Depuis le début des années 2000, différentes plateformes socionumériques, comme Facebook, X (anciennement Twitter), Instagram et TikTok, ont gagné en popularité et en influence dans plusieurs pays. En moyenne, six nouveaux utilisateurs rejoignent ces réseaux  chaque seconde dans le monde, selon un récent rapport de l’organisation Datareportal en 2025.

Ce phénomène est d’autant plus pertinent à observer dans le contexte de la campagne électorale fédérale au Canada. Les partis politiques et leurs chefs multiplient les offensives sur ces réseaux pour capter l’attention des électeurs et des médias et influencer le discours de campagne. Ayant mis fin au boycottage de Meta, les principaux partis fédéraux ont dépensé plus de 900 000 $ en publicité sur Facebook et Instagram.

Ces plateformes ont un impact direct sur la circulation de l’information, les messages politiques, le comportement de l’électorat et le fonctionnement des processus démocratiques.

Une étude sur la campagne électorale fédérale de 2021 a démontré que les publications négatives sur X étaient plus susceptibles de devenir virales. D’autres études ont également indiqué l’ampleur de leur impact sur la personnalisation du politique au cours des dernières années.

D’une part, les politiciens mettent de plus en plus d’emphase sur leur profil (professionnel, personnel et familial) pour se rendre accessibles aux yeux de certains segments de la population. D’autre part, ils personnalisent leurs messages en fonction des intérêts et préoccupations d’un électorat ciblé (âge, lieu de résidence, intérêts, degré d’engagement en ligne) afin de leur offrir des informations ancrées dans leur réalité.

L’omniprésence des plateformes socionumériques a créé un environnement de communication politique hybride, où les médias traditionnels s’inspirent de plus en plus des tendances numériques et amplifient les débats qui s’y déroulent.  Il n’est pas rare que des informations d’intérêt public soient d’abord diffusées sur X, avant d’être reprises par les journalistes. Qu’il s’agisse d’une déclaration controversée, d’une image percutante ou du faux pas d’un candidat, X est souvent le point de départ de l’actualité politique.

L’utilisation croissante du marketing politique

Une facette sous-estimée de cette dynamique est le marketing politique, un concept dont l’importance est capitale. Son utilisation croissante façonne le paysage politique depuis plusieurs décennies. Pourtant, cet enjeu est rarement soulevé dans la sphère publique.

Depuis la seconde moitié du 20e siècle, les politiciens ont intégré plusieurs principes du marketing commercial dans leurs stratégies électorales. Ils mettent de l’avant des slogans et font des campagnes publicitaires pour se positionner par rapport aux autres partis et à leur offre politique. Dans la campagne actuelle, les Libéraux promettent « Un Canada fort » tandis que les Conservateurs clament « Le Canada d’abord ».

Ces stratégies, bien que souvent fondées sur des analyses de marché, ont un objectif différent de celui du commerce de détail. Elles ne cherchent pas à maximiser les profits, mais à permettre aux politiciens d’obtenir le nombre de votes ou de sièges requis pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Entre les scrutins, les partis et les politiciens utilisent ces stratégies afin de maximiser leur visibilité et leur popularité.

L’avènement d’une technocratie marketing

Cette dynamique a grandement évolué. Les stratégies autrefois utilisées par les partis et les politiciens pour promouvoir leurs idées, façonner leur image et influencer le ton et les sujets du débat exploitent maintenant les fonctionnalités des plateformes numériques. Elles tiennent compte d’impératifs commerciaux à court terme. Il ne s’agit plus simplement d’utiliser le marketing pour promouvoir leurs idées ou concevoir leur programme électoral. Il s’agit d’une imbrication profonde entre le marketing, la technologie et le politique, à tel point qu’il devient difficile d’en distinguer les frontières.

Cette transformation marque l’avènement d’une technocratie marketing, un phénomène remettant en question les fondements mêmes des modèles démocratiques. En d’autres mots : la sphère politique subit une mutation profonde où les logiques marchandes et politiques s’entrelacent de manière quasi indissociable, redéfinissant les dynamiques électorales, l’exercice du pouvoir et la gouvernance.

Pourquoi parler de technocratie marketing ? Les médias socionumériques n’ont pas de frontière. Ils échappent souvent aux cadres réglementaires nationaux et internationaux. Certains pays ont mis en place des mesures pour tenter de les contrôler, mais non sans peine. La Commission européenne a bien mis en place une législation sur les services numériques pour encadrer les activités des médias en ligne et contrer la désinformation, mais les grandes plateformes la contestent souvent.

La politique au service du marketing

Les plateformes comme X, Instagram, Snapchat ou TikTok introduisent des indicateurs de performance du marketing commercial dans le processus de production et d’évaluation de la communication politique. Les politiciens accordent une importance accrue à la taille de leur communauté de supporteurs, au nombre de vues, à la viralité de leurs messages ainsi qu’au taux de conversion des audiences.

La politique s’apparente de plus en plus à un produit ajusté aux réactions des usagers des médias socionumériques. Elle mise sur l’engagement personnel fondé sur des caractéristiques ciblées (genre, emploi, loisirs) plutôt que la diffusion de contenus politiques plus substantiels.

À leur tour, les plateformes transforment les stratégies politiques en produits commerciaux visant à générer des profits.  Ainsi, la logique entre marketing et politique s’est inversée. Ce n’est plus la politique qui utilise le marketing, mais le marketing qui façonne la politique à travers les logiques des plateformes numériques. citoyens ne sont pas seulement des électeurs à convaincre, mais des consommateurs à rejoindre et à segmenter selon des modèles affinés par les algorithmes de Meta ou X.

Ces plateformes accordent une grande importance au profil des individus et des organisations ainsi qu’aux émotions. Elles façonnent aussi les convictions politiques de leurs utilisateurs en optimisant la visibilité de certains contenus pour capter leur attention et générer plus d’engagement.

Elles mettent de l’avant des contenus polarisants pour générer le plus de vues, de « j’aime » et de commentaires possibles, ce qui leur permet de vendre plus de publicités. De plus, elles récoltent et revendent des données sur le comportement des usagers — y compris leurs opinions politiques et leurs réactions émotionnelles — à des entreprises qui ciblent ensuite ces mêmes utilisateurs avec de la publicité commerciale personnalisée. Ce système crée un environnement où la politique devient un produit servant à alimenter des modèles d’affaires fondés sur le marketing.

Sans compter que des « militants » fictifs, cachés derrière de faux comptes ou des comptes alimentés par des robots, peuvent aussi créer cet engagement. On peut ainsi monter de toutes pièces un soutien populaire pour une idée ou un parti politique.

Déceler le vrai du faux est de plus en plus difficile

Les médias traditionnels sont en perte de vitesse face aux plateformes socionumériques, plus accessibles, réactives et instantanées. Ces dernières accaparent maintenant les trois quarts des dépenses des annonceurs, transformant ainsi le secteur, où les fermetures de médias se multiplient depuis plusieurs années. Au-delà de cette crise économique, les médias socionumériques peuvent avoir un impact sur le programme politique et la manière dont les sujets sont abordés et discutés.

Ils peuvent garder les usagers dans des chambres d’écho en les exposant à des contenus qui renforcent leurs croyances, alimentant ainsi la désinformation et la polarisation sociale. L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle, qui permet de produire et de diffuser rapidement des contenus personnalisés et parfois trompeurs, amplifie ce phénomène. Les hypertrucages ou deepfakes en sont un exemple. Ces fausses mises en scène qui peuvent impliquer des politiciens brouillent davantage la frontière entre le vrai et le faux.

Une démocratie affaiblie

L’influence grandissante des géants technologiques sur la politique est particulièrement éloquente. Elon Musk a transformé X en un outil véhiculant un discours perçu comme positif par une grande partie par des individus s’identifiant comme conservateurs sur le plan politique. Il a aussi instauré un système d’auto-vérification qui n’est pas systématique et qui est alimenté par les usagers. De son côté, Mark Zuckerberg, le dirigeant de Meta, a changé les mécanismes de vérification des faits sur Facebook et Instagram, rendant ainsi la lutte contre la désinformation plus difficile.

Usant d’un argumentaire lié aux principes de la liberté d’expression, ces plateformes maximisent leurs profits en exploitant le politique. Cette convergence des logiques marchandes, politiques et technologiques illustre à quel point les institutions démocratiques sont en concurrence avec des joueurs ayant des intérêts commerciaux souvent opposés à l’intérêt général.

Le monde politique doit s’interroger sur la place qu’il accorde au marketing. Plus que jamais, il est essentiel d’analyser les imbrications entre politique, technologie et marketing pour éviter que les logiques marchandes absorbent le politique. Les élus doivent réfléchir à cette question avec sérieux et identifier des solutions afin de restaurer un équilibre entre les principes du marketing, intérêts commerciaux des plateformes socionumériques et intégrité démocratique.

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Émilie Foster
Émilie Foster est professeure associée au Clayton H. Riddell Graduate Program in Political Management de l’Université Carleton. Elle a été vice-présidente de la Coalition avenir Québec, puis conseillère politique et députée à l’Assemblée nationale de 2018 à 2022. Twitter @Milie_Foster
Vincent Raynauld
Vincent Raynauld est professeur agrégé au Département de communication de l’Emerson College à Boston. Il est aussi professeur affilié au Département de lettres et communication sociale de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

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