(Ce texte a été traduit en anglais.)

Depuis la crise diplomatique qui affecte les relations entre le Canada et la Chine, la couverture médiatique sur la Chine a été particulièrement négative. Cette crise a débuté avec l’arrestation à Vancouver de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, et de celle de deux Canadiens en Chine, Michael Kovrig et Michael Spavor. Les événements récents au Xinjiang et à Hong Kong, et l’attention accrue portée aux questions d’influence et d’interférence chinoises au Canada (comme ailleurs dans le monde) ont renforcé cette trame narrative négative. Plusieurs souhaitent que le Canada adopte une position plus antagoniste, à l’image de l’approche de rivalité stratégique que Washington entretient à l’égard de la Chine.

Quel a été l’impact de ces événements sur l’opinion publique au Canada et au Québec ? Les résultats d’un sondage national bilingue, conçu et mené entre le 26 septembre et le 3 octobre 2019 par une équipe de l’Université de la Colombie-Britannique, en collaboration avec une chercheuse de l’Université d’Ottawa ― et, donc, juste avant le déclenchement des élections ―, nous fournissent des pistes de réponse. Ce sondage s’appuyait sur deux coups de sonde antérieurs, effectués en octobre 2017 et en février 2019, qui utilisaient des questions similaires.

En octobre 2019, 29 % des Canadiens avaient une opinion favorable de la Chine. Si ce taux est plus bas qu’en octobre 2017, où il était de 36 %, il a tout de même connu une remontée depuis février 2019, où ― quelques semaines après l’arrestation des deux Canadiens ― il se situait à 22 %. Le recul des opinions favorables à la Chine ne s’est pas traduit par une augmentation des opinions défavorables, mais plutôt par une augmentation du taux d’indécis. Durant la même période, le pourcentage des répondants qui avaient une opinion favorable des États-Unis est passée de 52 % en 2017 à 36 % en février 2019, pour se situer à 51 % cet automne.

Les jeunes Canadiens ont une opinion plus positive de la Chine que les répondants plus âgés. Parmi les jeunes de 19 à 33 ans, 33 % voient la Chine d’un œil favorable et 48 % sont d’avis contraire, tandis que seulement 25 % des répondants de plus de 64 ans ont une opinion favorable de la Chine contre 68 % d’opinions défavorables.

Il y a aussi des divergences d’opinion entre francophones et anglophones. Parmi les répondants francophones, dont 95 % proviennent du Québec, 34 % ont une opinion favorable de la Chine, contre 29 % des anglophones. Quant aux opinions défavorables de la Chine, c’est 50 % du côté francophone comparativement à 60 % du côté anglophone. Par contre, les répondants francophones font moins confiance au président de la Chine Xi Jinping que les anglophones : 80 % disent avoir peu ou pas du tout confiance en lui, comparativement à 71 % des anglophones.

Afin d’obtenir un portrait plus nuancé de la situation, plusieurs questions du sondage portaient sur des enjeux socioéconomiques et politiques de la présence de la Chine et des États-Unis dans le monde (figure 1).

Dans l’ensemble, la Chine devance les États-Unis à l’égard d’une seule des dimensions du leadership international sur huit (comparé à quatre il y a deux ans), soit la puissance économique. En 2017, un nombre plus élevé de Canadiens estimaient que la Chine allait surpasser les États-Unis aussi bien en tant que puissance économique qu’en matière d’initiatives environnementales, de stabilité et de maintien de la paix. Ainsi, 64 % des répondants jugeaient alors que la Chine deviendrait la première puissance économique dans la prochaine décennie, tandis que seulement 47 % le pensent en automne 2019. Il est possible que la couverture médiatique du conflit commercial entre les deux géants et du ralentissement économique de la Chine ait influé sur la perception des Canadiens.

De nouveau, nous observons un écart entre les deux groupes linguistiques. Tandis que 26 % des francophones jugent que la Chine sera un leader plus responsable que les États-Unis, 20 % des anglophones sont de cet avis. De plus, 30 % des francophones pensent que la Chine fera davantage pour maintenir la paix dans le monde, contre 21 % des anglophones. Quant aux questions environnementales, 26 % des francophones contre 21 % des anglophones estiment que la Chine en fera davantage que notre voisin du Sud.

La méfiance à l’égard de la Chine ne se traduit pas nécessairement par une confiance accrue envers les États-Unis. Comme le montre la figure 2, 61 % des personnes interrogées pensent que le Canada ne peut plus faire confiance aux États-Unis. Le taux de méfiance envers son président Donald Trump atteint 78 %, tandis que 72 % des Canadiens disent se méfier de Xi Jinping. Les francophones se montrent plus méfiants envers le président américain, 85 % d’entre eux ne lui font pas confiance, contre 76 % des anglophones.

Malgré une baisse de la confiance envers les grandes puissances des deux côtés du Pacifique, les Canadiens gardent une vision équilibrée de nos relations trilatérales avec les États-Unis et la Chine, comme le montrent leurs réponses. Une majorité d’entre eux (68 %) croient que le Canada peut maintenir de bonnes relations à la fois avec la Chine et les États-Unis. Pour 63 % des répondants, les États-Unis restent un « pays ami » du Canada, comparé à 43 % qui le pensent de la Chine, une différence somme toute assez modeste compte tenu de l’historique de nos relations beaucoup plus étroites avec les États-Unis. Seulement 26 % estiment que nous devrions soutenir les politiques des États-Unis même si cela devait aggraver nos relations avec la Chine.

Lorsqu’on demande aux Canadiens de se prononcer sur les questions qui devraient être prioritaires pour le gouvernement canadien dans ses relations avec la Chine (figure 3), la promotion du commerce et des investissements arrive en première place, suivie de la coopération dans les questions internationales (changements climatiques, maintien de la paix, épidémies, contre-terrorisme), puis, de la protection des valeurs et des institutions canadiennes de l’influence grandissante de la Chine. La progression des droits de la personne et des réformes démocratiques en Chine arrive en quatrième place. Le désir d’un renforcement des échanges économiques avec la Chine se manifeste aussi dans la réponse à la question qui porte sur un accord de libre-échange avec la Chine : 62 % des répondants favoriseraient la conclusion d’un tel accord. À ce chapitre, les réponses des francophones et des anglophones sont presque identiques.

Dans leurs réponses aux questions plus détaillées sur la meilleure façon de promouvoir les droits de la personne en Chine, 26 % des répondants ont dit préférer que le gouvernement aide à « renforcer l’État de droit en Chine par des dispositions et des pratiques intégrées dans les accords commerciaux » ; 22 % souhaitent que le gouvernement consolide « les droits de la personne et les réformes démocratiques ici au Canada » ; 20 % pensent que le gouvernement devrait faire état de ses préoccupations en privé ; 15 % jugent qu’il devrait augmenter « la circulation des personnes dans les deux sens » ; et seulement 9 % sont en faveur de « déclarations publiques et pressions du gouvernement canadien ».

Pour ce qui est des questions d’actualité, les Canadiens ont des avis partagés. Tandis qu’il y a une proportion élevée d’indécis (entre 30 % et 33 % selon la question), 39 % des répondants estiment que le Canada a fait une erreur en arrêtant Meng Wanzhou, 35 % jugeant même que le gouvernement devrait la libérer avant la fin des procédures judiciaires. En même temps, 59 % pensent qu’« Ottawa a eu raison de considérer cette question comme relevant de l’État de droit plutôt que de la politique ». Une grande majorité de Canadiens, soit 74 %, pensent que le pays fait les frais d’un conflit entre les États-Unis et la Chine. Quant à leur opinion sur Huawei, la moitié des répondants jugent que « ce serait une erreur de permettre à Huawei ou à d’autres compagnies chinoises d’être un fournisseur important du système 5G au Canada ». Par contre, 43 % estiment que les investissements de Huawei dans la recherche et le développement au Canada devraient être encouragés. Prises ensemble, ces réponses indiquent que la population a une opinion nuancée de la Chine et qu’il existe potentiellement un appui à avoir des politiques distinctes en fonction des enjeux (infrastructure 5G, investissement, protection des données, etc.).

Malgré la méfiance grandissante à l’égard de la Chine, ces résultats permettent de penser qu’il existe un solide soutien populaire pour que le Canada continue à « vivre avec la Chine » plutôt que de poursuivre une politique de découplage ou de confrontation stratégique. Tandis que la confiance à l’égard de la Chine et des États-Unis s’écaille au Canada ― et malgré des inquiétudes considérables au sujet de certains comportements de la Chine sur la scène internationale et de sa présence grandissante au Canada ―, Ottawa a encore une marge de manœuvre pour élaborer une politique indépendante, nuancée et équilibrée à l’égard de la Chine. 

Ce sondage a été réalisé par Qualtrics dans les deux langues officielles auprès de 1 503 Canadiens, du 26 septembre au 3 octobre 2019, avec une marge d’erreur de ± 3 %. Les résultats complets sont disponibles à l’adresse https://sppga.ubc.ca/news/october-2019-national-survey-results-and-findings-on-canadian-public-attitudes-on-china-and-canada-china-relations/.

Photo : Le président de la Chine Xi Jinping et le premier ministre du Canada Justin Trudeau au sommet du G20 à Osaka, au Japon, le 29 juin 2019. EPA / Kazuhiro Nogi / Pool.


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Pascale Massot
Pascale Massot est professeure adjointe à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. De 2015 à 2017, elle a été conseillère principale du ministre du Commerce international et conseillère du ministre des Affaires étrangères du Canada pour la région de l’Asie-Pacifique.
Paul Evans
Paul Evans est professeur à la School of Public Policy and Global Affairs de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est actuellement en visite au Fairbank Center of Chinese Studies de l’Université Harvard et travaille sur la question des retombées du déclin des relations États-Unis–Chine sur le Canada.
Xiaojun Li
Xiaojun Li est professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est coauteur de l’ouvrage How China Sees the World (2019) et a publié de nombreux articles sur l’économie politique intérieure et internationale de la Chine dans des revues spécialisées.

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