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Récemment, lors d’une table ronde sur l’équité des genres, divers sujets ont été abordés en lien avec l’expérience des femmes en milieu de travail : perspectives de croissance, exclusion d’événements sociaux et professionnels, discrimination et harcèlement et taux de promotion.

La conversation s’est déroulée devant un public invité à poser des questions.

À la fin de la table ronde, un homme a timidement pris à part la personne qui animait la conversation.

« Je voulais lever la main pour poser une question, mais je ne voulais pas me tromper », a-t-il expliqué.

Acquiesçant avec empathie, une autre personne s’est approchée pour ajouter : « Je n’allais sûrement pas prendre la parole et me faire lyncher pour une question que je me pose honnêtement. »

Ce ne sont pas des cas isolés.

Souvent, les gens craignent de s’exprimer honnêtement durant les conversations, non pas parce qu’ils sont indifférents ou réfractaires à une idée (comme le montrent ces exemples), mais parce qu’ils redoutent les potentielles conséquences de leur franchise. Résultat : on échoue à encourager des désaccords constructifs et réfléchis. En d’autres termes, on réprime le dialogue.

Se taire plutôt que se ridiculiser

Dans le monde polarisé que l’on connaît aujourd’hui, les leaders sont aux prises avec une source de frustration de plus en plus fréquente : la simplification morale d’enjeux sérieux.

Un tel cas de figure se présente lorsque des personnes bien intentionnées se sentent incomprises ou forcées de se taire, après que d’autres autour d’elles se soient fait ouvertement ridiculiser ou critiquer pour leur curiosité naturelle.

Cela dit, il est important de se rappeler que ce type de question peut être posé à propos d’enjeux aux implications complexes.

Lors du rassemblement, un chrétien pratiquant, fervent défenseur de la justice autochtone, s’est demandé si une personne religieuse pouvait commencer une réunion en priant, à l’image des Aînés autochtones, dans une optique non pas de substitution, mais de synergie. Cependant, le chrétien n’a rien dit, de peur que les subtilités de sa question se perdent et que celle-ci cause du tort, surtout au vu de l’histoire de l’Église et des pensionnats.

À l’apogée du mouvement #MoiAussi, des portraits d’anciens recteurs ont été décrochés au motif qu’ils représentaient tous des hommes. Pourtant, l’« effacement » de ces hommes n’a pas mis en valeur les immenses contributions apportées à l’université par des femmes.

En réalité, cette action a minimisé les dures épreuves qu’avaient traversées certains dirigeants, comme celui ayant grandi à la ferme dans une extrême pauvreté, ou encore celui qui, enfant, avait été envoyé dans un camp d’internement pour Japonais.

Le décrochage des portraits a provoqué de la confusion chez les hommes comme chez les femmes, qui n’osaient pas poser la plus simple des questions : quel était l’objectif?

Ce genre de culture négative nuit à la résolution des difficultés, en plus de miner ou même d’empêcher les relations qui mènent aux solutions.

Le cœur du problème réside dans l’échec de la communication entre les gens.

Le dialogue dirigé

Trop fréquemment, les systèmes de gouvernance sont précaires et ne font que réagir. Ce faisant, ils sont incapables de récompenser les actes qui visent à réellement intégrer une variété de perspectives, ou d’allouer le temps et les ressources nécessaires à des consultations efficaces durant les processus décisionnels.

En conséquence, les dirigeants prennent souvent des décisions sans avoir pleinement saisi la situation ou sans tenir compte de la réalité des différentes personnes concernées.

Nous avons besoin d’une structure qui autorise des discussions constructives (au lieu de se contenter de forcer l’acceptation), nourrit la cocréation et favorise la confiance dans le processus, même si le résultat n’est pas celui que tout le monde espérait.

Ce type d’approche revêt une importance particulière lorsque les enjeux sont importants et les sujets complexes : dans de tels contextes, on court à la catastrophe si l’on ignore certains points de vue.

Le dialogue dirigé est la solution.

Le dialogue aide à humaniser l’autre, à donner plus de consistance à des questions polarisantes et à les nuancer. Il permet aussi de libérer la pression qui s’accumule dans les environnements où d’importantes décisions sont prises en très peu de temps.

Dans les endroits où ont régulièrement lieu des dialogues dirigés, appelés « tiers-lieux » (qui sont des espaces neutres), les gens ont la possibilité de donner leur opinion, de poser des questions sans arrière-pensée et de parler des différences sans craindre d’être montrés du doigt ou rabroués.

La nécessité d’animateurs de talent

Une bonne animation ne consiste pas à mettre tout le monde d’accord ni à prétendre que les conflits n’existent pas.

Effectuée correctement, elle tient compte des diverses perspectives et fait émerger des orientations communes. La personne responsable veille ainsi à ce que toutes les voix soient entendues et respectées et contribuent au résultat.

Les désaccords se transforment en dialogue, qui lui-même aboutit à des décisions durables.

Les conflits sains sont un peu comme un élastique : trop lâche, il ne sert à rien; trop tendu, il se rompt. L’animateur a pour tâche de maintenir le bon degré de tension.

Les animateurs ne sont pas des figures d’autorité qui doivent avoir le « dernier mot » : leur rôle est plutôt de faciliter la compréhension. Ils définissent le cadre, déterminent les personnes à impliquer et dirigent le dialogue.

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Les participants écoutent plus qu’ils ne parlent.

Dans certains cas, les personnes proposent des sources fiables de données ou, si elles n’en trouvent pas, coproduisent des données partagées considérées comme fiables par tous. Les résultats visés sont définis au fil de cycles de réflexion, de peaufinage et de prise de décisions communes – des processus qui, en plus de donner de meilleures conclusions, bâtissent la confiance.

Et la confiance est la clé de voûte d’institutions résilientes.

Tiers-lieux et conversations difficiles

En général, dans les réunions officielles, l’efficacité l’emporte sur la compréhension. Sous la pression, on doit rapidement arriver à une décision applicable, sans tenir compte de tout l’éventail de points de vue présentés.

Les tiers-lieux sont des espaces impartiaux bénéficiant d’une animation, où chaque personne est invitée à participer malgré les différences. En particulier, ils jouent un rôle capital lorsqu’on doit aborder des sujets sensibles, sources de malentendus tenaces et présentant des risques d’offense élevés.

Ces environnements permettent de recadrer le dialogue : en plus d’éviter les tensions, on place la différence au centre des conversations, dans un esprit d’ouverture, de respect et de bonne volonté.

Jeter des ponts pour se préparer

Actuellement au Canada, les systèmes de gouvernance de l’éducation postsecondaire ne disposent pas – malheureusement pour eux – des espaces, des capacités et des structures nécessaires pour insuffler une telle confiance. S’équiper pour canaliser les tensions, maîtriser la complexité et trouver conjointement des solutions doit être un choix délibéré.

En intégrant le dialogue dirigé dans nos établissements et en recrutant des animateurs de talent, nous pouvons faire bien plus que simplement gérer les désaccords ou réagir aux crises. Nous préparons le terrain pour des relations solides, nous nous protégeons contre la polarisation et nous transformons les soupçons en curiosité. Surtout, nous ouvrons ainsi la voie à des décisions mieux étayées et laissons les idées nouvelles et créatives entrer dans le champ des possibles.

Cet article fait partie de la série Réinventer la gouvernance dans un monde complexe. Retrouvez la série complète et poursuivez la lecture ici.

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Aleem Bharwani

Aleem Bharwani, MD, est le fondateur de l'Initiative pour le pluralisme de l'Université de Calgary, un centre de recherche, d'innovation et d'éducation de premier plan à l'échelle mondiale, qui aide les gens à mieux vivre et créer ensemble en tenant compte de leurs différences.

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Meredith Preston McGhie

Meredith Preston McGhie est secrétaire générale du Centre mondial pour le pluralisme et consacre depuis plus de 20 ans son expertise à traiter des conflits et de l’instabilité dans certaines des situations les plus complexes à travers le monde.

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