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Le premier ministre Mark Carney travaille d’arrache-pied pour établir de nouveaux partenariats en matière d’économie et de sécurité avec des pays d’Europe et du Pacifique, mais il reste un domaine dans lequel le Canada n’est pas à la hauteur : l’élection de femmes au parlement.

Les femmes n’ont remporté que 30 % des sièges à la Chambre des communes du Canada lors des élections générales d’avril 2025, soit la même proportion qu’avant le scrutin. Ces résultats placent le Canada au 71e rang sur 182 pays en ce qui a trait au nombre de femmes élues. Il ne se classe même pas dans le tiers supérieur.

Les autres pays démocratiques, comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, la Belgique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, se classent tous parmi les 50 premiers.

Le troisième partenaire commercial le plus important du Canada, le Mexique, fait également partie de ce groupe. Les deux pays ont adopté un plan d’action sur l’égalité des genres, mais le Mexique devance largement le Canada quant à l’élection de femmes : il se classe quatrième dans le monde avec plus de 50 % de femmes élues à la chambre basse.

Le Canada finance même des projets pour l’égalité des genres dans les pays qui élisent davantage de femmes, comme le Sénégal, la Tanzanie et le Népal.

Tous ces pays battent le Canada sur son propre terrain. Leur stratégie consiste à mettre de l’avant des politiques plutôt que des bons sentiments afin de remédier rapidement aux inégalités entre les sexes dans la représentation politique. Les quotas de genre leur ont permis d’accroître considérablement le nombre d’élues.

Recours généralisé aux quotas de genre

Plus de 100 pays utilisent actuellement une forme de quota de genre pour élire un nombre élevé de femmes. Ces pays exigent généralement que les partis politiques présentent un certain pourcentage de candidates.

En outre, le travail de recherche que j’ai mené avec Diana Z. O’Brien et Amanda Clayton montre que l’électorat préfère que les instances décisionnaires politiques comptent un nombre égal de femmes et d’hommes, même si cette parité est obtenue au moyen de quotas.

Nous avons mené une expérience dans 12 démocraties avancées, dont d’autres pays du Commonwealth, comme le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les participants devaient lire l’une des trois versions d’une même histoire, chacune présentant un scénario différent. Tous ont ensuite répondu aux mêmes questions, ce qui nous a permis de comparer l’impact des différentes versions sur leurs réponses.

Dans l’histoire que nous leur avons présentée, un conseil municipal doit se prononcer sur une nouvelle politique. Les trois versions ne diffèrent que par la composition du conseil : dans l’une, le conseil est exclusivement masculin ; dans une autre, le conseil est paritaire, sans indication sur la manière dont cette parité a été atteinte ; dans la troisième, le conseil est paritaire parce que les partis ont été contraints de présenter un nombre égal de candidats hommes et femmes.

Après la lecture, nous avons posé aux participants des questions visant à mesurer ce que les politologues appellent la « légitimité démocratique » : c’est-à-dire la perception qu’a l’électorat de l’équité du fonctionnement des institutions politiques. Nous leur avons demandé si, selon eux, la décision du conseil et son processus décisionnel étaient justes, favorables aux femmes, avantageux pour l’ensemble des citoyens et méritaient le respect.

Dans tous les pays, les personnes interrogées ont jugé plus légitimes les conseils respectant la parité hommes-femmes que le conseil exclusivement masculin. Elles ont estimé que le conseil paritaire élu selon un système de quotas était légèrement moins légitime que le conseil paritaire sans mention de quotas. La grande majorité a jugé que le conseil exclusivement masculin était moins légitime que les deux types de conseils respectant la parité hommes-femmes.

La souveraineté a-t-elle un sexe ?

Notre conclusion : l’électorat exprime très peu de réticences aux quotas de genre. Ce qu’il n’aime pas, c’est la surreprésentation des hommes en politique, qui érode la légitimité démocratique.

Ces résultats montrent bien que les politiciens canadiens n’ont vraiment aucune excuse pour retarder l’adoption de quotas de genre.

La moitié de la population canadienne appuie les quotas de genre

Cette idée n’est pas nouvelle au Canada. En effet, en 2016, l’ancien député Kennedy Steward a proposé un projet de loi visant à imposer une amende aux partis ne respectant pas la parité hommes-femmes parmi leurs candidats aux élections générales. En 2019, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a reçu des témoignages en faveur de l’adoption de quotas pour accroître le nombre de candidates.

Un sondage réalisé en 2023 a même montré que 50 %  de la population canadienne appuierait les quotas de genre aux élections fédérales.

Laissés à eux-mêmes, les partis n’y arrivent pas. Les femmes représentaient aussi peu que 22 %  des candidats conservateurs aux élections fédérales de 2025. Cependant, les Conservateurs ne sont pas les seuls à blâmer. Par rapport à 2021, la proportion de candidates a diminué dans tous les partis, sauf le NPD : de 11 points de pourcentage pour les Conservateurs, mais aussi de huit points de pourcentage pour les Libéraux et le Bloc.

Sans quotas pour améliorer la situation des partis, les élections fédérales canadiennes ne répondent pas aux attentes de l’électorat quant à ce que devraient être des institutions politiques légitimes.

L’opinion publique est claire : la population n’a rien contre les quotas de genre et, de surcroît, elle n’aime pas du tout voir les hommes dominer la politique.

Le Canada est à la traîne par rapport à d’autres pays, non seulement parce qu’il élit moins de femmes, mais aussi parce qu’il ne s’engage pas politiquement à faire mieux. Le pays ne peut pas prôner l’égalité des genres à l’étranger sans l’appliquer lui-même.

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Jennifer M. Piscopo

Jennifer M. Piscopo est professeure en genre et politique à la Royal Holloway University of London et chercheuse collaboratrice pour le projet Perspectives plurielles de l’initiative Équilibrons le pouvoir.

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