
La gouvernance est déterminante pour toutes les organisations, et les gouvernements ne font pas exception aÌ€ la ré€gle. Pour relever les grands défis qui l’attendent, le Canada devra améliorer parallé€lement tous les aspects de sa gouvernance, aÌ€ savoir ses institutions, son systé€me électoral et les relations financié€res entre les trois ordres de gouvernement. AÌ€ l’heure ouÌ€ la participation élec- torale fléchit, surtout parmi les jeunes (le scrutin fédéral de 2006 faisant figure d’exception), ouÌ€ un gouvernement peut é‚tre formé sans représentation adéquate de toutes les régions du pays, et ouÌ€ Ottawa dispose de surplus consi- dérables alors mé‚me que plusieurs provinces et municipal- ités sont financié€rement baÌ‚illonnées, tout en devant fournir des services clés, ces réformes sont devenues impératives. Nous devons renforcer le Parlement, réformer le Sénat, ré- évaluer l’indépendance et l’efficacité de la fonction publique et restreindre la concentration des pouvoirs aux mains du premier ministre et de son Cabinet.
Ainsi, aussi utile qu’il soit, le présent exercice, visant aÌ€ dégager les principaux défis du Canada et aÌ€ proposer des solu- tions qui sont quantifiables, est limité par le fait que les enjeux de gouvernance sont exclus du processus. Mais il en va des poli- tiques publiques comme de la vie en général : ce qui compte le plus est souvent particulié€rement difficile aÌ€ mesurer.
S’il n’est pas toujours facile d’évaluer les facteurs de bonne ou de mauvaise gouvernance, on peut calculer sans diffi- culté la montée des couÌ‚ts de la santé et dans quelle mesure ils empié€tent sur le financement d’autres grandes priorités. En fait, l’augmentation est telle que les gouvernements canadiens ne peuvent plus absorber ces couÌ‚ts, qui augmentent plus rapidement que les recettes de n’importe lequel d’entre eux.
Prenons l’exemple de l’Ontario. De 1997-1998 aÌ€ 2002- 2003, les dépenses de santé du gouvernement ontarien ont bondi de 41 p. 100, tandis que ses recettes n’augmentaient que de 31 p. 100. Dans cette province et plusieurs autres, les couÌ‚ts liés aux soins de santé représentaient plus de 30 p. 100 du budget dans les années 1980. Ils en représentent aujourd’hui 40 p. 100 et parfois 50 p. 100. Et l’on prévoit qu’ils compteront pour 70 p. 100 des budgets provinciaux dans 20 ans. Le vieil- lissement de la population et les nouvelles technologies ”” sources de nouveaux traitements, procédés et médicaments ”” continueront d’en accélérer l’augmentation. AÌ€ l’exemple du déficit des années 1990, cette montée des couÌ‚ts liés aux soins de santé est insoutenable aÌ€ moyen terme, et les gouvernements n’ont d’autre choix que de s’y attaquer avec détermination.
D’autant plus que les dépenses de santé relé€guent au second plan le financement d’autres priorités comme la réduction de la pauvreté, l’éducation et l’environnement. Or on estime que la santé des gens dépend pour un quart seulement des soins de santé comme tel, et pour la moitié de facteurs comme le niveau de revenu, l’éducation et l’envi- ronnement. On pratique donc une politique aÌ€ courte vue en réduisant le financement de priorités qui constituent des déterminants de la santé majeurs.
Si l’on compare notre systé€me aÌ€ celui des autres pays de l’OCDE, on constate qu’il privilégie le financement des ser- vices intensifs de courte durée. Au Canada, nous finançons les honoraires des médecins et les frais hospitaliers alors que des services plus rentables aÌ€ caracté€re préventif ne bénéficient d’aucun financement public. Dans une étude comparative des 24 pays de l’OCDE, le Conference Board du Canada a récemment démontré que notre systé€me est relativement couÌ‚teux, que nos listes d’attente sont parmi les plus longues et que nous nous classons au treizié€me rang seulement pour ce qui est de l’état de santé de la population.
Les gouvernements devraient appli- quer au systé€me de santé trois approches ayant favorisé d’autres parties la durabili- té du filet de sécurité sociale : modifier les mesures incitatives du systé€me, intégrer la concurrence et accroiÌ‚tre le roÌ‚le du secteur privé. Nous pourrions par ailleurs rendre aux autres priorités la place qui leur revient, en transformant le mode de financement des soins de santé. L’essentiel du financement con- tinuerait d’é‚tre puisé aÌ€ mé‚me les fonds publics, mais on pourrait réduire cet effet d’empiétement en exigeant une contribution, basée sur la capacité de payer, pour l’usage du systé€me. Dé€s la création du régime d’assurance- maladie dans les années 1960, on avait proposé de faire de certains services médicaux un avantage imposable. Des idées du genre méritent d’é‚tre réexaminées.
C’est en grande partie pour permettre aux gouvernements d’investir dans les secteurs prioritaires qui déterminent l’état de santé des Canadiens qu’il
nous faut réformer le systé€me de santé et son mode de financement. Les fonds libérés iraient aux services de prévention, aÌ€ l’environnement, aÌ€ l’éducation et, surtout, aÌ€ la réduction de la pauvreté.
Sur le plan environnemental, les émissions d’oxyde de soufre et de dioxyde de carbone alté€rent la santé des gens, le Canada affichant aÌ€ cet égard un bilan médiocre par rapport aÌ€ des pays comme la Sué€de, ouÌ€ les émissions d’oxyde de soufre par unité de PIB sont de 0,4 alors qu’elles sont de 3,1 chez nous. Un écart énorme. Et mé‚me si le Canada appuie ostensiblement le proto- cole de Kyoto, il ne dispose d’aucune politique environnementale cohérente qui lui assurerait de remplir ses engage- ments. L’élaboration d’une stratégie globale qui s’attaquerait aÌ€ d’importants problé€mes environnementaux, les émis- sions de contaminants par exemple, favoriserait pourtant l’amélioration aÌ€ long terme de la santé des Canadiens.
Il serait aussi plus rentable de réduire le financement public des soins intensifs de courte durée au profit de la lutte contre la pauvreté. Les taux de pauvreté d’un pays aussi prospé€re que le noÌ‚tre sont tout simplement alar- mants, surtout chez les enfants. Selon une étude réalisée en 2005 par l’Unicef,, pré€s de 15 p. 100 des enfants canadiens vivent dans la pauvreté, le Canada se classant aÌ€ ce chapitre au 19e rang parmi 26 pays développés.
Au-delaÌ€ des drames humains et du potentiel perdu qu’évoque ce chiffre, la pauvreté est aussi l’une des principales causes des problé€mes de santé. Et le con- traste est laÌ€ aussi éloquent avec la Sué€de, qui se classe au quatrié€me rang des 26 mé‚mes pays. Or la Sué€de dépense moins que le Canada en services médicaux tout en affichant l’un des meilleurs bilans pour ce qui est de la santé de sa popula- tion. On peut donc imaginer qu’en affectant des ressources plus impor- tantes aÌ€ des programmes sociaux qui réduisent la pauvreté, on favoriserait la santé de nos concitoyens tout en abais- sant le couÌ‚t de notre systé€me.
Pour lutter contre la pauvreté infan- tile, le Canada a créé dans les années 1990 la Prestation nationale pour enfants, le premier programme social aÌ€ voir le jour en 30 ans, pour lutter contre la pauvreté. Cette prestation établit un niveau minimal de revenu et d’avantages pour les familles et offre des incitations qui favorisent la transition de l’aide sociale au marché du travail. Le pro- gramme est particulié€rement efficace car les prestations sont versées par l’entremise du régime fiscal ; c’est également un modé€le de coopération fédérale- provinciale. Mé‚me s’il est administré par Ottawa, il est intégré aux programmes provin- ciaux (sauf au Québec). Résultat : un programme stratégique bien ciblé fondé sur une hiérarchie claire des responsabilités. La réduction de la pauvreté néces- sitera une solide coordination entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et la Prestation nationale pour enfants indique la voie aÌ€ suivre.
Le deuxié€me défi consiste aÌ€ promouvoir l’innovation et aÌ€ renforcer la productivité. Dans une économie mondialisée fondée sur le savoir, l’innovation est indispensable aÌ€ toute amélioration de la productivité. Et pour innover, il faut « chercher de nouvelles idées pour faire les choses plus efficacement et plus rapidement » en utilisant ces idées pour créer des produits, des services et des entreprises, graÌ‚ce aÌ€ une main-d’œuvre qualifiée qui puisse tirer parti de ces idées neuves et conquérir des marchés pour les pro- duits, services et connaissances qu’on aura créés. Pour soutenir l’innovation, les gouvernements peuvent investir dans la recherche, promouvoir la commercialisation de cette recherche, développer les compétences de la main-d’œuvre et appliquer un régime fiscal compétitif. Car l’innovation et les politiques gouvernementales qui les soutiennent sont tout aussi essen- tielles aÌ€ la productivité, qui influe aÌ€ son tour sur le niveau de vie d’une nation et les ressources qu’elle doit investir dans d’autres priorités comme les programmes sociaux.
Le bilan du Canada en recherche-développement (R-D) accuse un retard par rapport aux autres pays de l’OCDE, et nos dépenses de R-D par rap- port aÌ€ notre PIB diminuent depuis 2001.
Plusieurs raisons expliquent la nécessité d’investir davantage dans la R-D. Tout comme les chemins de fer, les canaux et les routes ont été les prin- cipales voies du développement économique au XIXe et au XXe sié€cles, les laboratoires, les synchrotrons et autres infrastructures de recherche sont les fondements du développe- ment économique du sié€cle actuel. Or l’essentiel du financement des vastes projets d’infrastructure des derniers sié€cles a été assuré par les gouverne- ments, et ceux-ci sont également la premié€re source de financement des grandes installations de recherche d’aujourd’hui, y compris dans les pays qui privilégient ouvertement la libre entreprise comme les EÌtats-Unis.
Au Canada, le gouvernement doit au demeurant jouer un plus grand roÌ‚le dans ce domaine qu’aux EÌtats-Unis car nos entreprises, majoritairement de petites et moyennes dimensions (ce qui rend plus difficile le soutien aÌ€ la R-D), font moins de recherche que les sociétés américaines. En outre, le haut niveau d’intégration de nos deux économies fait en sorte que les multinationales consacrent moins d’efforts de recherche du coÌ‚té canadien de la frontié€re. La plu- part des grandes sociétés basées aux EÌtats-Unis qui ont des filiales au Canada mé€nent ainsi leurs activités de R-D aÌ€ leurs sié€ges sociaux américains.
Promouvoir l’innovation et la pro- ductivité nécessitera aussi d’investir dans le capital humain, notamment dans la formation des deuxié€me et troisié€me cycles universitaires. Un nom- bre croissant d’enseignants prendront leur retraite dans les dix prochaines années, et le Canada manquera d’étu- diants pour les remplacer. On notera également que les pays les plus inno- vants comptent parmi leur main- d’œuvre de plus forts pourcentages de chercheurs. La Finlande, par exemple, ouÌ€ l’innovation est exceptionnellement dynamique, compte environ 15 chercheurs par 1 000 travailleurs, contre 8 au Canada. Et selon une étude du Conference Board, le Canada se classe au 9e rang seulement (sur 12) pour ce qui est du nombre de chercheurs par rapport aÌ€ l’ensemble de la main-d’œuvre. Plus généralement, nous devons faire les investissements qui assureront au Canada un systé€me éducatif de premier ordre et la mise aÌ€ niveau permanente des compétences de notre main-d’œuvre.
Pour promouvoir l’innovation et la productivité, il faut également un régime fiscal compétitif qui attire les innovateurs et les entreprises. Le régime fiscal canadien a toujours favorisé la R-D. Mais attirer et retenir cerveaux et compétences, de mé‚me que les entreprises, impliquent un régime d’imposition sur le revenu des parti- culiers et des sociétés concurrentiel.
Nous gagnerions aussi aÌ€ mieux analyser comment l’Europe de l’Ouest finance ses programmes sociaux et aÌ€ stimuler le débat sur l’adoption d’une plus grande variété d’instruments fis- caux. Le principe d’équité est si impor- tant au Canada qu’on s’est largement appuyé au fil du temps sur l’impoÌ‚t des particuliers et des sociétés ; mais compte tenu de son effet sur la com- pétitivité, les gouvernements ont duÌ‚ le réduire. Les gouvernements d’Europe occidentale misent davantage sur les taxes aÌ€ la consommation, les frais modérateurs et les régimes d’assurance publique aÌ€ base de cotisations patronales-salariales semblables au Régime de pensions du Canada. En utilisant un plus vaste éventail d’in- struments fiscaux, les pays d’Europe occidentale parviennent aÌ€ générer les recettes nécessaires au financement d’une gamme plus étendue de pro- grammes sociaux sans compromettre leur compétitivité économique.
Le vieillissement de la population, dont la longévité s’accroiÌ‚t au rythme des progré€s de la médecine, et, dans le mé‚me souffle, les changements sociaux induits par la diminution du taux de fécondité constituent la troisié€me priorité aÌ€ laquelle le Canada devrait s’attaquer rapidement. On estime que, dans vingt ans, plus du cinquié€me de la population aura dépassé l’aÌ‚ge de 65 ans et que le nom- bre de personnes aÌ‚gées par rapport aÌ€ la population active aura bondi de 19 aÌ€ 33 p. 100. Deux tendances démo- graphiques qui soulé€vent des ques- tions sur une éventuelle pénurie de main-d’œuvre et sur le financement de programmes sociaux comme les régimes de retraite et les soins de santé.
Au chapitre des politiques publiques, on répondra notamment aÌ€ ce défi en repensant notre stratégie d’im- migration et en intégrant les Canadiens plus aÌ‚gés au marché du travail. Il serait en effet tré€s utile de restructurer notre politique d’immigration et de supprimer les obstacles empé‚chant les immigrants de toucher leur part de la prospérité. Et il est tout aussi important d’adopter des mesures qui inciteraient les Canadiens aÌ‚gés aÌ€ rester au travail et convaincraient les entreprises de les employer.
Mais il nous faut suivre au moins deux autres voies, dont la premié€re consiste aÌ€ développer pleinement le potentiel de notre main-d’œuvre actuelle et future.
Dans l’ouest et le nord du pays en particulier, la population autochtone représente une source inex- ploitée de main-d’œuvre. Les gouverne- ments de ces régions considé€rent aÌ€ juste titre que cette population nombreuse et jeune ”” jusqu’aÌ€ 60 p. 100 de la popula- tion a moins de 25 ans ”” formera la main-d’œuvre de demain, et ils adoptent diverses mesures pour assurer aux jeunes autochtones l’éducation, la formation et le soutien dont ils ont besoin pour développer pleinement leur potentiel.
Le gouvernement fédéral doit en conséquence repenser ses politiques en profondeur, surtout lorsqu’elles touchent les Premié€res Nations. Et ce n’est pas une simple question d’argent. Les fonds versés aux Premié€res Nations et autres groupes autochtones doivent faire l’objet d’une obligation de reddi- tion de compte plus rigoureuse. S’il est important de respecter leur droit de gérer leurs propres affaires, tout groupe qui bénéficie de l’argent des contribuables doit rendre compte de son utilisation.
Autre problé€me fondamental : ces fonds fédéraux sont majoritairement alloués aux réserves indiennes, ouÌ€ ne vivent pourtant qu’une minorité d’au- tochtones. Cela doit impérativement changer. Les gouvernements doivent respecter le choix des autochtones et acheminer leur aide en conséquence. La majorité des Canadiens autochtones, qui vivent hors-réserve dans les villes et autres communautés du pays, ont besoin de soutien en matié€re de loge- ment, de programmes sociaux, d’éduca- tion et d’emploi. Et l’on ne pourra développer tout le potentiel des jeunes autochtones en refusant de modifier nos politiques et d’aborder les questions politiquement délicates.
Il nous faut enfin résoudre cette autre épineuse question de l’équité intergénérationnelle. Si nous souhaitons vraiment miser sur une jeunesse éduquée en ces temps de con- currence mondiale, demandons-nous au moins ce que nous avons aÌ€ lui offrir.
Les personnes aÌ‚gées bénéficient au Canada d’une meilleure protection sociale que les étudiants et les jeunes familles, et des ressources beaucoup plus nombreuses sont allouées aÌ€ leurs besoins. Selon des données récemment publiées par l’Ontario, par exemple, le gouverne- ment a dépensé en 2002 une moyenne de 7 723 dollars par citoyen de plus de 65 ans, mais seulement 1 280 dollars par citoyen de 25 aÌ€ 44 ans. Posons-nous dé€s lors cette question : la perspective de payer plus d’impoÌ‚ts pour financer des programmes qui profitent démesuré- ment aux personnes aÌ‚gées nous permet- tra-t-elle d’attirer et de retenir la jeunesse instruite dont nous avons besoin? Ne devrions-nous pas plutoÌ‚t restructurer en profondeur le mode de financement de certains de nos programmes sociaux? Et demandons-nous qui financera les soins des baby-boomers vieillissants. Si l’on rat- tache l’usage du systé€me de santé aux montants payés, ces baby-boomers devront certes acquitter une part appré- ciable de ces couÌ‚ts. Mais si nous puisons aÌ€ l’ensemble des revenus fiscaux pour les rembourser, c’est aÌ€ nos enfants que nous imposerons de payer la note. C’est-aÌ€-dire aux jeunes qui paient déjaÌ€ de l’impoÌ‚t pour régler les intéré‚ts d’une dette publique largement accumulée avant leur naissance, qui ont endossé une part grandissante de leurs frais d’études et qui sortent parfois lourde- ment endettés des établissements ouÌ€ ils ont obtenu leur diploÌ‚me. On ne saurait donc attirer et retenir une jeunesse haute- ment qualifiée sans affronter la difficile question de l’équité intergénérationelle.