(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Le besoin de plus de lits et d’établissements dans le réseau canadien de la santé est criant : les hôpitaux sont bondés et les temps d’attente pour les interventions prioritaires sont trop longs. C’est une situation que le vieillissement de la population ne fera qu’exacerber.

Il y a toutefois une autre question tout aussi urgente à régler : notre système de santé aura besoin de plus de travailleurs que jamais ― des gens qualifiés pour combler la pénurie de main-d’œuvre, accroître l’efficacité du réseau et tirer pleinement parti des innovations technologiques qui le transforment. Et comme le souligne RBC dans un récent rapport, il ne sera possible d’y parvenir que si les enseignants, les employeurs et les décideurs politiques adoptent un programme ambitieux en matière d’aptitudes.

Pallier la pénurie de main-d’œuvre

Si rien n’est fait, la demande de services de soins de santé continuera d’excéder les capacités du système d’y répondre. Selon les prévisions les plus optimistes, on estime que d’ici 2025, ce secteur, qui continuera pourtant de créer plus d’emplois que les autres secteurs de l’économie, fera face à une pénurie de quelque 20 000 travailleurs.

Les décideurs politiques doivent envisager des approches novatrices pour combler ce manque de personnel. La formule adoptée par le Royaume-Uni, où les employés des postes se renseignent sur la santé et le bien-être des personnes âgées à qui ils livrent le courrier, est un bel exemple. Ces renseignements, recueillis à l’aide d’un questionnaire standard, sont ensuite transmis aux autorités sanitaires locales en vue de déterminer si les résidents souffrent d’isolement ou des effets néfastes qui en découlent. La France emploie une approche similaire pour combattre cette situation, qui affecte des millions d’aînés.

Le Canada pourrait en faire autant. Les chauffeurs de service de messagerie chargés de livrer des colis à domicile, par exemple, pourraient recevoir une formation en services ambulanciers paramédicaux et transporter des patients à l’hôpital.

Évidemment, on ne fait pas la transition entre ces deux carrières comme on change de voie sur l’autoroute. La pénurie de main-d’œuvre dans le réseau de la santé pourrait être enrayée si les enseignants et les employeurs collaboraient pour recruter et recycler des gens qui n’ont aucune expérience en soins de santé.

Autre défi de taille : une carrière dans le domaine de la santé exige non seulement des connaissances spécialisées, mais aussi une capacité d’empathie. Cette capacité n’est pas donnée à tous, et les bénéficiaires des soins de santé le savent et en font l’expérience. Bon nombre de Canadiens, en effet, sont réticents à l’idée de se faire soigner par des personnes dont les antécédents se situent dans d’autres secteurs.

Néanmoins, on observe déjà ce genre de réorientation professionnelle au Canada et à l’étranger. En cette ère de grandes perturbations, cette réorientation s’avérera, selon RBC, une tendance dominante qui façonnera l’avenir du travail.

Cherchant à mieux comprendre comment les jeunes Canadiens peuvent se préparer au marché du travail de l’avenir, nous avons mené des recherches qui ont démontré que bon nombre du million de travailleurs à risque de voir leur emploi éliminé par l’automatisation possèdent des aptitudes pouvant être mises à profit dans le secteur de la santé.

Revenons au cas de l’emploi de chauffeur de service de messagerie. C’est une fonction qui pourrait fort bien être éliminée alors que les véhicules autonomes et la livraison par drone deviennent une réalité. Or, bon nombre des aptitudes que possèdent ces chauffeurs ― utilisation et surveillance d’équipement, gestion efficace du temps, écoute active et sens du service à la clientèle ― sont les mêmes que celles exigées pour être ambulancier paramédical, un domaine où la demande entraînera la création de quelque 4 000 nouveaux emplois au cours des cinq prochaines années.

Accroître l’efficacité du réseau

Les progrès technologiques offrent de nouvelles façons de faire plus efficaces, mais une mauvaise affectation des aptitudes nous empêche d’en tirer le meilleur parti. Un trop grand nombre de médecins transmettent encore des données médicales critiques par télécopieur, ce qui constitue du gaspillage de leur temps et de nos fonds publics. Nos recherches indiquent que de telles tâches administratives représentent une importante cause d’épuisement professionnel chez les praticiens.

Et pourquoi confier à des infirmières en milieu hospitalier le soin de distribuer les médicaments aux patients si un distributeur et moniteur automatique pouvait s’en charger ? Il existe certainement, pour les membres de cette profession, des moyens plus constructifs d’apporter leur contribution aux soins aux patients.

La demande croissante de soins à domicile exerce également des pressions sur le réseau, en partie parce que les préposés aux services de soutien à la personne ne sont pas autorisés à fournir des services médicaux de base. Avec la formation appropriée, cependant, ces préposés pourraient se substituer aux infirmiers diplômés et exécuter des directives reçues par l’intermédiaire d’un appareil mobile. Cette approche permettrait aux préposés d’effectuer des tâches plus utiles, en plus de générer des gains d’efficience.

S’adapter à l’innovation technologique

Le personnel soignant doit aussi développer de nouvelles aptitudes en raison des progrès technologiques. Par exemple, comme les soins de santé s’appuient de plus en plus sur des données, plus de travailleurs devront être en mesure non seulement de recueillir des données, mais aussi de les interpréter. Les médecins devront avoir une connaissance pratique des modèles d’apprentissage machine à leur disposition pour établir de meilleurs diagnostics. Le personnel infirmier, qui doit déjà lire beaucoup de documentation, devra en apprendre plus sur les mégadonnées.

Les aptitudes humaines demeureront aussi des qualités essentielles. L’intuition, l’empathie, la compassion et la capacité d’apporter du réconfort sont des éléments qui caractérisent les soins de santé de qualité. Des écoles incorporent désormais les compétences générales dans leurs programmes d’études, mettant l’accent sur la résolution de problèmes, la résilience et, surtout, l’adaptabilité. La faculté de médecine de l’Université de Toronto, par exemple, se désintéresse peu à peu de la moyenne pondérée cumulative pour se concentrer plutôt sur les aptitudes sociales et interpersonnelles des candidats.

Un programme ambitieux en matière d’aptitudes

Le secteur de la santé n’a pas à s’attaquer seul aux défis liés aux aptitudes. Il peut apprendre d’autres secteurs également aux prises avec la révolution des aptitudes, et partager ses propres découvertes. Cette démarche est déjà en cours dans de nombreux établissements, où on adapte des cours d’autres disciplines. Le secteur pourrait par exemple s’associer à des laboratoires d’innovation, à l’instar d’autres secteurs comme celui des services financiers, afin d’améliorer l’efficacité du réseau.

Le plus grand défi, toutefois, consistera à trouver des façons d’aider les travailleurs d’autres secteurs à se réorienter dans le domaine des soins de santé. Ces travailleurs devront se recycler et obtenir une reconnaissance d’aptitude, un tour de force pour ceux qui sont en milieu de carrière. Ils pourraient devoir faire des années d’études pour obtenir leur titre professionnel. Pour que les travailleurs concernés puissent faire la transition vers une profession dans le domaine des soins de santé, il leur faudra du temps, de l’argent et du soutien.

Pour combler les lacunes et éliminer certains des obstacles actuels, les enseignants, les employeurs et les décideurs politiques devront reconnaître la transférabilité des aptitudes et offrir aux gens la possibilité d’explorer de nouveaux cheminements de carrière. La création de programmes de réorientation de carrière visant à attirer des professionnels dans le réseau de la santé sans que ceux-ci aient à suivre une nouvelle formation de plusieurs années (et à en assumer les coûts) constituerait un pas important dans la bonne direction.

À cette même fin, le secteur de la santé devrait envisager de créer plus d’occasions d’apprentissage intégré au travail à l’intention des travailleurs d’autres disciplines. De telles initiatives, en plus de procurer une expérience de travail pertinente, permettraient de susciter un intérêt pour celui-ci.

Le financement de solutions visant à préserver le modèle actuel de soins de santé ne nous rendra pas service à long terme. Pour créer un système durable, c’est-à-dire capable de s’adapter aux changements démographiques et aux forces perturbatrices qui transforment notre monde, il faut trouver de nouvelles sources de recrutement de professionnels de la santé, repenser et transformer nos modes de prestation des soins, et rehausser les aptitudes des travailleurs afin qu’ils puissent tirer le meilleur parti des innovations médicales. La mise en œuvre de ce programme ambitieux nécessitera la pleine participation des enseignants, des employeurs et des décideurs politiques. S’il est bien conçu, il permettra de préserver la qualité des soins pour les prochaines générations de Canadiens.

Photo : Shutterstock / Rob Marmion


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John Stackhouse
John Stackhouse est premier vice-président à RBC. Il conseille les cadres de la haute direction sur les tendances émergentes dans l’économie canadienne et fournit des avis fondés sur ses observations faites au Canada et dans le monde.

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