Au 1er trimestre de 2025, le Canada a accueilli trois millions de migrants temporaires, dont 616 552 au Québec. La migration temporaire apparaît comme un mécanisme de régulation économique avantageux pour répondre aux besoins du marché du travail. Or, elle crée une vulnérabilité en matière d’accès aux soins de santé.

Les politiques d’immigration et du travail, trop souvent élaborées en silos, peinent à intégrer pleinement les impératifs de santé. Cette situation peut engendrer une précarité socio-économique, amplifiée par l’inadmissibilité de certaines catégories de migrants au régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Les migrants particulièrement touchés sont les titulaires de permis d’études, les travailleuses avec un permis de travail ouvert, ainsi que les personnes en attente de résidence permanente par l’intermédiaire d’un parrainage familial.

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Pourtant, le statut migratoire est un déterminant fondamental de la santé. C’est le cas en particulier pour les femmes enceintes se trouvant dans les situations précédemment citées. Pour ces femmes, la grossesse devient une option lourde de conséquences financières et sanitaires.

Des femmes à risque de graves complications

Ces femmes, regroupées sous le vocable FEMSAM (femmes enceintes migrantes sans assurance maladie), sont plus susceptibles de recevoir des soins prénataux tardifs ou inadéquats (SPTI) comparativement au reste de la population. Or, les SPTI sont associés à des accouchements prématurés, de graves complications, des issues néonatales défavorables et des césariennes d’urgence, risquant de traumatiser la mère et le bébé. Les conséquences des SPTI à long terme sont associées à des facteurs de risque sociétaux évitables.

De plus, les politiques qui entravent l’accès aux soins contreviennent aux principes fondamentaux de santé publique et soulèvent d’importants défis éthiques. Elles sont sources de stress et de tensions considérables au sein des équipes soignantes, confrontées à des dilemmes cliniques et éthiques.

Sur le plan financier, ces situations engendrent des créances irrécouvrables pour les établissements hospitaliers et se traduisent par des coûts plus élevés pour l’ensemble des contribuables. Une étude américaine éloquente illustre cette réalité économique : chaque dollar investi en moins dans les soins prénataux pour les femmes migrantes sans assurance maladie est susceptible d’entraîner une augmentation de 3,33 $ des coûts postnatals et une majoration de 4,63 $ des coûts marginaux à long terme.

Ainsi, une suppression des services prénataux, bien qu’apparaissant comme une économie de 58 millions de dollars en coûts directs, générerait une explosion des dépenses de 194 millions de dollars en soins postnatals et un fardeau additionnel de 211 millions de dollars pour les contribuables à long terme. 

L’illusion de l’assurance privée

Pourquoi ces femmes ne souscrivent-elles pas à une assurance privée, comme le prévoit la loi ? La réponse réside dans les pratiques des régimes d’assurance privés, qui instaurent systématiquement un délai de carence. Pour les étudiantes étrangères, la grossesse est considérée comme une condition préexistante si l’accouchement a lieu dans les 30 premières semaines suivant la demande initiale d’adhésion au régime.

Cette mesure est justifiée par les assureurs comme une protection contre la « sélection adverse », visant à empêcher les individus de souscrire une assurance uniquement en prévision d’un besoin imminent. Cette approche soulève des enjeux éthiques et juridiques majeurs. En assimilant la grossesse à une « condition préexistante » — un terme habituellement réservé aux antécédents médicaux —, les assureurs entérinent une vision réductrice et stigmatisante d’un processus physiologique naturel, perpétuant des stéréotypes de genre.

Enfin, les assurances destinées aux travailleuses temporaires excluent toute prise en charge liée à la grossesse et à ses complications. L’inadéquation des couvertures offertes par les assurances privées devient d’autant plus flagrante lorsque l’on considère l’ampleur des frais hospitaliers associés à une naissance : un accouchement sans complications est estimé à 14 784 $, et peut s’élever à 29 460 $, en présence de complications. Ces conditions rendent la couverture maladie privée, en pratique, illusoire ou inapplicable.

Une pénalité aux conséquences délétères

Au Québec, une directive ministérielle confère aux établissements de santé le pouvoir d’appliquer une majoration de 200 % sur le coût des soins prodigués aux personnes jugées inéligibles au régime public d’assurance maladie . Cette mesure s’applique spécifiquement aux non-Canadiens, aux citoyens canadiens ayant perdu leur statut de résident du Québec tel que défini par la Loi sur l’assurance maladie du Québec. Elle s’applique aussi aux citoyens canadiens résidant dans une autre province ou territoire canadien qui ne peuvent attester de leur couverture par le régime d’assurance hospitalisation de leur lieu de résidence. Notons que cette surcharge s’étend également aux individus en période de carence pour l’accès à la RAMQ.

Loin d’être insoluble, la situation des FEMSAM appelle des solutions simples et éclairées, dont l’efficacité a déjà été démontrée ailleurs. L’expérience californienne est éloquente : l’extension de la couverture d’assurance aux FEMSAM a permis une amélioration significative des résultats de santé périnatale, et a également diminué la dépendance à l’aide sociale pour la génération suivante. De nombreux avantages économiques découlent d’un meilleur accès aux soins prénataux, justifiant pleinement un investissement dans la santé publique.

Pour que de telles avancées puissent voir le jour au Québec, il est essentiel de disposer de données probantes. C’est pourquoi notre groupe de recherche mène l’étude Préna-E-Cout’, financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui propose une évaluation mixte et participative de l’expérience et du coût des soins chez les femmes enceintes sans assurance maladie au Québec.

Des solutions simples existent

Les apports de notre étude fourniront une base empirique pour appuyer des politiques de santé publique plus inclusives et équitables. Mais certaines mesures pourraient être considérées dès maintenant.

D’abord, abolir la surcharge de 200 %, héritée d’une directive datant de 1992. Le maintien de cette mesure anachronique perpétue une logique discriminatoire envers les populations temporaires. Cette majoration arbitraire, qui double les coûts hospitaliers pour les personnes non assurées par la RAMQ, exacerbe les inégalités et contrevient aux principes d’universalité et d’équité d’accès aux soins. Son abrogation allégerait considérablement le fardeau financier de ces femmes, leur permettant de rechercher les soins nécessaires sans s’endetter.

S’inspirer de l’Ontario

Ensuite, on pourrait s’inspirer du modèle ontarien. En Ontario, le suivi par une sage-femme est financé publiquement pour toutes les résidentes, y compris celles ne bénéficiant pas du régime d’assurance maladie de l’Ontario. Les soins de sage-femme destinés aux personnes non assurées en Ontario ont démontré leur efficacité, se traduisant par de bons résultats cliniques et une utilisation des services inférieure à celle des personnes assurées. Ces observations confirment la pertinence de la politique provinciale de financement de ces soins pour ce groupe, soulignant ainsi leur importance et leur valeur.

Enfin, réviser la Loi sur l’assurance maladie du Québec apparaît comme une étape indispensable. L’introduction d’une mesure permettant une extension conditionnelle de la RAMQ aux résidentes temporaires enceintes leur garantirait une couverture essentielle pour les soins prénataux, l’accouchement et les suivis postnatals. Cette adaptation législative alignerait le Québec sur des provinces comme l’Ontario, reconnaissant ainsi l’urgence et l’importance d’investir dans la santé de ces femmes et de leurs futurs enfants.

L’exclusion des FEMSAM de la RAMQ et la surcharge associée méritent une analyse plus approfondie de leurs conséquences sanitaires, éthiques et financières. L’assurance maladie privée s’avère illusoire. Des solutions existent : abolir la surcharge, s’inspirer du modèle ontarien, et réviser la loi sur l’assurance maladie. Il serait pertinent que le Québec mette en place des mesures garantissant à toutes les femmes un accès équitable aux soins périnataux. Un tel engagement constituerait un investissement dans la santé de la prochaine génération et affirmerait les valeurs de justice sociale et d’équité.

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Laila Mahmoudi
Laila Mahmoudi est candidate au doctorat en santé publique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Ses recherches visent à influencer les politiques publiques qui promeuvent la santé sexuelle et reproductive des femmes en situation de vulnérabilité.
Éric Tchouaket
Statisticien et économiste de la santé, Éric Tchouaket est professeur à l’Université du Québec en Outaouais. Ses recherches portent sur l’évaluation économique en santé, l’analyse de la qualité et de la sécurité des patients, l’organisation des soins et services. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Économie de la prévention et Contrôle des infections.
Lara Gautier
Lara Gautier est professeure agrégée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche en santé publique, à l’Institut universitaire Sherpa et au Ceped (IRD–Université Paris-Cité). Ses travaux portent sur les déterminants structurels et intermédiaires de la santé des migrants mal desservis, au Canada et en Europe.

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