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Les climatonégationnistes n’ont pas la cote dans les cercles progressistes.

Dans les entrevues que j’ai menées pour préparer un ouvrage récemment paru, portant sur la polarisation politique et la protection de l’environnement, des progressistes m’ont confié à quel point ils détestaient les conservateurs, parce que ces derniers se fichent des changements climatiques.

Une participante à mon étude a même comparé le climatonégationnisme au tabagisme; si elle apprend qu’une personne remet en question la science du climat ou qu’elle n’adopte pas des mesures concrètes pour réduire son empreinte carbone, elle fait volontairement un détour pour l’éviter.

J’ai aussi appris que les conservateurs éprouvent un certain mépris envers ce qu’ils perçoivent comme de feintes préoccupations pour l’environnement.

Les progressistes, des hypocrites vertueux

Deux stéréotypes dominent dans l’idée que se font les participants sur les sentiments des progressistes et des conservateurs à l’égard de l’environnement.

Les conservateurs imaginent les progressistes habitant un condo surplombant la ville, obsédés par le recyclage et se vantant d’acheter des produits cultivés localement. Aux yeux des premiers, les seconds sont déconnectés de la nature et ne sont que des hypocrites vertueux souffrant d’un sérieux complexe de supériorité.

La caricature contient néanmoins une part de vérité. Les données tendent en effet à montrer que les progressistes sont plus enclins que les conservateurs à pratiquer le recyclage et à montrer une préférence pour les aliments locaux.

Les conservateurs, des pollueurs assoiffés de profits

Pour leur part, les progressistes voient les conservateurs comme des anti-environnementalistes qui préfèrent les profits à la protection de l’environnement, conduisent de gros camions diesel et consacrent leurs temps libres à détruire les sentiers en forêt dans leurs VTT. Bref, aux yeux des progressistes, les conservateurs sont le principal obstacle à l’action climatique.

Ici encore, la caricature rejoint en partie la réalité. Les conservateurs ont en effet tendance à préférer conduire des camionnettes; et même si les taux de climatonégationnisme sont faibles et en baisse, les conservateurs sont plus susceptibles de contester l’idée que les changements climatiques sont causés par l’être humain.

Les classes sociales et le climat

Ces deux stéréotypes n’existent pas simplement en parallèle, l’un en face de l’autre, sur un pied d’égalité. Le stéréotype du progressiste est davantage associé au pouvoir et au privilège que son pendant conservateur. Et cette hiérarchie constitue un important facteur de polarisation autour des enjeux climatiques. Mais il est possible de la neutraliser.

Pensons aux deux exemples suivants. Dans le premier cas, une étude sur les préférences alimentaires de la population canadienne nous apprend que les consommateurs dont le niveau d’éducation et le salaire sont plus élevés privilégient des aliments qui ne sont pas seulement délicieux et raffinés, mais aussi avantageux sur le plan éthique. Autrement dit, si le foie gras trônait autrefois au sommet du menu des classes supérieures, aujourd’hui c’est le flétan sauvage pêché à la ligne par une coopérative locale qui l’a remplacé. Comme quoi en matière d’environnement, l’éthique est étroitement associée à la notion de « bon goût ».

Le deuxième exemple est tiré d’une enquête menée auprès de la population néerlandaise sur ses convictions à l’égard d’enjeux importants, dont les changements climatiques. Quatre orientations – parfois contradictoires – se dégagent de l’étude : 1) les États doivent adopter des politiques ambitieuses pour s’attaquer aux changements climatiques; 2) tout le monde doit mettre l’épaule à la roue; 3) il faudra compter sur la technologie et l’innovation; et 4) il n’y a rien qu’on puisse ou doive faire. Encore une fois, ces convictions correspondent au statut social : les personnes qui détiennent les plus grands pouvoirs et privilèges réclament des mesures de l’État; celles qui en ont le moins remettent en question la réalité même des changements climatiques.

Cette hiérarchie reflète celle des classes sociales et intègre les convictions et les pratiques en matière de protection de l’environnement.

Ces modèles ainsi que les stéréotypes décrits plus haut persistent depuis des décennies, depuis aussi longtemps, en fait, que des chercheurs enquêtent sur les convictions et les comportements en matière d’environnement. Ce qui a changé, c’est l’organisation de ces attributs en une hiérarchie correspondant à une échelle morale.

Alors, quelle serait la solution à cette impasse de la polarisation?

Les études sur le phénomène de la déstigmatisation montrent que lorsqu’on commence à voir les gens comme des individus qui ont eux aussi des espoirs et des peurs, on a moins tendance à les considérer comme indignes de notre respect et de notre reconnaissance.

En somme, le moyen le plus efficace pour la société civile de contribuer à la dissolution d’une hiérarchie sociale est l’empathie.

Les entrevues et les sondages que j’ai menés m’ont appris que nous nous soucions tous et toutes de l’environnement. Certes, nos façons de le manifester varient et peuvent être incompatibles.  Mais elles ont une signification particulière pour chacune et chacun d’entre nous, et sont affectées par nos expériences personnelles et le contexte social dans lequel nous évoluons.

Les changements climatiques nous placent devant ce que le journaliste et environnementaliste Bill McKibben a décrit comme la « première menace existentielle pour l’humanité ». Ce n’est pas faire bon usage de nos esprits et de nos cœurs que de porter des jugements moraux sur la relation d’autrui à l’environnement. Il faudrait plutôt commencer par prendre acte de l’espace commun sous nos pieds.

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Emily Huddart Kennedy
Emily Huddart Kennedy est professeur agrégée et directrice adjointe du département de sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique. Elle a publié récemment un essai intitulé Eco-Types: Five Ways of Caring about the Environment (Princeton University Press). milieu de travail, et l’auteur de Creating Healthy Organizations.

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