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La violence économique est un problème qui passe souvent inaperçu au Canada. Il s’agit d’une forme de violence conjugale qui se cache derrière un mur de tabous, des valeurs et un manque de conscientisation. 

C’est aussi une réponse fréquente quand on demande aux victimes pourquoi elles ne partent pas : souvent, elles n’en ont pas les moyens. Le manque de ressources financières est l’une des premières raisons pour lesquelles les victimes restent dans des relations abusives ou y retournent.  

Les décideurs politiques ont commencé à reconnaître cette forme de violence, qui exerce un contrôle coercitif et limite l’indépendance économique. Les conjoints violents peuvent empêcher les victimes d’avoir leur propre argent ou un compte bancaire, prendre des décisions financières importantes sans les consulter ou accumuler des dettes à leur nom, ce qui les empêche de travailler et les incite à se tenir tranquilles quand il est question d’argent. 

Les notions d’exploitation financière et de violence économique sont souvent utilisées de manière interchangeable, mais leur portée diffère. Alors que la première limite les ressources financières, la seconde englobe un éventail plus large de comportements, notamment le contrôle économique, l’exploitation économique et le sabotage de l’emploi. 

Une étude menée dans la grande région d’Ottawa par le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes et publiée au début de 2021 a montré les effets de la violence économique. Quelque 93 % des victimes n’ont pas accès à leur propre argent. Nombre d’entre elles ne recevaient que des allocations en espèces et devaient rendre compte des sommes dépensées. En outre, 86 % des personnes interrogées ont reçu l’ordre de quitter leur travail, ce qui a aggravé leur isolement et leur dépendance financière.  

La maltraitance économique n’arrête pas avec le départ de la victime. Si on ne s’en occupe pas rapidement, ses conséquences néfastes peuvent perdurer.     

Les partenaires abusifs peuvent utiliser l’argent à mauvais escient ou accumuler des dettes au nom des victimes par la force, la menace ou même à leur insu – une pratique connue sous le nom de « dette forcée ». Les victimes sont tenues pour responsables et paient donc le prix de cette violence longtemps après la séparation. Elles peuvent être obligées de déclarer faillite. Une mauvaise cote de crédit peut les empêcher d’obtenir de petits prêts ou du crédit, ou encore de louer un appartement, ce qui les oblige à retourner auprès du conjoint violent. 

Le tabou qui entoure l’argent et la violence ne fait qu’aggraver les choses. La violence conjugale étant déjà cachée, les finances se retrouvent encore plus dans l’ombre en raison de la stigmatisation sociétale qui entoure les discussions sur l’argent. Il est donc plus difficile pour les victimes de demander de l’aide ou de partager leurs expériences.    

Si tout le monde peut être victime de violence économique, les femmes issues de milieux socioéconomiques défavorisés, les Autochtones, les personnes racialisées, les personnes issues de la diversité des genres et les autres communautés marginalisées courent un risque beaucoup plus élevé.  

La violence économique est profondément ancrée dans les structures sociétales et les déséquilibres de pouvoir, tels que l’inégalité entre les sexes et l’injustice économique. Ce phénomène est renforcé par les normes de genre et amplifié par le patriarcat, le racisme, le colonialisme et le capitalisme, où les hommes (généralement blancs) détiennent un contrôle disproportionné sur les ressources financières. 

Les victimes sont confrontées à l’incrédulité, à de la discrimination, et ils revivent leurs traumatismes devant les tribunaux, les institutions financières et les services sociaux. La crise actuelle du logement, l’augmentation du coût de la nourriture, le manque de services de garde et les difficultés à démêler les comptes bancaires conjoints font qu’il est encore plus difficile de s’émanciper.    

Lorsque les victimes sont économiquement dépendantes de leur agresseur, socialement isolées et endettées, elles n’ont souvent pas les moyens de quitter une relation violente ou sont obligées d’y retourner. Les périodes qui précèdent et suivent de peu la séparation sont les plus dangereuses pour les victimes, selon les statistiques ontariennes sur les féminicides. Pourtant, une victime a besoin en moyenne de sept tentatives avant de réussir à quitter, car le système actuel ne les protège pas. Certaines femmes n’ont même jamais l’occasion d’essayer de partir. 

L’autonomisation économique au service de la prévention de la violence sexiste 

Il est essentiel d’inclure l’autonomisation économique dans les stratégies fédérale, provinciales et territoriales de lutte contre la violence fondée sur le sexe afin d’aider les survivantes à reprendre le contrôle de leur vie et de leurs finances.  

Dans son rapport de 2022 sur la violence familiale et conjugale, le Comité permanent de la condition féminine a recommandé au gouvernement d’élaborer une stratégie globale pour lutter contre la maltraitance financière et économique. 

En 2023, le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes a publié un tableau de bord financier sur la violence économique qui a montré l’urgence d’une intervention gouvernementale. Ce tableau de bord classe les provinces et les territoires en fonction de l’existence et de l’efficacité de leurs politiques. La Colombie-Britannique a obtenu le score le plus élevé, avec un taux abyssal de 36 %, alors que la moyenne nationale n’est que de 17,8 %. 

Le plan fédéral visant à mettre fin à la violence fondée sur le sexe a établi une feuille de route pour les provinces et les territoires. Il a débouché sur des accords qui donnent à ces gouvernements la possibilité de s’attaquer à la violence économique dans le cadre de leurs stratégies respectives. La sécurité et la sûreté économique des victimes sont importantes pour prévenir et quitter la violence, ainsi que pour arrêter le cycle de la pauvreté et de la violence, comme l’ont souligné des études récentes.  

Sur la base de ces actions, des changements de politique qui contribueraient à mettre fin à la maltraitance économique pourraient inclure :

  • Recueillir des données sur la violence économique : les données existantes de Statistique Canada sur la violence conjugale n’incluent pas la maltraitance économique. Ces informations sont essentielles pour comprendre l’étendue, la nature et l’impact de la maltraitance et pour y répondre efficacement. 
  • Élargir la définition de la violence économique : le glossaire gouvernemental sur la violence fondée sur le sexe indique qu’il y a exploitation financière lorsqu’une personne utilise de l’argent, des actifs ou des biens pour contrôler ou exploiter une autre personne. Cette définition ne couvre pas l’étendue des tactiques abusives. Une définition plus large est nécessaire pour que les stratégies politiques puissent mieux prévenir la violence économique sous toutes ses formes. 
  • Déclarer une journée de sensibilisation : une pétition demandant que le 26 novembre devienne une journée nationale de sensibilisation à la violence économique devrait être présentée à la Chambre des communes au cours des prochaines semaines. Cette journée permettrait de mettre le problème sur la place publique, de reconnaître le vécu des survivants et de réduire la stigmatisation et les tabous qui entourent la violence économique. 
  • Modifier les politiques bancaires : dans le cadre de son examen actuel, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada devrait rendre les victimes admissibles à des comptes bancaires sans frais. 

Au niveau provincial et territorial, les gouvernements pourraient :  

  • Allouer des fonds pour un rétablissement financier rapide après de la maltraitance : cette mesure permettrait de s’assurer que les victimes et leurs enfants ne sont pas contraints de retourner à la violence et qu’ils peuvent reprendre le contrôle de leur vie et de leurs finances. 
  • Financer des programmes de logement abordable, améliorer la protection des locataires et augmenter la capacité des refuges : cette mesure garantirait l’accès à de l’hébergement et à des logements sûrs à court et à long terme pour les femmes et leurs enfants qui fuient la violence. 
  • S’attaquer à l’endettement forcé : le projet de loi 41 de l’Ontario aborde cette question dans le cadre de la traite des êtres humains. Une législation plus large est nécessaire pour inclure les survivantes de la violence conjugale afin de s’assurer qu’elles ne sont pas tenues responsables des dettes contractées à la suite de maltraitance économique. La loi californienne de 2022 pourrait servir de modèle. 
  • Développer les conseils sociaux, financiers et juridiques pour les survivantes et leurs enfants : les services doivent être accessibles, tenir compte des traumatismes et être axés sur les survivantes afin de favoriser un rétablissement rapide. 

En élargissant et en complétant les stratégies existantes de prévention de la violence fondée sur le sexe, les gouvernements pourront aider les victimes et leurs enfants à briser le cycle de la pauvreté et de la violence. 

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Michaela Mayer
Michaela Mayer (she/her/elle) est directrice des politiques au Centre canadien pour lautonomisation des femmes, qui défend les intérêts des victimes de violence économique. Elle fait également partie du conseil consultatif de Pan-Canadian Voices for Womens Housing. 
Denna Berg
Denna Berg est une professionnelle de la politique publique avec plus de 10ans dexpérience. Elle travaille pour le Centre canadien sur les dépendances et lusage de substances et le Centre canadien pour lautonomisation des femmes. Elle est membre du conseil dadministration de Direct Your Life.

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