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La crise du COVID-19 a révélé les vulnérabilités des systèmes de santé canadiens. Un débat national sur l’avenir de nos systèmes universel de soins devra avoir lieu au cours des prochaines années. Au Québec, d’ailleurs, il est déjà lancé.

Les provinces proposent une solution: Ottawa doit augmenter ses transferts afin de couvrir la hausse des dépenses. Les premiers ministres provinciaux ont demandé au gouvernement fédéral d’augmenter immédiatement et sans condition la part du coût des soins couverte par le Transfert canadien en matière de santé (TCS) de 22 % à 35 %, ce qui ferait grimper les transfert de 41,9 milliards $ en 2020-21 à 69,5 milliards $ pour l’année 2021-2022.

Sans surprise, Ottawa voit les choses différemment. Une augmentation significative des transferts entraînera des coûts fiscaux importants, ce qui obligerait le gouvernement fédéral à augmenter la taille de ses déficits, à hausser les impôts ou à réduire les autres dépenses fédérales, ce qui occasionnerait des coûts politiques importants. Or, ce sont pour les gouvernements des provinces que cette manne financière serait politiquement payante. De plus, l’architecture actuelle des transferts donne peu de contrôle à Ottawa sur la façon dont les fonds supplémentaires seraient dépensés par les provinces.

Le fédéral préfère donc des transferts conditionnels dans des domaines considérés comme des « priorités nationales », comme la santé mentale et les soins de longue durée pour les aînés.

Que pensent les Canadiens de ce qui s’annonce comme une nouvelle lutte entre Ottawa et les provinces sur l’avenir du financement des soins de santé?

Le sondage de la Confédération de demain, réalisé en 2022 par Environics en partenariat avec la Canada West Foundation, le Centre d’Analyse Politique – Constitution Fédéralisme, le Centre d’excellence sur la fédération canadienne de l’IRPP et le Brian Mulroney Institute of Government, permet de répondre à cette question. En janvier 2022, 5461 répondants de toutes les provinces et territoires ont participé à l’enquête.

Nous avons mentionné aux répondants que le gouvernement fédéral transfère de l’argent aux provinces pour financer les services de santé et que, puisque les coûts des soins augmentent, les gouvernements provinciaux demandent au gouvernement fédéral d’augmenter les sommes qu’il transfère aux provinces. Nous avons ensuite demandé aux répondants si les transferts devaient augmenter, diminuer ou rester les mêmes (les répondants qui n’ont pas exprimé d’opinion ont été exclus de l’analyse).

Afin de refléter les dilemmes auxquels les décideurs publics devront faire face, nous avons mentionné à un tiers des répondants qu’une augmentation des transferts pourrait entraîner une hausse des impôts, et à un autre tiers qu’elle pourrait causer une augmentation du déficit fédéral. Le derniers tiers des répondants a été interrogé sur ses préférences quant aux transferts sans qu’une hausses des impôts ou que des déficits soient évoqués.

La figure 1 révèle que l’appui à des transferts plus élevés passe de 78 % dans le scénario sans arbitrages fiscaux à 61 % lorsque les transferts sont financés par des déficits, et à 56 % lorsque des augmentations d’impôt sont mentionnées. La proportion de répondants qui choisissent de maintenir le niveau des transferts tel quel ou de le diminuer double lorsqu’on évoque une hausse des impôts.

L’appui à une hausse des transferts est élevée chez les électeurs de tous les partis, comme le montre la figure 2. Dans le scénario où ces transferts auraient lieu sans conditions de la part du fédéral, cet appui va de 72 % chez les électeurs conservateurs à 88 % chez les électeurs bloquistes. Au moins deux tiers des électeurs de chaque parti préfèrent des transferts en santé plus élevés, même si leurs propres impôts devaient augmenter, sauf chez les électeurs conservateurs (48%).

L’appui à une hausse des transferts fédéraux est également élevé dans toutes les provinces, mais il l’est encore plus dans les provinces moins riches, qui dépendent le plus des transferts fédéraux. L’appui tombe cependant sous les 50 % en Alberta et en Saskatchewan lorsque des hausses d’impôt sont mentionnées.

En bref, l’appui à des transferts fédéraux plus élevés diminue considérablement lorsque leurs coûts sont mentionnés aux répondants, mais la majorité des Canadiens appuient malgré tout une hausse des transferts en matière santé, même si cela signifie des impôts ou des déficits plus élevés.

Avec ou sans conditions?

L’opinion des Canadiens devient bien moins consensuelle lorsqu’il s’agit d’évaluer si les transferts fédéraux devraient être offerts avec ou sans conditions. Les répondants pouvaient choisir s’ils préféraient que le gouvernement fédéral fournisse davantage de fonds aux provinces et en les laissant chacune décider comment dépenser l’argent pour améliorer les services de santé (transferts inconditionnels) ou si le gouvernement fédéral devrait créer un ensemble de normes nationales et ne fournir davantage de fonds qu’aux provinces qui respectent ces normes (transferts conditionnels). Les répondants avaient une aussi troisième option, soit aucun changement aux transferts actuels. Cette option n’a été choisie que par 9 % des répondants, ce qui reflète la popularité de l’idée de hausser les transferts en santé.

Bien qu’une pluralité de répondant préfère une augmentation inconditionnelle des transferts dans chaque province, au moins le tiers des répondants dans chaque province préfèrent plutôt une hausse conditionnelle. L’appui à une augmentation des transferts sans condition est le plus élevé au Québec, à Terre-Neuve et à l’Île-du-Prince-Édouard et le plus faible en Ontario et en Alberta. Étonnamment, c’est également en Alberta que l’appui à des transferts conditionnels est le plus élevé. Dans cette province, la population semble parfaitement divisée sur cet enjeu (46 % pour des transferts conditionnels, et 46 % contre).

De toute évidence, les répondants qui disent faire davantage confiance aux provinces pour prendre les bonnes décisions concernant la gestion du système de santé sont plus susceptibles de préférer des transferts sans conditions que ceux qui croient qu’Ottawa est plus compétent en matière de soins de santé.

De plus, les clivages partisans sur la conditionnalité des transferts en matière de santé sont particulièrement importants. La figure 5 montre qu’une majorité d’électeurs néo-démocrates et une pluralité de partisans libéraux préfèrent des transferts conditionnels, tandis qu’une majorité d’électeurs conservateurs préfèrent des transferts sans conditions. Nous trouvons également un résultat similaire en demandant aux répondants de se positionner eux-mêmes à gauche ou à droite : la gauche préfère les transferts avec conditions, tandis que la droite appuie les transferts sans conditions.

Les répondants les plus favorables aux transferts conditionnels sont les électeurs néo-démocrates, verts et libéraux des provinces dirigées par des gouvernements conservateurs en Alberta, en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan (55 % en faveur des transferts conditionnels et seulement 37 % en faveur des transferts sans conditions).

Les électeurs plus à gauche partagent peut-être les craintes d’Ottawa : si les provinces n’étaient pas obligées d’augmenter leurs budget en santé d’un montant équivalent à l’augmentation des transferts, des gouvernements provinciaux conservateurs pourraient consacrer les transferts plus élevés à des réductions d’impôts plutôt que de les utiliser pour améliorer les services. D’autres pourraient faire le choix d’affecter ces sommes selon leurs propres priorités, et non celles d’Ottawa (par exemple, pour réduire les listes d’attente pour les interventions chirugicales). La Colombie-Britannique, dirigée par le NPD, offre un contraste évident. Là-bas, le soutien à une hausse sans conditions des transferts est plus élevé qu’à des transferts conditionnels, chez les électeurs de tous les partis fédéraux.

Sur la question du fédéralisme fiscal, le Québec a plus d’affinités avec la droite qu’avec la gauche canadienne. Non seulement les électeurs bloquistes sont dans l’ensemble les plus favorables à des transferts inconditionnels, mais nous constatons au Québec un soutien des électeurs de tous partis en faveur de transferts plus élevés et sans conditions. Il n’y a pas de différences significatives entre les répondants qui s’identifient à la gauche ou à la droite. Cependant, les électeurs néo-démocrates et libéraux du Québec sont plus susceptibles de soutenir des transferts conditionnels que les électeurs des autres partis. Leur appui aux transferts conditionnels demeure toutefois bien moins élevé que chez les néo-démocrates et les libéraux des autres provinces.

Cette enquête sur l’opinion des Canadiens concernant les transferts fédéraux en matière de soins de santé révèle que tant les positions des gouvernements provinciaux que du gouvernement fédéral sont appuyées par l’opinion publique, ou à tout le moins par les électeurs qui les soutiennent. Il existe un large consensus en faveur de l’augmentation des transferts d’Ottawa pour améliorer nos systèmes de santé. Cet appui demeure élevé même lorsque les électeurs sont informés des coûts qu’ils risquent d’encourir, ce qui soutient la position des provinces. En revanche, les électeurs du Canada anglais qui appuient le gouvernement libéral ou les néodémocrates ont tendance à appuyer la position du gouvernement fédéral d’imposer des conditions aux transferts.

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Olivier Jacques
Olivier Jacques est professeur adjoint au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheur au CIRANO. Ses recherches portent sur les finances publiques, l’État-providence et les politiques de santé. On peut le joindre sur LinkedIn et Twitter @Olijacques89.

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