Le logement et la productivité furent au cœur des promesses du Parti libéral du Canada lors des dernières élections. Une fois élu, Mark Carney est passé de la parole aux actes en consacrant notamment une enveloppe de plus de 13 milliards $ sur 5 ans pour construire du logement abordable.

Bien que les propriétaires soient toujours à l’agenda politique – le budget prévoit un remboursement de la TPS pour les premiers acheteurs d’une maison – ils partagent désormais la tarte avec les locataires. La crise de l’itinérance, l’explosion du nombre de rénovictions et la hausse fulgurante des loyers ont mis de l’avant les besoins de 60 000 itinérants et de 5 millions de ménages locataires.

En orientant les politiques sur l’accès au logement plutôt que sur l’accès à la propriété, le gouvernement Carney adopte l’approche axée sur les droits de la personne de la Stratégie nationale sur le logement dans l’objectif également d’augmenter la productivité économique nationale

Réduire la dépendance au capital immobilier 

Ce premier budget du gouvernement Carney pourra-t-il renverser la dépendance du Canada au capital immobilier ? 

Depuis quelques années, l’ économie canadienne souffre d’un déséquilibre structurel profond : une surallocation des capitaux privés vers l’immobilier résidentiel aux dépens des investissements plus productifs (machinerie, R&D, formation de la main d’œuvre, innovations technologiques, etc).

Le modèle d’accessibilité à la propriété a fonctionné jusqu’à tout récemment en raison des bas taux d’intérêt et des prix abordables des maisons. Ce modèle ne tient plus dans le contexte actuel. Cette dynamique, amplifiée par des décennies de politiques publiques favorisant l’accession à la propriété, aurait créé une trappe économique dont les conséquences se font sentir tant sur la productivité nationale que sur l’accessibilité au logement.

La part des investissements totaux consacrée au secteur résidentiel — calculée par la concentration de formation brute de capital fixe — est plus importante au Canada que dans tout autre pays de l’OCDE. Cette préférence pour l’immobilier résidentiel comme actif financier se fait nécessairement au détriment d’investissements qui génèrent les gains de productivité essentiels à la croissance économique, notamment ceux dans les infrastructures de transport, la recherche et développement et la machinerie industrielle.

L’immobilier : un actif privilégié

Cet investissement massif en capital peu productif peut s’expliquer par plusieurs interventions fédérales. Bien qu’indépendante, la politique monétaire canadienne a favorisé les emprunts hypothécaires en assurant depuis 23 ans un taux directeur national sous les 5% (2001 à 2023), dont 10 ans sous les 2% (2008 à 2022).

Ensuite, plusieurs mesures  fédérales — dont le CELIAPP, le RAP, les remboursements de la TPS/TVH pour habitations neuves, le montant pour l’achat d’une habitation, et, indirectement, les politiques d’immigration — ont stimulé la demande pour l’immobilier résidentiel.

Ces mesures ont créé un contexte où l’immobilier résidentiel est devenu une classe d’actif plus intéressante que ceux propices à générer des profits et de la productivité. Le logement a cessé d’être un bien de consommation durable pour devenir un véhiculé d’investissement privilégié en raison des incitatifs fiscaux et des taux d’intérêt historiquement bas.

Un cercle vicieux complet

Cette financiarisation du logement a entraîné des conséquences profondes. La hausse des prix a certes enrichi les propriétaires, mais elle a aussi augmenté la précarité des locataires et des jeunes.

Plus préoccupant encore, ce phénomène détourne massivement des capitaux qui auraient pu alimenter l’innovation ou la production industrielle — des secteurs qui auraient contribué aux gains de productivité dont l’économie canadienne a désespérément besoin.

Le cercle vicieux est complet : la faible productivité limite la croissance des revenus, rendant l’accès au logement encore plus difficile, poussant les gouvernements à multiplier les incitatifs à l’achat, ce qui pousse davantage les prix à la hausse et détourne toujours plus de capitaux des investissements productifs.

Une réorientation nécessaire 

Pour sortir de cette impasse, il faut réorienter fondamentalement l’approche du logement. Le premier budget Carney semble, à première vue, viser cet objectif en sortant la production résidentielle de l’impératif financier et en misant sur le logement hors marché et coopératif pour orienter les politiques vers la production de logements abordables plutôt que de stimuler le marché immobilier.

Une telle transformation ne vise pas à plomber les prix — ce qui créerait une crise financière majeure — mais plutôt à les stabiliser en augmentant massivement l’offre de logements accessibles hors du marché spéculatif.

Sortir le logement du marché

Le Canada a un des parcs résidentiels les plus exposés au marché de tous les pays de l’OCDE. Alors que le logement hors marché (logements sociaux, coopératives d’habitation sans but lucratif, logements dont le loyer est contrôlé par un organisme à but non lucratif ou un office municipal d’habitation) représente en moyenne 7,1% du parc de logements des pays de l’OCDE, 14% du parc de logements en France et 16,4% au Royaume-Uni, ce type de logement est limité à 3,5% de l’inventaire canadien.

Le Budget 2025 contient plusieurs mesures visant la croissance de cette part du marché immobilier. L’initiative Maisons Canada en est l’exemple le plus probant. Le mandat de cette agence fédérale sera de fournir des logements abordables à de nouvelles coopératives et à des locateurs à but non lucratif. Elle promet de construire 4000 logements sur six terrains fédéraux (Dartmouth, Longueuil, Ottawa, Toronto, Winnipeg et Edmonton) et permettra de construire 45 000 logements hors marché sur dix-neuf autres sites de la Société immobilière du Canada.

En partenariat avec la Société d’habitation du Nunavut, elle construira 700 logements supplémentaires et investira un milliard de dollars dans des logements de transition pour contrer l’itinérance. 

Ensuite, le Programme de développement de coopératives d’habitation, créé en 2022 avec un investissement initial d’un milliard et demi de dollars, a accordé 423 millions de dollars pour la construction de huit nouvelles coopératives d’habitation de 837 logements. Pour le montage financier, le budget propose de faciliter l’accès à des garanties et à de l’assurance prêt hypothécaire pour l’achat ou la construction de logements locatifs collectifs. La SCHL pourra ainsi permettre au secteur hors marché d’accéder au financement à moindre risque. 

Stratégie fédérale pour accélérer la construction immobilière

Afin de rendre l’immobilier moins intéressant comme véhicule financier sur le long terme, le budget propose d’augmenter l’offre de nouvelles maisons rapidement et durablement. Dans sa nouvelle politique sur le logement, le gouvernement fédéral tente également d’inclure le privé dans sa solution en agissant sur les trois facteurs de la production.

Sur le plan foncier, Maisons Canada et la Société immobilière du Canada utiliseront des terrains fédéraux. Pour le capital, Maisons Canada misera entre autres sur les logements préfabriqués et l’innovation dans les méthodes et les matériaux, tirant profit d’économies d’échelle et de valeur ajoutée.

Pour la main-d’œuvre, le budget bonifie le Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical de 75 millions sur trois ans pour former les travailleurs nécessaires à la construction de ces logements, s’attaquant ainsi à la pénurie de main-d’œuvre. Ces mesures permettront en principe d’augmenter l’offre de logements hors marché à relativement bas coût pour le trésor public. De plus, les coupes budgétaires annoncées du Gouvernement du Canada excluent explicitement les programmes visant la construction de logements. 

Les obstacles à la réforme 

Pour mener à terme ce changement de paradigme, il faudra une politique de long terme maintenue avec constance sur une génération. Les transformations proposées se heurteront à des vents contraires importants, car elles menacent les intérêts d’acteurs économiques et politiques majeurs : 

  • Les propriétaires, qui comptent sur la valeur de leur résidence pour financer leur retraite dans un contexte où les régimes de retraite se raréfient, pourraient voir leurs épargnes diminuer si les prix baissent.  
  • Les promoteurs immobiliers risquent de voir leurs marges s’éroder si la réduction des prix rend leurs montages financiers non viables.  
  • Les institutions financières perdront des clients hypothécaires au profit du logement social et locatif.  

Ces groupes, qui ont tous misé sur la pérennité du statu quo immobilier, représentent un poids électoral considérable et constitueront une opposition structurelle à une réforme ambitieuse. De plus, les provinces et les municipalités pourraient résister aux interventions fédérales en matière de zonage et de permis, domaines relevant de leurs compétences.

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Pour compléter sa réforme, le gouvernement Carney devra faire preuve d’habileté politique pour gérer ces résistances potentielles. Plus important encore, il devra démontrer que la dépendance au capital immobilier ne se limite pas à une crise d’accessibilité au logement : elle étouffe les investissements productifs et freine la prospérité économique du pays.

Pour relancer la croissance, il faudra desserrer l’étau du développement immobilier hors marché, notamment en matière de financement et de zonage. Se libérer de la dépendance au capital immobilier et investir dans le développement hors marché permettra de redéployer le potentiel économique du pays.

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Eric Champagne

Eric Champagne est professeur titulaire en administration publique à l’École d’études politiques de l'Université d'Ottawa, où il dirige également le Centre d'études en gouvernance. Twitter @erchampagne

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Gabriel Imbeau

Gabriel Imbeau est doctorant en administration publique à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa et chercheur étudiant affilié au Centre d'études en gouvernance. Il s'intéresse aux politiques de logement et d'aménagement du territoire.

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Mathieu Fleury

Mathieu Fleury est chercheur affilié au Centre d'études en gouvernance de l'Université d'Ottawa et collaborateur à la Fondation Alex Trebek pour le développement de politiques innovantes en matière de logement abordable.

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