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Comme tant d’autres réunions de comités portant sur les plans de réouverture lors de la pandémie en 2020 et 2021, celle d’une grande organisation communautaire de Calgary s’est avérée houleuse et litigieuse.

La décision finale – rouvrir les établissements en imposant des restrictions limitées – a été consignée au procès-verbal, qui présentait un résumé édulcoré et superficiel de la discussion.

Nulle part ne se trouvaient les réflexions, la nuance des interventions ou l’ampleur des compromis ainsi que les trajectoires potentielles. On ne faisait également aucune mention des répercussions de ces décisions sur les relations. Voici quelques exemples de ce qui n’a pas mérité de mention au procès-verbal :

  • Le cri du cœur des petites entreprises, qui plaidaient pour la réouverture afin de préserver les moyens de subsistance de communautés déjà au bord du gouffre.
  • Des avertissements sur les dangers des politiques universelles et leurs répercussions néfastes sur la démocratie.
  • Les craintes du personnel hospitalier quant au dépassement de la capacité des unités de soins intensifs et des morgues, à l’instar de New York et de l’Italie.
  • Les préoccupations des travailleurs de première ligne dans les épiceries et les abattoirs – la plupart provenant de communautés racisées à faible revenu –, concernant les espaces de travail étroits et peu ventilés.

Pour qu’elles soient instructives, les rencontres doivent être bien présidées et produire davantage qu’un registre binaire. Leur compte rendu doit mettre de l’avant les nuances observées lors de la réunion et documenter les pistes et les possibilités fragmentaires : pourquoi des personnes rationnelles étaient en désaccord, quelles données auraient pu les faire changer d’avis, qui est touché par quels risques et jusqu’à quel point. Il doit garder une trace des idées abandonnées – les options écartées qui pourraient devenir plus intéressantes avec de nouvelles données – afin que la réunion suivante débute dans une zone grise, et non dans l’absolu.

SÉRIE: Réinventer la gouvernance dans un monde complexe

Par exemple, les réunions et les procès-verbaux durant la pandémie faisaient souvent abstraction des questions émergentes. On ne faisait aucune mention de l’évolution de la pensée quant à la transmission (par voie aérienne ou par gouttelettes) ou des personnes dont la pensée évoluait à la lumière des nouvelles données.

À différents moments, malgré l’arrivée de nouvelles données ayant le potentiel de changer les perspectives – que ce soit pour l’utilisation des analyses des eaux usées pour repérer rapidement des éclosions ou du dépistage rapide pour le retour à l’école ou au travail –, le comité de Calgary a eu de la difficulté à s’adapter. Comme la nuance des conversations antérieures n’avait pas été captée et que les informations potentiellement pertinentes des anciennes délibérations n’avaient pas été retenues, les membres se sont ancrés dans leurs positions initiales. La table n’avait pas été mise pour la pensée agile.

Les désaccords se sont solidifiés. Résultat : certaines personnes en sont ressorties avec l’impression d’avoir été tassées et ignorées, ce qui a davantage accentué la polarisation. Il était difficile de trouver une sagesse commune au cœur du chaos.

On ne se heurtait pas seulement à une impasse politique. La confiance était ébranlée, et rien dans l’organisation et l’animation des réunions n’aidait à résoudre ce problème.

Apprendre à rendre de meilleures décisions

Les gens appréhendent les réunions en partie parce qu’elles sont trop souvent mal présidées et qu’elles peinent à manœuvrer l’ambiguïté. Et ça se reflète dans le procès-verbal.

Par contraste, au moyen d’un outil vivant qui encourage la réflexion, l’apprentissage et le changement de cap, les revues intra-action (RIA) transforment le processus décisionnel. La qualité de la présidence et de la rédaction du procès-verbal est ainsi relevée et renforcée.

Inspirée du fonctionnement d’équipes extrêmement performantes et des évaluations du rendement de l’armée américaine, l’approche apporte clarté et nuance au processus décisionnel.

Les têtes dirigeantes sont moins enclines à prendre des décisions sur des enjeux complexes et évolutifs avec des données incomplètes. Au début de la pandémie de COVID-19, par exemple, on a dû instaurer des mesures rapidement, avant d’avoir en main des données cruciales sur la transmission, la morbidité, le dépistage rapide et les communautés vulnérables.

Comme les procès-verbaux de ces délibérations ne reflétaient pas le chemin parcouru pour arriver aux décisions, notamment les compromis importants et la résolution des problèmes, il sera difficile de s’en inspirer lorsque surviendront des dilemmes similaires.

Fonctionnement des revues intra-action

Les RIA transforment les réunions puisqu’elles donnent à la présidence l’occasion de s’améliorer. Plutôt que de mettre l’accent sur la personne à l’origine des propos, elles guident la présidence afin que tout le monde puisse s’exprimer, que le raisonnement derrière les choix et les compromis soit précisé, que les nouvelles informations pouvant influencer les avis ou les plans soient articulées, que les diverses possibilités soient explorées et que les arguments et les styles capables de faire évoluer les points de vue soient pleinement exploités.

Leçon de modestie, l’expérience est également générative.

Les organes de gouvernance qui adoptent les RIA découvrent rapidement les écarts entre leurs perspectives, la logique et les données. La méthode force les personnes participantes à nommer ce qu’elles ne connaissent pas.

Bien que le parcours présente certaines embûches, les avantages sont incontestés.

Revues intra-action à l’œuvre

Contrairement aux réunions traditionnelles durant lesquelles on écoute les positions et consigne les votes, les RIA font appel à des facilitateurs qualifiés qui cherchent à comprendre les gens et les enjeux dans toute leur nuance, et qui dirigent le dialogue en temps réel. Les RIA offrent à la présidence un cadre structuré pour chaque réunion ou processus décisionnel, ce qui l’aide à résumer clairement autant les discussions que les décisions, notamment :

  • les enjeux abordés;
  • les voix et perspectives présentées lors de la conversation;
  • comment le comité ou la présidence a-t-il compris les perspectives;
  • le raisonnement derrière la décision ou l’approche adoptée;
  • les éléments qui pourraient changer la donne : nouvelles données, perspectives ou expériences;
  • le calendrier pour la revue de la décision ou l’évaluation du processus.

En mettant ces éléments de l’avant, l’organisation encourage la responsabilisation, mais aussi une réflexion, une humilité et une curiosité approfondies pour les futures réunions.

On ne s’attache plus à défendre les positions ou les choix antérieurs du comité; on désire plutôt résoudre les enjeux émergents.

Les avantages à long terme de la RIA

La RIA présente un autre avantage : elle permet aux institutions de développer une meilleure connaissance d’elles-mêmes. En réfléchissant à ce qui pourrait avoir une influence sur les opinions, les têtes dirigeantes font une « pause pluraliste », un moment durant lequel elles réfléchissent aux angles morts et reconnaissent l’incertitude.

Même si cette approche peut être d’abord déstabilisante, découpler les décisions à prendre de l’ambiance dans la pièce présente un avantage de taille : tout le groupe prend conscience du contexte général de ses décisions.

Pour finir, les RIA peuvent alléger la pression sur les têtes dirigeantes d’une manière qui ne serait pas possible avec les procès-verbaux traditionnels. La prise de décision sous pression peut donner l’impression d’être pris au piège : si on agit trop rapidement, on risque de commettre des erreurs, mais si on attend trop, on risque de manquer le bateau et potentiellement de causer des méfaits.

Gouvernance 2.0 : tirer parti des conflits pour mieux décider

Honorer l’autodétermination autochtone en suivant des chemins parallèles

Les RIA rendent possible la prise de décisions basées sur des informations limitées, comme c’est souvent le cas, tout en soulignant clairement ce qui bénéficierait d’une réévaluation. Ainsi, non seulement l’approche optimise les décisions, mais elle laisse aussi des traces que l’équipe pourra suivre plus tard.

L’adoption d’un registre commun dans lequel sont consignés les enjeux, les signaux et les relations permet une contextualisation du conflit, mais aussi la transformation des positions en possibilités et des procès-verbaux en mémoire collective.

Une myriade de critères, d’enjeux et de groupes traditionnellement ignorés entrent désormais en jeu lorsque vient le temps de prendre des décisions. Les revues intra-action instaurent une responsabilisation et un esprit de croissance, afin de prendre des décisions plus complètes tout en laissant des traces pour les personnes qui seront appelées à prendre d’autres décisions difficiles et qui pourraient s’inspirer d’anciennes délibérations.

Cet article fait partie de la série Réinventer la gouvernance dans un monde complexe. Retrouvez la série complète et poursuivez la lecture ici.

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Aleem Bharwani

Aleem Bharwani, MD, est le fondateur de l'Initiative pour le pluralisme de l'Université de Calgary, un centre de recherche, d'innovation et d'éducation de premier plan à l'échelle mondiale, qui aide les gens à mieux vivre et créer ensemble en tenant compte de leurs différences.

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Michael Wernick

Michael Wernick a été le 23e greffier du Conseil privé, de 2016 à 2019, après avoir été sous-ministre fédéral pendant de nombreuses années. Il est consultant chez MNP Digital, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d'Ottawa et auteur de Governing Canada.

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