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Le « prétendianisme », c’est à dire le fait de se réclamer faussement d’un héritage autochtone, constitue un défi majeur pour l’indigénisation des universités canadiennes.
Les universités ont plusieurs options pour faire face à ce problème. Elles peuvent maintenir les processus de vérification de l’appartenance autochtone en interne, ou partager l’autorité avec les communautés autochtones et leurs dirigeants grâce à la co-gouvernance. Ce choix se pose également pour d’autres processus universitaires ayant un impact sur les communautés autochtones, de l’éthique de la recherche à la gouvernance des données, pour n’en citer que quelques exemples.
Les approches internes, comme la vérification de l’appartenance, signifient que l’autorité reste exclusivement entre les mains de l’institution. Les universités et autres organisations peuvent être incitées à garder au moins une partie de ces processus en interne afin de réduire les risques, d’optimiser l’efficacité et de s’assurer que la procédure répond à leurs propres besoins et objectifs.
La co-gouvernance, parfois appelée gouvernance collaborative, constitue une approche plus efficace. Elle repose sur un partenariat structuré entre deux instances décisionnelles qui partagent les responsabilités et collaborent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques.
La co-gouvernance est développée en collaboration avec les communautés autochtones et repose souvent sur des documents ou des procédures définis par leurs instances de gouvernance. Dans le cas de la vérification de l’appartenance, le modèle de co-gouvernance pose la question : « Comment votre nation identifie-t-elle ses propres membres, et comment pouvons-nous respecter ce processus ? » Le modèle interne, quant à lui, répond à cette question au nom de la nation.
Pourquoi la co-gouvernance est-elle la meilleure politique ?
Un avantage majeur de l’approche de co-gouvernance est qu’elle allège le fardeau administratif pesant sur le corps professoral et le personnel des universités. Lorsque les universités conservent le contrôle total, ce processus repose finalement sur l’implication du personnel et des professeurs autochtones, ce qui accentue le « fardeau culturel/minoritaire » vécu par ceux qui assument déjà des responsabilités institutionnelles disproportionnées liées à l’indigénisation ou aux initiatives en matière de diversité et d’équité.
Cette approche exige que le personnel et les professeurs autochtones soient davantage impliqués dans le développement des espaces et des programmes d’enseignement, qu’ils siègent aux comités et qu’ils agissent, de manière générale, comme le relais autochtone de l’institution. En adoptant une approche collaborative, les universités peuvent réduire ces pressions en s’appuyant sur les instances de gouvernance autochtones, permettant ainsi aux professeurs autochtones de se concentrer davantage sur leurs rôles en recherche et en enseignement.
Qu’il s’agisse de la vérification de l’appartenance, des processus éthiques ou de la collecte et de la gestion des données, une limite critique des processus internes est qu’aucun comité ni les individus qui le composent ne peuvent pleinement saisir l’étendue et la profondeur des connaissances autochtones nécessaires pour prendre des décisions éclairées dans la diversité des communautés autochtones.
Les individus – autochtones ou non – opèrent inévitablement à partir d’un ensemble spécifique et limité d’expériences personnelles et professionnelles. Ces contraintes informationnelles engendrent de réels risques.
Honorer l’autodétermination autochtone en suivant des chemins parallèles
Société civile et communautés autochtones : un rôle dans les décisions d’éducation supérieure
Par exemple, un comité de vérification pourrait se baser sur des marqueurs identitaires performatifs et finalement limités, ou exclure involontairement une personne qualifiée d’une communauté éloignée dont les expressions culturelles ou les marqueurs ne correspondent pas aux cadres de référence familiers du comité.
Pour tenter de combler ces lacunes informationnelles, les comités internes pourraient se contenter de recueillir des informations auprès des communautés autochtones. Ainsi, les universités pourraient adopter les définitions de l’appartenance d’une communauté autochtone ou s’appuyer sur ses protocoles éthiques ou de gouvernance des données, sans pour autant partager le pouvoir décisionnel avec elle.
Bien que ces normes puissent initialement correspondre à celles de la communauté autochtone, des changements peuvent survenir avec le temps. Sans accès direct à des connaissances communautaires à jour, les comités internes doivent continuellement trouver d’autres moyens de mettre à jour leurs processus. Cette dépendance à l’information externe mine le bien-fondé d’un processus purement interne.
En impliquant directement les communautés autochtones dans les processus de vérification, d’éthique et de gestion des données, les universités peuvent obtenir des résultats plus précis tout en réduisant la charge administrative.
Si les avantages de la co-gouvernance sont nombreux et évidents, sa véritable valeur réside dans sa légitimité. Elle reconnaît que les communautés autochtones sont des partenaires décisionnels essentiels pour les processus qui les concernent directement et sur lesquels elles ont une juridiction légitime.
En ce qui concerne la vérification de l’appartenance, la prise de décision partagée est soutenue par diverses déclarations constitutionnelles et internationales. L’article 23 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) stipule que les communautés autochtones ont le droit de définir leur appartenance selon leurs traditions et leurs lois.
De plus, la Déclaration de politique des trois conseils (chapitre 9) reconnaît que les communautés autochtones sont les autorités éthiques pour la recherche qui les concerne, tandis que les normes de gouvernance des données telles que OCAP et les principes CARE affirment la juridiction autochtone sur la manière dont les informations concernant leurs peuples sont collectées, stockées et utilisées.
Qu’il s’agisse de conventions internationales ou de politiques fédérales régissant déjà les processus universitaires, il existe de nombreuses sources permettant de comprendre et de légitimer la co-gouvernance.
La liberté académique est compatible avec l’autodétermination
Ce modèle n’est toutefois pas exempt de critiques. Certains craignent que la co-gouvernance avec les communautés autochtones ne menace la liberté académique ou l’indépendance des processus universitaires. Ces préoccupations sont légitimes ; la recherche doit toujours rester impartiale. Mais il existe également un danger à supposer que respecter l’autorité des communautés autochtones serait, par nature, incompatible avec les principes académiques que nous chérissons tant.
Ces critiques reposent souvent sur des hypothèses implicites, notamment l’idée que les gouvernements autochtones seraient intrinsèquement fragiles sur le plan politique, résistants à la critique et incapables d’être des partenaires respectant les responsabilités et principes académiques.
Une logique similaire se retrouve dans les débats sur la vérification de l’appartenance, où le recours à des outils tels que les listes de bandes peut être critiqué comme perpétuant une bureaucratie coloniale. Bien que ce point puisse être partiellement vrai, cette interprétation occulte le droit à l’autonomie gouvernementale, y compris la responsabilité des peuples autochtones d’adapter et de renforcer leurs propres systèmes de gouvernance de manière à refléter leur identité.
Si ces préoccupations concernant l’efficacité ou l’autonomie sont légitimes, elles ne devraient pas empêcher le partage de l’autorité. En pratique, elles peuvent être clairement encadrées et protégées par des ententes bien conçues, qui garantissent que les cadres de co-gouvernance respectent les droits et la souveraineté des Autochtones tout en préservant l’indépendance académique.
Un exemple concret : la vérification de l’appartenance
L’Université de la Saskatchewan fournit un exemple concret de co-gouvernance efficace. En élaborant l’une des premières politiques du pays sur la vérification de l’appartenance et de la citoyenneté autochtones, l’université a activement collaboré avec les communautés autochtones pour déterminer les méthodes les plus appropriées pour vérifier leurs membres.
Cette collaboration a été formalisée par la signature d’ententes, d’abord avec la Nation métisse de la Saskatchewan en 2021, puis plus récemment avec l’Inuit Tapiriit Kanatami. Dans les deux cas, l’université et les instances de gouvernance autochtones disposent de rôles et de responsabilités de vérification clairement définis.
Angela Jaime, vice-provost en engagement autochtone à l’université, a souligné que la politique interne de l’université « permet aux communautés autochtones de guider l’université sur cette question… Ces communautés ont demandé cette politique. Centrer les voix des peuples autochtones, c’est faire de la réconciliation. »
Cette approche illustre comment la co-gouvernance, en alignant les politiques institutionnelles sur le respect de la juridiction autochtone, n’a pas besoin de remplacer les cadres universitaires, mais peut au contraire les compléter et les renforcer.
Gouverner ces processus de manière collaborative présente des avantages significatifs.
En reconnaissant la place des communautés autochtones dans les décisions concernant l’appartenance ou la manière dont la recherche est menée sur leurs communautés, la co-gouvernance peut s’ancrer dans le respect de la souveraineté autochtone tout en respectant les principes chers aux universités.
Cette approche est souvent également plus efficace. Elle garantit que les processus restent précis et adaptés à l’évolution des normes communautaires, tout en réduisant la charge administrative pesant sur les professeurs et le personnel autochtones.
Oui, ces ententes doivent être mises en place avec soin, mais en fin de compte, l’approche de co-gouvernance fonctionne parce qu’elle réduit les risques, améliore l’efficacité et renforce la légitimité institutionnelle en reconnaissant que les peuples autochtones ont le droit de participer aux décisions qui affectent leur vie.

