La crise climatique fait des ravages sur notre planète. Il y a plus de trente ans, des milliers de scientifiques du monde entier ont lancé un avertissement : l’humanité et le monde naturel étaient sur une trajectoire de collision. Cet avertissement est devenu notre réalité quotidienne.

L’humanité n’est pas seulement en collision avec la nature ; nous précipitons son effondrement par un modèle de mondialisation économique et juridique qui traite la Terre comme si ses ressources étaient inépuisables.

Chaque année, nous rejetons davantage de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, les températures atteignent des niveaux sans précédent et les forêts brûlent aux quatre coins du globe. Entre 19 et 23 millions de tonnes de plastique se déversent chaque année dans nos océans, de même que 300 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, de solvants et de boues toxiques. Un million d’espèces sont actuellement menacées d’extinction. Plusieurs points de rupture écologiques pourraient bientôt être franchis, avec des conséquences profondes et irréversibles.

Malgré l’ampleur de la crise, les efforts de la communauté internationale restent insuffisants. L’un des problèmes majeurs réside dans le fait que les négociations prennent du temps. En 2016, par exemple, l’Accord de Paris est finalement entré en vigueur, fixant un objectif mondial visant à maintenir la hausse des températures en dessous de deux degrés.

Cet instrument n’a toutefois vu le jour qu’après des années de négociations houleuses. Plus récemment, le Traité sur la haute mer a été adopté afin de protéger la biodiversité en haute mer, mais seulement après plusieurs années de tractations. Si le passé est garant de l’avenir, tout nouveau traité dont nous avons besoin pour régler les questions environnementales en suspens prendra également des années à négocier.

Un point de non-retour

Nous n’avons tout simplement pas ce temps. L’humanité a atteint un point de non-retour et ne peut plus se permettre des négociations aussi longues. La décennie actuelle sera décisive, mais nous ne disposons pas des outils nécessaires pour répondre rapidement aux défis existentiels auxquels nous sommes confrontés.

Les doctrines juridiques et économiques dominantes d’aujourd’hui, forgées pendant l’Holocène pour stimuler le développement industriel et le commerce mondial, n’ont pas été conçues pour les dynamiques complexes de l’Anthropocène. Elles ont été élaborées dans un souci de stabilité et de croissance à une époque où l’abondance semblait assurée, et à ce titre, elles ne sont souvent pas suffisamment réactives pour tenir compte des seuils écologiques, des boucles de rétroaction et des limites planétaires.

De nouvelles conditions exigent de nouvelles solutions. Il est temps de repenser la manière dont nous réglons les conflits environnementaux et négocions des ententes plus efficacement. Pour ce faire, nous avons besoin de nouveaux mécanismes qui favoriseront véritablement la collaboration et la coopération à l’échelle mondiale. C’est là que la médiation environnementale entre en jeu.

La médiation : un outil sous-utilisé

La médiation est un instrument incontournable de nombreux systèmes judiciaires à travers le monde. Il s’agit essentiellement de négociations entre les parties afin de résoudre un litige ou de parvenir à un accord, mais avec l’aide d’un tiers neutre, impartial et indépendant. Les médiateurs qui jouent ce rôle sont formés pour identifier les intérêts qui sous-tendent les positions des parties et pour détricoter leurs désaccords d’une manière souvent plus efficace que la négociation directe.

Les compétences — et parfois même l’art — de ces médiateurs ont le potentiel de remodeler la négociation des conflits et des traités environnementaux. Cette idée n’est pas entièrement nouvelle. La médiation est déjà utilisée pour résoudre des conflits environnementaux dans divers contextes nationaux. Dans un guide publié en 2015, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a illustré comment la médiation a contribué à résoudre des conflits environnementaux complexes sur différents continents.

Au Canada, la médiation a permis de résoudre un conflit entre l’industrie forestière, les groupes environnementaux et les Premières Nations au sujet de l’exploitation de la forêt pluviale du Grand Ours, en Colombie-Britannique. Grâce au dialogue, les parties ont conclu un accord inédit qui protège 85 % de la forêt, tout en encadrant une exploitation durable.

Grizzli sur une plage de la Great Bear Rainforest
Dans le cas de la forêt pluviale du Grand Ours, la médiation a permis de désamorcer un conflit ouvert en un accord historique. Istock.com

Pourtant, malgré ses succès, le pouvoir de la médiation reste largement inexploité sur la scène internationale. Bien que cette dernière diffère du contexte national, tant sur le plan politique qu’au niveau des instruments juridiques applicables, la médiation recèle le même potentiel. Comme l’a fait remarquer le PNUE il y a plus de dix ans, « la médiation a été sous-utilisée par le système créé à l’échelle internationale pour tenter de résoudre les conflits portant sur des ressources naturelles […] le système international accuse toujours un certain retard lorsqu’il s’agit de définir ou d’utiliser les occasions de recourir de manière proactive à la médiation en tant qu’outil ».

Il est temps de combler cette lacune et de faire appel à des médiateurs experts dans les négociations environnementales afin de faciliter un processus qui est devenu trop fastidieux pour traiter les questions complexes et dynamiques auxquelles nous sommes confrontés.

Accélérer le processus par la médiation

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Imaginons que deux pays voisins cherchent à réduire au minimum la pollution de l’air et de l’eau qui traversent leurs frontières. Dans un cadre plus traditionnel, leurs représentants s’engageraient dans des négociations directes qui pourraient rapidement s’éterniser si chaque partie reste campée sur ses positions respectives.

L’expérience passée montre que le recours à un médiateur peut accélérer le processus à travers quatre étapes distinctes. Tout d’abord, dans une phase préliminaire, les parties concluent un protocole de médiation dans lequel elles choisissent leur médiateur, le lieu et les modalités du processus, désignent leurs représentants et conviennent du mandat du médiateur.

Une fois ce protocole mis en place, la deuxième phase, préparatoire, consiste pour les parties et le médiateur à jeter conjointement les bases de la médiation en déterminant sa portée, le plan de travail et la logistique. À ce stade, le médiateur peut également procéder à une évaluation préliminaire des options disponibles.

Dans la plupart des cas, le médiateur rencontrera individuellement chaque partie afin de comprendre ses positions et, souvent, d’identifier les motivations et intérêts sous-jacents qui peuvent se cacher derrière celles-ci. Ces rencontres peuvent être l’occasion de tester des solutions potentielles qui seront développées plus avant au cours de la médiation.

La troisième phase est la médiation proprement dite. Dans les affaires environnementales, on fait souvent appel à des scientifiques et à des experts pour présenter des rapports techniques qui éclairent les points de désaccord, permettant ainsi à toutes les parties de travailler à partir d’un ensemble d’informations communes.

La négociation proprement dite peut alors se dérouler, sous la supervision experte du médiateur, afin de résoudre chaque point litigieux et de parvenir à un accord entre les parties. Même si aucun accord n’est conclu, la médiation permet souvent aux parties de circonscrire leur désaccord et de le réduire à un ensemble limité de points clés. Enfin, la quatrième étape consiste à mettre en œuvre l’accord conclu entre les parties.

Créer une unité spéciale

Comment ce système peut-il prendre forme ? Partout dans le monde, des médiateurs experts sont disponibles et prêts à mettre leurs compétences uniques au service de la lutte contre la crise climatique. Nous proposons la création d’une nouvelle « Unité internationale de médiation climatique » qui pourrait être rattachée au PNUE ou au Secrétariat des Nations unies, et qui réunirait ces experts au sein d’une seule et même équipe.

Cette unité spécialisée comprendrait des médiateurs de terrain prêts à résoudre les conflits générés par la crise climatique et ses conséquences, notamment les déplacements de populations de plus en plus fréquents dus aux catastrophes naturelles. Elle comprendrait également des médiateurs en matière de gouvernance prêts à aider les pays à conclure des accords sur le climat. Elle comprendrait enfin des médiateurs fiscaux œuvrant à la mise en place d’un système fiscal international permettant de générer les moyens financiers nécessaires pour prévenir et compenser les dommages environnementaux.

Cette proposition est une solution urgente qui n’est pas que procédurale, mais appelle plutôt à repenser la manière dont nous résolvons les conflits dans un monde qui brûle. Cet appel en faveur d’une nouvelle architecture de médiation environnementale s’oppose à la paralysie institutionnelle qui a longtemps bloqué toute action face à ce qui est aujourd’hui largement considéré comme une menace existentielle pour l’humanité et toute forme de vie.

La seule pièce manquante est la volonté politique de mettre en place et d’appliquer ce système. Le Canada peut jouer un rôle clé à cet égard. Nous sommes fiers de notre position sur la scène internationale et, en particulier, du rôle que nous avons joué dans la promotion de la paix et des accords. Notre gouvernement peut agir dès maintenant et mener le développement de cette nouvelle solution pour lutter contre la crise climatique. Ce n’est qu’alors que nous pourrons commencer à tisser un avenir commun, ce que les Anishinaabe appellent mamidosewin : marcher ensemble vers une destination commune.

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Louise Otis

L’hon. Louise Otis est médiatrice et arbitre. Elle est présidente des tribunaux administratifs de l’OCDE et de l’OTAN, membre du comité d’examen administratif indépendant de la BEI et juge au tribunal administratif d’EUMETSAT. Ancienne juge à la Cour d’appel du Québec, Louise Otis a conçu un programme de médiation judiciaire reconnu mondialement.

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David Takayoshi Suzuki

David Takayoshi Suzuki est généticien, animateur et l’un des militants écologiste les plus réputés au Canada. Il est surtout connu pour avoir animé (de 1979 à 2023) l’émission scientifique The Nature of Things, diffusée sur CBC.

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