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Cet été, des campements de manifestants se sont établis près de plusieurs facultés sur des campus universitaires au Canada. Malgré tout, les cérémonies prévues ont eu lieu, discrètement et avec appréhension, devant un personnel, une communauté étudiante et des équipes de sécurité sous haute tension en raison de la situation au Moyen-Orient.
L’antisémitisme et l’islamophobie ont gagné du terrain au pays, et le dialogue constructif se retrouve souvent étouffé par le tumulte ambiant.
Le débat est de plus en plus instrumentalisé, voire réduit au silence. Les chambres d’écho accentuent les divisions, et les tentatives pour nourrir la conversation connaissent peu de succès.
Les universités sont censées être des biens communs : des lieux où la différence devient une source de découverte. Le climat actuel montre toutefois que cela ne va pas de soi ; il faut des mécanismes pour nourrir la compréhension mutuelle.
Beaucoup de choses se mesurent déjà : la productivité de la recherche, les taux de diplomation et les nouveaux brevets.
Mais aujourd’hui, aucun outil n’évalue réellement la capacité à partager, à écouter et à résoudre des problèmes ensemble, surtout lorsqu’il y a désaccord. Il est clair que personne n’est explicitement chargé de maintenir, soutenir et de renouveler cette capacité collective à accueillir la différence pour renforcer la compréhension et la résilience.
Pourquoi le pluralisme ?
La source du problème est simple.
La confiance s’effrite. Le dialogue s’envenime rapidement. Dans un monde de plus en plus complexe, nous payons le prix d’années de négligence des structures et des processus qui devraient nous aider à gérer nos différends de manière constructive plutôt que de les laisser nous diviser.
Le pluralisme n’est pas un « luxe ».
Pour progresser sur les plans scientifique et social, nous avons besoin d’idées qui émergent à l’intersection de disciplines universitaires, de régions, d’identités, de secteurs, d’industries et de visions du monde différentes.
Pluralisme et diversité ne sont pas interchangeables.
Ce n’est pas un slogan ni un synonyme d’EDI. Le pluralisme est une compétence civique. Sa force tient à ce qu’il permette de vivre et de créer ensemble, de nous voir tels que nous sommes, sans exiger l’uniformité.
Le pluralisme apparaît lorsque le désaccord n’est pas perçu comme un manque de respect ; lorsque l’objection nourrir la discussion plutôt que de la briser ; lorsque l’appartenance ne dépend pas d’une adhésion idéologique, mais d’un engagement envers la participation de chacun, quelles que soient ses origines ou ses croyances, dans les espaces que nous partageons.
Mesurer le pluralisme
Un outil de mesure du pluralisme pour les universités évalue et renforce la qualité des relations à travers les différences, qu’elles soient disciplinaires, sectorielles ou communautaires. Il s’inspire du moniteur du Centre mondial du pluralisme, qui examine le pluralisme à l’échelle d’un pays.
Il s’appuie sur des sondages, des entrevues, des groupes de discussion et des analyses documentaires.
Ce n’est pas un système de classement. Il ne vise pas à imposer la conformité.
C’est un outil multidimensionnel, adapté aux réalités locales, qui comprend un rapport accompagné d’un plan d’action élaboré conjointement pour donner un sens aux constats et les traduire en mesures partagées. L’université et les communautés locales en sont les copropriétaires.
L’objectif est de mettre en lumière la gestion des relations — et d’y associer un dialogue orienté vers l’action pour renforcer la compréhension, même en présence de désaccords.
L’outil est d’autant plus efficace lorsque les leaders du campus partagent leurs expériences, leurs apprentissages et leurs réussites avec d’autres établissements, ici comme ailleurs.
Ils y parviennent en mettant au jour les tendances, les angles morts et des leçons tirées tant des bonnes que des mauvaises pratiques, afin de guider l’apprentissage et l’innovation dans d’autres contextes.
Le pluralisme dans l’enseignement supérieur
Le moniteur ne cherche pas la perfection. Il encourage la réflexion et l’action, puis évalue cinq dimensions essentielles de la vie universitaire :
1. Engagements
Que représentent les institutions ? Leurs politiques, missions et plans stratégiques reflètent-ils un engagement réel envers le pluralisme, l’empathie et la responsabilité relationnelle ?
2. Pratiques
Joignent-elles le geste à la parole ? Ont-elles des mécanismes pour résoudre les conflits, mettre au jour les désaccords et rétablir la confiance ? La communauté étudiante, le corps professoral et les membres du personnel peuvent-ils s’exprimer sans craindre des représailles ou l’exclusion ?
3. Leadership
Comment les responsables de l’institution (dirigeants, doyens, gouvernance, journaux étudiants, diplômés, membres du personnel, communications, syndicats, conseils de faculté) soutiennent-ils les biens communs universitaires ?
4. Accès et résultats
Qui influence réellement l’institution ? Qui prend la parole ? Qui détient le pouvoir ? Les décideurs tiennent-ils compte des effets de leurs choix sur les relations au sein des groupes ? S’appuient-ils sur des données provenant de disciplines, secteurs et communautés variés ?
5. Relations et sentiment d’appartenance
Les gens se font-ils confiance, même s’ils se connaissent peu ? Les conversations difficiles se déroulent-elles de manière constructive ? Peut-on être en désaccord sans craindre l’exclusion ? Les silos persistent-ils ? Les tensions émergentes peuvent-elles être désamorcées avant de dégénérer ?
De la mesure à l’action
Les données ne racontent que la moitié de l’histoire. Le reste dépend des actions qui en découlent ?
Les indicateurs se traduisent en mesures concrètes :
- Dialogues de compréhension : L’évaluation du pluralisme peut paraître abstraite. C’est pourquoi des dialogues facilités sont essentiels ; ils permettent aux communautés d’interpréter ensemble les résultats, de structurer les données et de leur donner vie.
- Atelier de cocréation : L’étape suivante consiste à former un groupe de travail ciblé, chargé d’examiner des enjeux prioritaires. On peut mobiliser des outils de réflexion et de prévisions pour élaborer des politiques et des processus qui renforcent la compréhension mutuelle et génèrent des solutions créatives et durables.
Ces efforts doivent demeurer collaboratifs et non punitifs. L’objectif n’est pas de montrer du doigt, mais d’observer, de comprendre et de soutenir.
Maintenant plus que jamais
Le pluralisme améliore notre capacité collective à affronter de grands défis complexes, dans différents secteurs et selon différentes identités, disciplines et idéologies. Il pousse les systèmes à former une nouvelle génération de talents capables de résoudre les problèmes de demain.
Les universités ne produisent pas seulement des connaissances. Elles peuvent montrer qu’il est possible de bâtir la confiance sans demander à quiconque de renier une partie de soi.
Un moniteur de pluralisme ne réglera pas tous les conflits ; aucun outil ne le peut.
Mais il peut contribuer à une culture plus constructive et plus ouverte, où des perspectives profondément opposées servent de carburant l’innovation, la collaboration et la créativité plutôt que pour la rancœur.
Cet article fait partie de la série Réinventer la gouvernance dans un monde complexe. Retrouvez la série complète et poursuivez la lecture ici.


