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Les conditions météorologiques et climatiques extrêmes ont un coût élevé : outre les dégâts matériels, elles entraînent des pertes de temps et minent la confiance dans le bon déroulement des activités quotidiennes.
L’an dernier, à Calgary, la fumée des feux de forêt a forcé le report des championnats d’athlétisme dans les écoles secondaires et l’annulation de matchs de soccer. D’innombrables autres activités de loisirs en plein air ont été restreintes ou purement et simplement annulées.
Par ailleurs, une tempête de grêle a causé 2,8 milliards de dollars de dommages; certaines maisons, dont les fenêtres ont été cassées et les toitures abîmées, ont subi jusqu’à 35 000 dollars de dégâts. Lorsque Harlin Kaur a enfin trouvé un assureur qui accepte de la couvrir, ses primes avaient presque triplé pour atteindre 500 dollars par mois.
On s’attend à ce que les coûts des dommages causés par des inondations soient décuplés d’ici 2100. Quant aux feux incontrôlés, ils risquent de brûler une surface deux fois plus étendue chaque année.
Souvent, les gouvernements se tournent vers des solutions ponctuelles pour résoudre des problèmes isolés, mais la crise climatique ne se réglera pas en une seule intervention. Pour réagir, l’humanité doit envisager différemment sa responsabilité collective envers les générations futures.
Cette approche porte un nom : la tutelle.
Agir maintenant pour en profiter plus tard
L’augmentation en intensité et en fréquence des feux incontrôlés résulte de décisions prises dans le passé, principalement par des personnes qui ne sont plus là pour en subir les conséquences.
De même, les répercussions des choix d’aujourd’hui se feront sentir longtemps après la disparition des décideurs d’aujourd’hui.
Pourtant, les personnes et les lieux les plus touchés – les générations futures et les systèmes vivants qui les feront vivre – ne sont pas représentés à la table des négociations, tout comme aucun d’entre nous n’était présent lors des décisions cruciales prises il y a 50, 75 et 100 ans.
Pour garantir la représentation des intérêts futurs, il est essentiel d’intégrer la notion de tutelle à la gouvernance.
En plus de réduire radicalement les risques climatiques dans l’avenir (rénovation des bâtiments, biosécurité agricole, etc.), la tutelle comme mode de gouvernance peut transformer les pratiques dans l’enseignement supérieur.
Il ne s’agit pas seulement d’éviter les erreurs, mais d’offrir un avenir fécond et prospère aux prochaines générations. Il s’agit d’investir judicieusement dans des domaines tels que le développement de la petite enfance, la croissance économique rurale ou encore la protection en matière de cybersécurité, et de prévenir la polarisation idéologique au lieu d’essayer de la contrer après que des dissensions en apparence insurmontables se soient cristallisées.
Principes de fonctionnement
Tout d’abord, il faut nommer un gardien de la tutelle.
La personne qui endosse ce rôle participe aux processus décisionnels et incarne des entités abstraites en temps normal, tels que « la planète » ou « les générations futures », pour les représenter lors des délibérations.
Comme le présent importe également, les gardiens n’ont pas de droit de veto. Cependant, ils contribuent à instaurer un équilibre pour créer un lien plus tangible entre la planète et l’économie, entre le présent et l’avenir, entre « nous » et « les autres ».
Ce concept n’est pas nouveau : il est inspiré des modèles de gouvernance autochtones du monde entier.
L’un des meilleurs exemples est celui de la rivière Whanganui (Te Awa Tupua) en Aotearoa ou Nouvelle-Zélande, qui est devenue une « entité juridique » grâce à un accord sur les revendications territoriales. La législation a établi un cadre de tutelle représentant les « droits » de la rivière.
Au Pays de Galles, les prochaines générations ont été inscrites dans la loi au moyen de la Well‑being of Future Generations Act, qui modifie maintenant la manière de définir les budgets, les programmes et les objectifs de rendement. Un commissaire national défend les intérêts de ces générations et encourage des décisions gouvernementales tournées vers l’avenir.
Avantages du rôle de gardien
Les décideurs politiques se font souvent dire qu’ils suivent des priorités dictées par les cycles électoraux et budgétaires. Les gains à court terme éclipsent ceux à long terme.
Pour se projeter 25, 50 ou 100 ans dans l’avenir, il faut mettre de côté son ego et ses envies immédiates. La tutelle pour l’avenir invite à examiner rigoureusement les facteurs et les ressources partagés avec les générations suivantes ainsi qu’à réfléchir à la planète qu’elles habiteront, plutôt que d’avoir une vision monolithique (et coûteuse) des structures, des budgets et des listes de souhaits dans le présent.
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Avec la tutelle, les décideurs doivent regarder le gardien dans les yeux pendant qu’ils délibèrent sur des dépenses déficitaires imprudentes, le manque d’innovation ou encore la pollution.
Cette approche permet d’éviter les conflits potentiels au sein des groupes. Au lieu de s’affronter, les gens sont à présent devant un même défi et peuvent réaliser des investissements conscients pour protéger l’eau, la santé mentale des jeunes et le dynamisme social, et pour stimuler les innovations actuelles et futures.
La tutelle en pratique
À la Cumming School of Medicine de l’Université de Calgary, deux postes de gardien ont été créés pour représenter la planète et les générations futures. Au sein du nouvel organe de gouvernance inclusif, ces personnes siègent aux côtés du doyen et des responsables universitaires et communautaires afin de définir et de mettre en œuvre des priorités communes.
Sur le campus et à l’extérieur, les gardiens réunissent plusieurs groupes, tels que les acteurs de l’industrie, les Aînés, les chercheurs et les jeunes, pour imaginer l’avenir et faire de leurs idées une réalité dès maintenant. Lors de ces moments d’échange, ils sont attentifs aux signaux et aux facteurs de changement, élaborent des plans sur le très long terme selon divers scénarios et réalisent des exercices de cartographie rétrospective pour faire concorder les budgets et les politiques à court terme avec les objectifs à long terme.
Dans un modèle relationnel de gouvernance, les gardiens n’ont pas qu’un rôle symbolique : ils représentent un lien utile et valide entre les dirigeants actuels et les intérêts des générations futures.
En intégrant ce rôle dans la gouvernance et d’autres structures décisionnelles (par exemple dans l’enseignement supérieur et ailleurs), on ouvre la voie à des choix plus sains et plus responsables, qui font du « futur » un partenaire à part entière à la table des discussions.
Cet article fait partie de la série Réinventer la gouvernance dans un monde complexe. Retrouvez la série complète et poursuivez la lecture ici.



