécialisée en politiques de santé et conseillère-experte avec EvidenceNetwork.ca. De 2011 à 2016, elle a travaillé à titre de directrice de recherche à l'Institut de recherche en politiques publiques. Elle est l’auteure d’une étude de l’IRPP intitulée Improving Drug Safety for Canadian Seniors. @NicoleFBernier

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

More like this