Alors que le contexte géopolitique change, le gouvernement canadien cherche à renforcer sa présence dans la région Indo-Pacifique et à consolider ses relations avec les pays régionaux. Mais il y a un éléphant dans la pièce : la Chine.

Deuxième partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis (91,9 milliards $ d’échanges en 2024, soit environ 5,8 % des échanges totaux du Canada), la Chine est un acteur incontournable des chaînes mondiales d’approvisionnement. Essentielle dans les minéraux critiques, en intelligence artificielle et en technologies vertes, elle est à la fois un partenaire économique clé et un défi politique et de sécurité, capable d’utiliser son poids à des fins stratégiques.

La visite éventuelle de Mark Carney à Pékin, prévue en 2026, offrira au Canada l’occasion de rectifier le tir à l’égard de cette puissance mondiale. Après sept ans de tensions sous Justin Trudeau, la relation entre le Canada et la Chine semble vouloir repartir sur de meilleures bases.

Toutefois, avant son départ pour Pékin, Mark Carney devrait encore répondre à une question épineuse, mais essentielle : comment engager le dialogue avec la Chine ? Peut-il réussir là où Justin Trudeau a échoué ?

Ignorer la Chine n’est plus une option, étant donnée l’importance des échanges commerciaux sino-canadiens dans un contexte où le Canada cherche à diversifier ses partenaires économiques. Cependant, la diplomatie peu efficace de l’ère Trudeau a bien montré que la confrontation directe au nom des valeurs démocratiques peut se révéler contre-productive.

Une meilleure stratégie à adopter pour le Canada en serait une de long terme, comme le propose le politologue américain Rush Doshi. Concrètement, il consiste à investir massivement dans les industries stratégiques, à rester discret quand la situation l’oblige tout en apprenant les avantages de ses « adversaires » et en renforçant son importance auprès des pays du Sud global. 

En Chine, l’idéologie plie devant l’économie

Depuis la manifestation de Tian’anmen en 1989, le Parti communiste a suspendu la réforme politique tout en poursuivant la réforme économique. Entamée dans les années 1970, cette réforme fait de la croissance économique la source principale de sa légitimité. Pour créer de la richesse, la Chine a d’abord adopté un profil bas face à l’Occident, s’appuyant sur la rhétorique de l’« ascension pacifique » et sur la doctrine de Den Xiaoping : « cacher sa force et attendre son heure ».

Les dirigeants occidentaux percevaient alors dans ces discours l’espoir d’une démocratisation, mais celle-ci n’a jamais réellement émergé. La Chine a préféré accumuler capitaux et technologies auprès des pays occidentaux tout en étendant progressivement son influence dans le Sud global.

Aujourd’hui, la Chine est confiante dans son modèle économique et politique, et sa population est fière de ses accomplissements économiques et militaires. Toute critique directe sur ses pratiques est souvent perçue par la population chinoise comme offensive et rabaissante.

Pour le Canada, un engagement sérieux avec la Chine nécessite donc une stratégie adaptée à cette réalité, et une stratégie peut être à la chinoise, plus pragmatique et moins axée sur les valeurs.

Opportunités de coopération

Quand la Chine était encore en phase d’apprentissage économique, elle adoptait un profil bas auprès des partenaires occidentaux tout en attirant investissements et technologies et en écoulant ses produits vers leurs marchés. Les secteurs sensibles restaient toutefois fermés.

Aujourd’hui, la Chine excelle dans l’intelligence artificielle, exerce un contrôle dominant sur les minéraux critiques, et progresse dans l’énergie verte. S’il est évident que le Canada doit maintenir une grande prudence dans ses échanges avec la Chine, il est aussi vrai que la coopération entre les deux pays serait dans l’intérêt industriel, technologique et stratégique du Canada.

Renforcer ses capacités industrielles dans les secteurs clés

Les progrès technologiques chinois résultent d’un projet d’État de longue haleine. Aussitôt qu’en 2006, dans le Programme à moyen et long terme pour la science et la technologie, la Chine a identifié seize mégaprojets, incluant le numérique, qui font l’objet d’investissements importants du gouvernement.

DeepSeek : l’IA chinoise qui défie l’Occident

Pour le Canada, il est crucial de développer une politique industrielle précise et claire en ciblant les secteurs ou la compétitivité du Canada est en jeu et soutenir les entreprises qui jouent un rôle central dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Offrir des alternatives à l’influence chinoise

Depuis le lancement de l’Initiative la Route de la soie en 2013, la Chine investit massivement dans les infrastructures des pays en développement. Ses entreprises publiques investissent dans les grands chantiers de ressources naturelles et de transport, ouvrant ainsi la voie au secteur privé, notamment dans le numérique.

Si le Canada déplore sa faible visibilité auprès des pays émergents en forte croissance, l’augmentation de ses investissements dans la modernisation et l’industrialisation de ces pays renforcerait son influence positive et tangible auprès des pays du Sud global tout en offrant des alternatives aux initiatives chinoises.

Renforcer le dialogue mais aussi la vigilance

Si Mark Carney veut éviter de se faire traiter de naïf par le président chinois comme ce fut le cas pour son prédécesseur, il devra modifier sa manière de diffuser les valeurs démocratiques canadiennes en la rendant plus discrète et progressive. 

Au lieu de dénoncer son bilan démocratique ou de vanter les mérites de la démocratie, le véritable travail de changement en Chine passera par des échanges réguliers et soutenus. Ces changements doivent venir de la population elle-même. Dans un contexte de nationalisme croissant, ravivé en partie par le conflit commercial avec les États-Unis, tenter d’inculquer des valeurs canadiennes risque plutôt de provoquer l’effet inverse.

À Ottawa, plusieurs membres de l’opposition invitent d’ailleurs le gouvernement à la prudence dans ses tentatives de rapprochement avec la Chine, notamment dans un contexte où on dénonce de nombreuses ingérences chinoises au pays. Face à ces ingérences croissantes, le Canada doit rester ferme, renforcer sa capacité de détection et de riposte, et protéger sa démocratie, cible courante des campagnes de désinformation et d’intimidation de Pékin.

Un pragmatisme nécessaire

Le rôle du Canada est donc de renforcer son attractivité grâce à ses valeurs, mais aussi à son poids économique, à ses capacités technologiques et à sa capacité à protéger son propre modèle politique.

À l’ère où la démocratie relève davantage d’un luxe que d’une norme dans un monde de despotes, comme le rappelle Stephen Krasner, il faudra adopter une approche plus pragmatique et se rabattre sur une gouvernance « suffisamment bonne » en matière de politique étrangère pour la préserver.

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