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Cinq ans après sa légalisation, le paysage de l’équité en matière de cannabis au Canada reste inchangé. Les personnes socialement marginalisées continuent d’être exclues de l’industrie du cannabis et les gouvernements n’ont pas fait grand-chose pour réparer les préjudices causés par la prohibition.

Les Noirs et les Autochtones, surreprésentés dans les arrestations pour possession de drogue au Canada, sont absents des postes de direction dans l’industrie. Cette exclusion des communautés historiquement surcriminalisées, de même que l’absence de mesures pour compenser les dommages passés, aggrave l’injustice et rate la cible pour l’atteinte de l’équité dans notre approche de la légalisation.

L’examen prévu par la Loi sur le cannabis oblige le ministre fédéral de la Santé à entreprendre une révision de la légalisation de la consommation par les adultes trois ans après son entrée en vigueur en 2018. C’est l’occasion de corriger les iniquités de la politique canadienne et de prendre une nouvelle direction.

Depuis le lancement de la révision il y a un an, retardé par la pandémie, Ottawa a fait plusieurs déclarations indiquant qu’il élargissait son attention au manque de participation des peuples autochtones et des minorités visibles dans l’industrie. En s’inspirant des mesures prises par certains États américains, le Canada pourrait adopter des programmes d’équité pour cibler les communautés marginalisées et leur offrir des voies d’accès à l’industrie tout en leur fournissant un soutien commercial et technique supplémentaire.

Les politiques en matière de drogues ont été utilisées comme moyen de maintien de l’ordre et de contrôle des minorités visibles, ce qui a entraîné leur surreprésentation dans le système de justice criminelle. Le nouveau livre d’Akwasi Owusu-Bempah et de Tahira Rehmatullah, Waiting To Inhale, décrit comment les efforts de légalisation au Canada ont pris du retard par rapport à de nombreux endroits aux États-Unis pour la réparation des dommages causés par l’interdiction des drogues.

Les recherches indiquent que les personnes ayant le plus d’intérêts financiers et d’influence dans l’industrie légale du cannabis au Canada sont en grande majorité des hommes blancs. La sous-représentation des Noirs, des Autochtones et aussi des femmes dans les postes de direction et sur les conseils d’administration de l’industrie perpétue les inégalités de race et de genre.

L’accent mis sur la diversité dans l’industrie juridique a été reflété dans le document de mobilisation du gouvernement du Canada en vue de l’examen législatif. Alors que le groupe d’experts prépare ses recommandations pour le ministre de la Santé et la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, l’incorporation de mesures visant à faire progresser la justice raciale et l’équité sociale est essentielle.

Le Centre on Drug Policy Evaluation (centre d’évaluation des politiques en matière de drogues, ou CPDE) a créé un guide pour le gouvernement fédéral dans un tout nouveau rapport. L’une des principales recommandations est d’élargir l’objet de la loi sur le cannabis afin de « promouvoir la responsabilité et l’équité sociales en ce qui concerne le cannabis ».

L’élargissement de l’objet de la loi pourrait favoriser l’inclusion et la diversité et contribuer à réparer les dommages causés par la prohibition, tels que les incarcérations inutiles et le gaspillage des ressources du système de justice criminelle. Le rapport propose également des façons de faciliter l’emploi et l’inclusion économique des personnes appartenant à des minorités lésées par la prohibition.

Toutefois, compte tenu de l’état actuel du secteur, qui est confronté à des défis liés à des politiques gouvernementales restrictives telles que des taxes excessives, des chaînes d’approvisionnement monopolisées et de longs processus d’intégration des produits, il pourrait être plus pratique d’explorer de nouvelles possibilités comportant moins de barrières à l’entrée.

Cela pourrait consister à établir des modèles à but non lucratif pour les producteurs et les détaillants, tels que ceux basés sur la vente aux membres, comme les clubs compassion du cannabis dans des pays comme la Belgique, l’Espagne et l’Uruguay, ou encore des modèles de commercialisation coopératifs, déjà présents au Canada dans d’autres secteurs d’activité.

Si les conditions du marché évoluent, la mise en œuvre de programmes d’équité sociale visant à diversifier l’industrie légale du cannabis au sens large pourrait devenir plus réalisable, notamment en offrant des voies d’accès ciblées à l’industrie légale du cannabis, ainsi qu’un soutien financier, commercial ou technique connexe aux membres des groupes sous-représentés.

D’autres aspects de l’équité en matière de cannabis couverts par le CDPE incluent l’amnistie pour les personnes ayant déjà été condamnées pour une infraction liée au cannabis, ainsi que le réinvestissement des taxes sur le cannabis.

L’an dernier, le gouvernement libéral a adopté un vaste projet de loi d’amnistie, ce qui constitue une avancée significative. Mais les limites de cette approche – comme l’exclusion des personnes accusées de délits autres que la possession simple de cannabis – doivent être abordées afin de réduire davantage la stigmatisation et les autres préjudices liés aux casiers judiciaires résultant de condamnations antérieures liées au cannabis.

Les recettes fiscales générées par les ventes pourraient être investies dans les communautés les plus touchées par la prohibition, ce qui renverserait la tendance consistant à dépenser de l’argent pour la surveillance policière plutôt que pour le soutien aux communautés.

Le groupe d’experts vient de publier son rapport intitulé Examen législatif de la Loi sur le cannabis : Rapport sur ce que nous avons entendu, qui résume les points de vue exprimés lors des consultations menées entre décembre 2022 et juin 2023. Conformément aux recommandations formulées dans le nouveau rapport du CDPE, les parties prenantes ont souligné que les objectifs de la Loi sur le cannabis devraient être élargis pour inclure l’équité sociale et la diversité. Les parties prenantes ont également demandé des programmes d’équité sociale pour faciliter une plus grande diversité de l’industrie, un processus d’amnistie plus accessible, ainsi que l’affectation de revenus à des initiatives d’équité sociale.

La révision de la Loi sur le cannabis offre l’occasion de mettre en place une politique qui favorise la justice raciale et sociale. Bien que la nécessité d’actions tangibles pour créer des politiques du cannabis plus équitables a été plaidée devant le groupe d’experts, il reste à voir si ces actions seront prises en compte dans leurs recommandations à venir. Le rapport du CDPE permettra au gouvernement fédéral d’aborder les questions d’équité et de réparer les préjudices liés à la prohibition.

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Nazlee Maghsoudi
Nazlee Maghsoudi est responsable de l’Unité d’impact des politiques au Centre d’évaluation de la politique des drogues, présidente du Comité des ONG sur les drogues de New York et candidate au doctorat à l’Université de Toronto. X : @naz_mag
Akwasi Owusu-Bempah
Akwasi Owusu-Bempah est professeur agrégé au Département de sociologie de l’Université de Toronto et président du conseil d’administration du Massey College. Il est coauteur de Waiting to Inhale: Cannabis Legalization and the Fight for Racial Justice.
Tahira Rehmatullah
Tahira Rehmatullah est associée chez Highlands Venture Partners et membre du conseil d’administration du Last Prisoner Project. Elle est coauteure de Waiting to Inhale : Cannabis Legalization and the Fight for Racial Justice.

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