Des milliers de fonctionnaires canadiens quittent leur emploi ou prennent leur retraite alors que le gouvernement leur doit toujours de l’argent. Certains attendent ces sommes depuis des années. Des milliers d’autres ont beau avoir déjà changé d’emploi et de département, la paperasse dont ils ont besoin prend des mois à les suivre, quand ce n’est pas des années.

Le désastreux système de paie Phénix a été lancé il y a six ans. Il a déjà coûté plus de 1,4 milliard de dollars en correctifs. Le gouvernement avait comme objectif de le stabiliser cette année, ce qui signifie que l’arriéré d’erreurs sur les paies serait enfin éliminé. On n’en est pas encore là.

La pandémie a complètement détourné l’attention de ce fiasco et le nombre d’erreurs de paiement a diminué. Celles qui subsistent ne sont certes pas aussi flagrantes que lorsque des fonctionnaires étaient largement sur- ou sous-payés – ou même pas payés du tout –, mais en dépit des améliorations, il reste un tas de problèmes à régler.

Le Bureau du vérificateur général a constaté que, parmi son échantillon de 2020-2021, . C’est à peine plus bas que les 51 % observés pour l’exercice précédent. Le Bureau a aussi noté que 41 % des employés attendaient toujours une correction à la fin de l’année fiscale, une augmentation par rapport aux 31 % de l’exercice précédent.

En 2020, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a mis en place un plan triennal soutenu par des dépenses de 910 millions de dollars qui doit éliminer l’arriéré d’ici la fin de 2022.

La stratégie de réduction de l’arriéré repose sur la technologie, une hausse de la productivité des conseillers en rémunération et une diminution des nouvelles erreurs. L’objectif est de faire en sorte qu’après être passés à travers les transactions effectuées à chaque cycle de paie, les conseillers puissent avoir le temps de travailler sur l’arriéré.

Depuis le sommet de 384 000 mouvements en attente en janvier 2018, on constate une tendance générale à la baisse de l’arriéré, avec 98 000 en avril 2021. Le nombre de personnes affectées est également en diminution. Et le centre de services de paie a réduit ses temps d’attentes jusqu’à atteindre 80 % du temps son propre standard, qui est de gérer les erreurs en 20 jours.

Mais les problèmes sont ensuite revenus.

« Deux pas en avant, un pas en arrière »

Pendant quelques mois, toutes sortes de pépins ont recommencé à affecter le système de traitement avant que la situation ne s’améliore durant l’été et l’automne 2021. Le nombre de demandes de traitement en attente s’est cependant stabilisé à 141 000 à la fin janvier 2022. 

Le Bureau du vérificateur général du Canada a documenté combien d’employés avaient au moins une demande d’intervention en attente au fil du temps. En 2018, ils étaient plus de 180 000. En juin 2021, plus de cinq ans après la mise en place du système Phénix, leur nombre s’élevait toujours à plus de 140 000 (voir la Figure 2). 

« Avec Phénix, c’est deux pas en avant, un pas en arrière, dit le président de l’Association canadienne des agents financiers Dany Richard. L’arriéré a diminué depuis 2016, mais dès qu’une nouvelle convention collective ou un protocole d’entente est signé, tout le processus est ralenti. »

Les responsables de SPAC ont indiqué que ce recul n’excédait pas le flux normal de travail pouvant être abattu. Ils ont déclaré que le nombre de transactions traitées chaque mois varie en fonction de leur complexité, de la capacité du centre de service de paie, de toute nouvelle convention collective et des pics saisonniers habituels, comme ceux accompagnant l’embauche d’étudiants en été.

La taille de la fonction publique a par ailleurs augmenté de 24 % depuis 2015 et elle a été le lieu d’un grand roulement de personnel, ce qui a généré plus de transactions.

« Même si nous avons fait d’importants progrès l’an dernier dans la réduction de l’arriéré pour les années 2016 à 2020, le plus grand nombre de transactions enregistrées au centre de service de paie en 2021 a mis à l’épreuve notre capacité à poursuivre cette réduction, explique la gestionnaire en communications chez SPAC Michèle LaRose, jointe par courriel. »

D’aucuns disent que les fonctionnaires, nombreux à travailler en sécurité chez eux, ne se plaignent pas autant qu’ils le pourraient à propos des erreurs étant donné que tant de Canadiens ont carrément perdu leur emploi durant la pandémie. D’autres plaident que les syndicats ont jeté l’éponge dans cette histoire après avoir obtenu 560 millions en dommages et intérêts pour indemniser les travailleurs touchés par les erreurs. Et certains soutiennent enfin que le problème perdure depuis si longtemps que les fonctionnaires se sont simplement accoutumés aux erreurs de paiement.

« Avec l’arriéré qui continue de grandir, il semble que le gouvernement se soit résigné face à l’impossibilité de réparer Phénix, affirme le président de l’Alliance de la Fonction publique du Canada Chris Aylward. »

« Le fiasco Phénix fête bientôt son sixième anniversaire, continue-t-il, et des milliers de travailleurs sont non seulement encore aux prises avec des erreurs de paiement, mais attendent toujours que celles du passé soient corrigées… De plus en plus de nos membres se sont tournés vers nous dans l’espoir d’obtenir de l’aide durant les derniers mois. »

Les améliorations apportées à Phénix viennent en partie de solutions technologiques, comme les paiements rétroactifs automatisés en vertu de la convention collective de 2018. Les processus ont été rationalisés et des programmes ont été introduits pour accélérer le traitement des tâches routinières. Tout ça dans le but de dégager du temps pour que les conseillers en rémunération puissent travailler sur l’arriéré.

L’objectif suivant devait être un changement de culture en matière de rapidité et de précision, qui aurait dû se produire avant le lancement de Phénix. Les gestionnaires, les ressources humaines et les employés ont dû apprendre à gérer différemment la rémunération. L’ancien système de paie pouvait s’accommoder des transactions tardives, en grande partie parce que les conseillers en rémunération pouvaient régler manuellement les problèmes. Mais Phénix fonctionne en temps réel et ne peut pas traiter les transactions tardives ou en retard.

Des milliers de retards qui durent depuis des années

Cette transition culturelle du traitement tardif des transactions à un traitement en temps réel s’opère lentement, mais les problèmes autour de la rapidité et de l’exactitude des demandes liées aux cessations d’emploi et aux transferts persistent.

Au dernier décompte, 30 000 cessations d’emploi attendaient d’être traitées, soit dans la file d’attente, soit dans l’arriéré après le dépassement de la limite de 45 jours du service. Notons que des indemnités de départs sont remises à quiconque quitte la fonction publique.

Environ 34 % de celles dans l’arriéré y sont depuis moins d’un an, mais 12 % s’y trouvent depuis plus de quatre ans et le reste y est depuis un à quatre ans. Les employés peuvent attendre des paies de vacances, du temps supplémentaire, des allocations ou des indemnités de départ.

Environ 10 000 transferts attendent de rejoindre des employés qui ont changé de département. Ceux qui occupent de nouveaux postes assortis d’augmentations de salaire peuvent attendre des mois ou des années pour voir enfin la couleur de ce nouvel argent. Et même après, ils peuvent découvrir qu’ils ont droit à d’autres ajustements dans leur rémunération, comme des primes de retraite plus élevées.

Autre source de maux de tête : les trop-payés. Les ministères sont engagés dans une course contre la montre pour récupérer les montants payés en trop en 2016 lors de la mise en fonction de Phénix. La loi donne en effet six ans au gouvernement pour récupérer les sommes auprès des employés, après quoi elles deviennent irrécouvrables et radiées en tant que dette. Le gouvernement a réussi à récupérer environ 2,5 milliards, mais il reste encore 552 millions à retrouver.

Malgré tous les correctifs, le défi consiste à suivre le flux de nouvelles transactions traitées toutes les deux semaines tout en réduisant l’arriéré.

Des sources familières avec le système disent que les problèmes qui le plombent pourraient être résolus avec davantage de conseillers en rémunération. Mais rappelons que SPAC a déjà quadruplé sa main-d’œuvre attitrée au système de paie depuis le lancement de Phénix, qui s’élève maintenant à environ 2500 personnes.

L’autrice a bénéficié d’une bourse de journalisme Accenture sur l’avenir de la fonction publique. Découvrez ici les autres chroniques de Kathryn May.

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Kathryn May
Kathryn May est journaliste et la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme.

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