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Les projets de réforme du système de santé québécois se suivent, et bien qu’ils ne se ressemblent pas, ils ont tous échoué à le rendre plus efficace. Il est toutefois peu probable que les mesures annoncées jusqu’ici dans la réforme du ministre Christian Dubé puissent rendre efficace un système qui tolère les abus de certains médecins et usagers.

Contrairement à ce que dicte le sens commun, il ne suffit pas d’augmenter l’offre de services pour satisfaire à la demande de soins. Au fil des réformes, malgré l’ajout de ressources humaines et financières, le système de santé québécois demeure constamment débordé.

Certains économistes de la santé attribuent ce phénomène à la demande induite et à la surconsommation des services de santé.

La demande induite

Jusqu’au début des années 1980, on considérait que les médecins obéissaient à des motivations altruistes, c’est-à-dire qu’ils sacrifiaient leur intérêt personnel pour le seul bien-être de leur patient.

Cette vision angélique a depuis été relativisée. On postule maintenant que les médecins ne sont guère différents des autres agents économiques et qu’ils maximisent leur intérêt, voire leur revenu. Ô sacrilège!

Dans un contexte d’asymétrie d’information, où le médecin dispose d’informations privilégiées face à des patients peu informés, il lui est facile de recommander la quantité ou la qualité de traitements qui lui permettent d’assurer ses revenus et de « fidéliser » sa clientèle en s’assurant de la récurrence de leurs visites. Le phénomène est exacerbé par la rémunération à l’acte des médecins.

À l’inverse, si les médecins sont enclins à prescrire les soins les plus lucratifs, le patient n’a pour sa part aucune incitation à remettre en question le traitement proposé, même si celui-ci n’est pas celui qu’il aurait choisi s’il avait été mieux informé.

La surconsommation

Selon une étude de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), près de la moitié des Québécois qui consultent à l’urgence n’ont pas de problème urgent. La proportion est semblable dans le reste du pays.

Ce constat n’a rien de vraiment surprenant.

Le régime actuel ouvre la voie à une forme d’aléa moral où les individus assurés, qui ne déboursent aucun sou au point de service, ont tendance à ne pas se soucier des coûts et à s’offrir un niveau de services supérieur à leurs réels besoins. Cette gratuité déresponsabilise l’usager face à sa consommation.

Selon une étude de l’Institut canadien d’information sur la santé, près de la moitié des Québécois qui consultent à l’urgence n’ont pas de problème urgent. La Presse canadienne/Justin Tang

Une réforme insuffisante

Pour freiner l’inexorable croissance des dépenses de santé et améliorer l’offre de services, le brassage de structures annoncé par la présente réforme sera insuffisant. Il faut aussi s’attaquer aux incitations créées par le cadre institutionnel actuel.

Dans le passé, certains ont suggéré de faire appel à un ticket modérateur pour contrer le problème de surconsommation de soins dans l’optique de responsabiliser les usagers face à leur consommation.  L’idée fut ramenée périodiquement depuis le milieu des années 1980, mais chaque fois vite enterrée. Outre le fait que la Loi canadienne sur la santé ne le permet pas, la gratuité des soins de santé est, pour bien des commentateurs, un acquis social intouchable.

Mais , bon nombre de Canadiens exigent de plus en plus de stratégies concrètes de responsabilisation en ce qui concerne les soins de santé.

Il serait toutefois possible de responsabiliser les usagers sans avoir à renoncer au principe de gratuité des services ni même augmenter l’enveloppe budgétaire consacrée à la santé.

Laisser le patient gérer son budget de soins

Pour l’économiste, un usage rationnel des ressources se manifeste lorsque vous gérez votre argent pour vous-même. Vous faites alors attention à ce que vous dépensez et à la manière dont vous le dépensez.

Imaginons une réforme où le gouvernement confierait une partie du budget annuel de la santé aux usagers. Supposons, à titre d’exemple, qu’il distribue à chaque citoyen une part des 9 milliards $ qu’il consacre à la rémunération des médecins. On ne parle pas ici d’ajouter aux dépenses de l’État, mais de confier aux citoyens une partie de l’enveloppe budgétaire consacrée annuellement à la santé.

Chaque Québécois disposerait d’un « compte santé », accessible via son dossier à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), et dont il se servirait pour payer ses consultations médicales. Contrairement au système actuel, ce serait l’usager lui-même – et non un fonctionnaire peu enclin à économiser l’argent des autres – qui validerait et autoriserait le paiement des services reçus du médecin.

Afin d’inciter le patient à utiliser avec parcimonie les sommes qu’on lui aurait confiées pour ses soins de santé, le gouvernement pourrait en contrepartie lui permettre d’accumuler dans ce compte les surplus annuels non utilisés.

Avec l’épargne cumulée au fil des ans, l’usager pourrait éventuellement se payer – en totalité ou en partie – une gamme de soins de santé actuellement non-couverts par la RAMQ. On peut penser par exemple à des soins dentaires, psychologiques, esthétiques, etc.

En permettant à l’usager de choisir entre une consommation présente ou future, on introduit ce qu’on appelle un coût d’option. En d’autres mots, la consommation d’un service à court terme signifie le sacrifice d’un autre service à plus long terme.

La possibilité d’accéder éventuellement à un plus large éventail de services, voire de s’offrir des services jusqu’ici réservés aux mieux nantis, rendrait l’épargne fort attrayante et inciterait à une utilisation plus judicieuse des services de santé.

Dans un tel système, on peut imaginer qu’un bon nombre d’adhérents à la RAMQ seraient encouragés à être plus sélectifs dans leur consommation, à bien y penser avant de se précipiter à l’urgence ou chez le médecin au moindre bobo et à mieux s’informer sur la nature des soins prescrits. Cette quête d’information devrait être facilitée par le ministère de la Santé, qui mettrait à la disposition des usagers des ressources éducatives neutres sur les avantages et les inconvénients des divers soins et traitements.

Évidemment, il n’est pas question dans ce cas de figure de pénaliser l’usager qui, par choix ou par nécessité, épuise son allocation annuelle. Il aurait toujours accès aux services que nécessite sa condition.

Une révision des incitations ne permettra pas de résoudre à elle seule tous les problèmes de notre système de santé. Le compte santé n’est pas, non plus, la seule façon de responsabiliser l’usager face à sa consommation de soins. Cependant, toute mesure qui favorise une utilisation judicieuse des ressources apporterait une contribution significative à l’objectif de la présente réforme, soit de rendre notre système de santé plus efficace.

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Pierre J. Simard
Pierre J. Simard, Ph.D., est professeur retraité de l'École nationale d'administration publique spécialisé dans l'analyse des politiques et l'évaluation des programmes publics. Il est l'auteur de plusieurs articles scientifiques et de textes d'opinion.

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