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Donner quelques milliards de dollars peut être plus difficile que vous ne l’imaginez.

Ce n’est peut-être pas pour la philanthrope américaine MacKenzie Scott, qui a fait don de 16 milliards $ au cours des cinq dernières années, avec une efficacité saluée. En comparaison, notre gouvernement fédéral n’a pas réussi à distribuer les 4 milliards $ prévus au budget de son programme d’adoption du numérique (PCAN).

Lancé pendant la pandémie en 2022, le programme devait couvrir 90 % des coûts déboursés par les entreprises pour identifier les moyens de mettre à jour leurs technologies en ligne. Il ouvrait ensuite la porte à des prêts publics sans intérêt pouvant aller jusqu’à 100 000 $ pour la mise en œuvre de ces mesures.

Après avoir dépensé moins d’un cinquième du budget qui y était alloué, le gouvernement a mis fin au programme en février dernier, deux ans avant l’échéance prévue. Une subvention plus modeste pouvant aller jusqu’à 2400 $ et destinée aux petites entreprises pour la création de sites web reste toutefois disponible.

La nouvelle n’a pas reçu l’attention qu’elle aurait dû avoir. Le gâchis de 60 millions $ d’ArriveCAN a suscité une indignation soutenue et des critiques virulentes, mais le programme d’adoption numérique a été largement ignoré. Le PCAN n’a été mentionné que six fois au Parlement dans la dernière année, contre près de 1000 fois pour ArriveCAN, malgré un budget 60 fois plus élevé.

Ce déséquilibre est regrettable. Un meilleur contrôle est nécessaire pour résoudre les problèmes dès la mise en œuvre des programmes, et pas seulement d’une reddition de comptes plus tard. Si quelque chose vaut la peine d’être fait et vaut qu’on investisse 4 milliards $, cela vaut la peine d’être bien fait.

Le PCAN a été conçu parce que les entreprises canadiennes investissent toujours moins dans les technologies numériques que leurs concurrents internationaux. Seule 1 petite ou moyenne entreprise sur 20 utilise la technologie de manière efficace.

Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Il faudra plus de transparence de la part du gouvernement pour en avoir le cœur net.

Si l’on considère la manière dont le programme a été conçu et géré, on comprend mieux pourquoi les entreprises ont pu refuser de l’argent tombé du ciel. Le processus était fastidieux. Avant même de parler avec un consultant, les entreprises devaient naviguer sur un site web jargonneux pour choisir si elles souhaitaient « développer leurs activités commerciales en ligne » ou « améliorer les technologies de leur entreprise ».

Elles devaient également se frayer un chemin à travers un processus de demandes centralisé et un marché hébergé par le gouvernement. Cela signifie qu’elles devaient passer du temps à apprivoiser de nouveaux comptes et de nouvelles plateformes, puis trier des fournisseurs classés en fonction des règles du programme plutôt que de la manière dont les entreprises les choisissent habituellement.

Le programme était trop rigide. Les entreprises pouvaient choisir parmi une liste de consultants approuvés par le gouvernement et le type de conseils que ceux-ci pouvaient fournir était défini de façon précise.

Chaque plan d’adoption du numérique devait suivre un modèle standardisé comprenant une évaluation de toutes les technologies actuelles, que le demandeur soit une simple boutique, une petite usine ou une firme de génie employant plus de 80 personnes.

Il y a également eu une pénurie de consultants. On a mis fin très tôt aux demandes d’inscription dans un souci de rapidité en raison de la pandémie. De nombreuses firmes se sont montrées prêtes à fournir des estimations pour un montant correspondant exactement au maximum autorisé de 15 000 $, mais d’autres ont été rebutées par les limites du programme ou n’en ont pas eu connaissance assez tôt pour respecter la date limite.

Les clients potentiels n’avaient donc qu’un nombre restreint de consultants parmi lesquels choisir, surtout s’ils espéraient quelqu’un étant familier avec leur secteur.

Il est facile de critiquer de l’extérieur. Mais le véritable enjeu ne touche pas les lacunes du programme; il concerne plutôt l’absence de réponse lorsque ces failles ont été relevées.

Le journaliste Paul Wells a écrit sur le retard des demandes dans une partie du PCAN plus d’un an avant sa fin. Les difficultés auraient déjà dû être douloureusement évidentes pour le gouvernement, mais Ottawa s’en est tenu au statu quo pendant une année supplémentaire avant de mettre discrètement fin au programme.

Admettre ses erreurs et ne pas les répéter

Le Canada est confronté à des défis bien plus complexes que celui de persuader les propriétaires de petites entreprises de transférer leurs données dans le nuage. Mais sur ces autres enjeux, le pays suit trop souvent le principe de sagesse suivant : « Si vous ne réussissez pas du premier coup, continuez pendant un an, puis arrêtez et espérez que personne ne posera de questions ».

Par exemple, quelques jours après la fin du programme d’adoption du numérique, la Société canadienne d’hypothèques et de logement a discrètement supprimé l’incitatif à l’achat d’une première propriété qui, il y a seulement quelques années, était un élément central de la stratégie nationale d’Ottawa en matière de logement.

La décision de mettre fin à ces programmes plutôt que de les réformer ou de les remplacer était peut-être la bonne. Mais cette décision aurait pu être prise plus tôt, avec moins d’argent en jeu et moins d’entreprises laissées en plan.

Une approche progressive incluant des tests auprès des utilisateurs, aurait pu permettre de détecter et de remédier aux lacunes que comportaient ces programmes. Il n’est pas nécessaire pour cela de procéder à des consultations ou à des projets pilotes sans fin. Au sud de la frontière, l’Internal Revenue Service (IRS) lance un nouveau service de déclaration d’impôts par étapes, via des mises à jour et une mise à l’échelle rapide en quelques mois, ainsi que la publication régulière de suivis.

Pour s’améliorer, il faut être prêt à admettre ouvertement que quelque chose ne fonctionne pas et faire différemment la prochaine fois. Cependant, Ottawa reste réticent à concéder que le programme d’adoption numérique n’a pas été un succès retentissant.

Cette politique de l’autruche risque de nous condamner à répéter les mêmes erreurs.

Par exemple, la semaine suivant la clôture du programme, le comité des finances de la Chambre des communes a publié une recommandation prébudgétaire en faveur de nouvelles subventions agricoles basées « sur le modèle du Programme canadien d’adoption du numérique ».

La moindre des choses, après avoir commis des erreurs de plusieurs milliards de dollars, c’est d’en tirer des leçons.

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Noah Zon
Noah Zon est cofondateur et directeur de Springboard Policy, un cabinet de recherche et de conseil en matière de politiques publiques.

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